Simone de Beauvoir

Textes composés par les étudiants
du cours ATELIER DE LECTURE ET ECRITURE CREATIVE,
inspirés d'un extrait de 'Mémoires d'une jeune fille rangée' de Simone de Beauvoir

Mémoires d’une benjamine

Je suis née à six heures du soir, le lundi 6 septembre 1907, dans la chambre de mes parents, dans le village isolé de Narrabri, dans le nord-ouest de la Nouvelle-Galles du Sud. Sur la seule photo de famille qui survit, on voit un couple et leurs enfants : une femme au chignon brun en robe longue et noire et un homme à la moustache grisâtre et tombante, entouré de cinq enfants, âgés d’entre huit ans et trois mois. Tous sont sérieux : personne ne sourit. C’est ma famille mais je ne suis pas là : je ne suis pas née. Six ans plus tard, après les jumeaux, après ma sœur, Marie, j’arrive, le neuvième enfant de mon père âgé de 59 ans et de ma mère de 39 ans. J’étais leur dernier enfant, leur benjamine. Après moi, plus personne. Sur la première photo où j’apparais, on voit une jeune fille dans un studio, assise peu élégamment sur une balançoire, habillée d’une robe de velours sombre aux col et manchettes en dentelle. Cette enfant a le regard fixe, déterminé. Je ne sais pas son âge, cinq ans peut-être, mais elle est vraiment là. Je la reconnais : c’est moi. Je suis vraiment là.
De mes premières années, je ne me rappelle que des sons et des images vagues : grincements et croassements, chuchotements et sifflements, bruits mélodieux et criards, voix variées, le murmure de la nature ; et les barreaux qui m’entourent, les rayons de lumière qui bougent, bougent, les charbons ardents qui rougeoient le plafond. Peu à peu, ce mélange devient plus défini, plus précis : ma sœur aînée joue du piano et ma deuxième sœur chante, mes frères se disputent et coupent le bois pour le fourneau, ma mère est dans la cuisine d’où émerge le bruit d’assiettes entrechoquées, les rayons se répandent à travers le lit et un autre jour commence. J’étais au centre de ce monde vif qui susurrait à l’oreille des promesses et des menaces, en me montrant les richesses et les limites de ma vie. Dans cette maison exigüe, avec ces personnes, ma famille, j’apprenais le monde. Mais un jour, je ne sais pas le moment exact, je me rendis compte que ce n’était pas suffisant. Pas pour moi. J’en voulais plus.

PAR ERIN GABRIELLE WHITE

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Mémoires d'une jeune fille d'un temps perdu

Je suis née au matin du 24 septembre 1933, dans un petit hôpital privé, tout près de notre maison dans un nouveau faubourg pour la petite bourgeoisie de Brisbane. Ma mère avait le même âge que le siècle ; mon père quatre ans de plus. Sur les photos de noces, je suis consciente de la beauté de ma mère, portant un long voile et une robe de soie à hauteur du genou, avec une bande de dentelle profonde autour de l’ourlet. Mon père semble heureux, mais il est l’air mal à l’aise avec sa chemise amidonnée, son nœud papillon et un costume qui n’est indéniablement pas le sien.
A la maison, une sœur, qui avait déjà six ans, attendait mon retour de l’hôpital, sans enthousiasme.* La maison était unique, faite par mon oncle, Jack, un oncle maternel, qui était un charpentier adroit, menacé de chômage pendant les années vingt. Ainsi mon père avait-il passé un contrat avec lui pour construire notre résidence. De plus, les meubles étaient faits par mon oncle, Pat, un oncle paternel, un ébéniste. Une maison de famille, pour la famille, par la famille.
L’architecture était appropriée aux étés longs et chauds où il fallait attirer tous les souffles d’air. Je n’ai jamais senti de froid comparable aux hivers de mon enfance dans les sous-tropiques. En me rappelant les vents d’août, mes genoux commencent à trembler. Il y avait deux larges vérandas, et seulement un arc de bois sculpté entre la salle à manger et le salon. J’aimais ces espaces, vastes aux yeux d’enfants, excellents pour les jeux de cache-cache. 

Les deux chambres avaient deux ouvertures, dont les portes-fenêtres qui s’ouvraient sur les vérandas. La possibilité d’une vie privée n’existait guère ; une possibilité souvent regrettée par ma sœur qui m’avait surnommée ‘la sangsue’.
A part les images saintes aux murs de la chambre de mes parents, parce que ma mère était une femme à la foi forte et durable, je ne peux pas me souvenir de tableaux. Il y avait un gramophone, avec quelques disques d’opéra et des ballades irlandaises. Les livres, difficiles à acquérir pendant la seconde guerre mondiale, étaient des choses précieuses. Quand je perdis les quatre souverains d’or, hérités de sa mère, mon père fut enragé. Il aurait été beaucoup plus furieux si j’avais mutilé une page d’un des 9 tomes de Cassells Book of Knowledge.
Les couleurs de mon enfance m’apparaissent sourdes maintenant, mais quand j’y pense, je vois mon enfance colorée de plusieurs tons de rouges, baignée dans la chaleur d’une maison pleine d’amour et de respect.

*Cette hostilité mutuelle a lentement diminué au fil du temps.

PAR CARMEL MAGUIRE

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Mémoires d’une jeune fille des années quarante et cinquante

Naissance
Je suis née le 11 avril 1945 à l’hôpital Mater de North Sydney. Ma mère m’a dit que j’étais arrivée avec quatre jours de retard. Soixante-dix-sept ans plus tard, je suis toujours en retard.
Quand je regarde les photos de ma famille, il y a mes parents : ma mère de 35 ans et mon père de 34 ans. L’une d’elles les montre en ville, ma mère en costume élégant et mon père en uniforme – il était ingénieur maritime au service extérieur. D’autres les montrent dans le jardin de la maison de mes grands-parents maternels à Wahroonga où mes parents vécurent et où je grandis. Ils sont habillés de manière informelle.

Ma famille et le chœur grec
Je n’avais pas de sœurs ou de frères. J’étais fille unique. Mais… dans cette collection de photos, il manque ma grand-mère, la veuve de mon grand-père. C’était une femme formidable qui dominait la maison et mes parents. Elle était aussi mon chœur grec personnel : elle était toujours prête à énumérer mes défauts.

La salle de billard - ma salle de lecture spéciale
La maison était spacieuse. Les meubles étaient typiques de l’époque et de la classe moyenne. Il y avait aussi des parties du mobilier que mon père avait apporté de Chine : notamment un cabinet du nom de M. Wong, d’après le marchand qui avait donné le cabinet à mes parents en cadeau de mariage. J’ai toujours M. Wong. Pour moi, la pièce que j’aimais le plus était la salle de billard. Mon grand-père était un passionné. C’était une grande pièce à l’arrière de la maison. La table était à une extrémité et des chaises confortables dans l’autre moitié de la pièce. Il y avait des portes-fenêtres sur trois côtés ; la pièce était pleine de lumière. C’était mon refuge. Je passai des heures heureuses sous une chaise longue. Je lis avec plaisir les livres que mes parents me donnaient et les livres que j’empruntai à notre bibliothèque publique. J’avais six ans quand je reçus ma première carte de bibliothèque.
Je suis devenue bibliothécaire et archiviste et je n’oublierai pas mes jours heureux sous la chaise longue.

PAR MERILYN B

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Mémoires d'une jeune fille isolée

Je suis née vers six heures du matin dans la chambre de mes parents. Mon père – très zen – était là pour m’accueillir et c’est ensemble qu’ils m’ont mise au monde. Personne n’était préparé à vivre ainsi cet accouchement à domicile ! Sur les photos prises l'été suivant, on voit les membres de ma famille en rang : mon père, qui avait vingt-six ans, ma mère, vingt-quatre ans, ma grand-mère, ma tante et moi. Ma mère portait une jupe crayon de velours et des gants de satin noir ; mon père un pantalon taille haute, des lunettes de soleil noires et une cravate rouge ; ma grand-mère une longue robe ample noire, et dans ses cheveux, un bandana à pois noir et blanc. La couleur noire évoquait une sorte de mélancolie, interrompue par la cravate rouge de mon père. Je tourne la page de l'album : mon père aux côtés de ma maman qui tient dans ses bras un bébé ; il ressemble à une belle poupée. Ma sœur vient de naitre. Elle me vola ma place mais cela ne dura pas. Elle ne changea en rien le rituel que mon père avait établi depuis mes premières années, de venir chaque soir à côté de mon lit. Là, il me lisait des histoires fantastiques, m’initiant au monde de la littérature, laissant une empreinte permanente dans ma vie.
Mon enfance était peuplée d'un mélange de rouge et de noir, de chaud et de froid. La maison était grande avec un couloir menant au salon. Les fenêtres vitrées coulissantes donnaient sur le jardin ; au fond il y avait un cabanon, des murs sombres décorés de meubles vitrés au fini brillant, des objets rouge métallisé qui brillaient dans le noir : c’était mon havre de paix, où j’allais me réfugier, livres en main et où, m'enveloppant de couvertures de velours rouges, je me sentais à l’abri et protégée. A travers mes livres, je découvrais de nouveaux horizons, j’étais transportée dans un autre monde, et je m’envolai avec les mots.

PAR AMANDA

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Souvenirs de la rue Holt

Je suis née à huit heures du matin, le 27 novembre 1936, dans une maternité de l’ hôpital de Waverley war memorial. Mon père avait trente-cinq ans, ma mère trente-trois et j’étais enfant unique.
Au cours de mes trois premières années, nous vécûmes dans l’appartement au X rue Holt, Double Bay. Mes deux tantes célibataires vivaient dans une petite ville de campagne.
Quand la deuxième guerre mondiale éclata, elles déménagèrent et vécurent avec nous pendant vingt ans. Sur les photos de l’époque, porter des chapeaux et des gants semblaient de rigueur pour les dames. Les messieurs portaient des costumes trois-pièces avec un gilet et des chapeaux de feutre gris. Sur chacune des photos, je porte une jolie robe en coton ou en laine selon la saison ; toujours confectionnées par ma mère et toujours en bleu ciel ou bleu marine. Mes chaussures sont en cuir verni noir et blanc. Je porte aussi un grand noeud dans mes cheveux. Maintenant que nous étions cinq dans la famille, nous avions besoin d’une maison plus grande. Donc nous déménageâmes dans l’appartement au Y dans le même immeuble.

Mes parents étaient aimables avec la famille au Z rue Holt, en face de chez nous. Ils avaient trois fils, le plus jeune avait un an de plus que moi. Il devint mon frère adoptif ! Il y a beaucoup de photos de nous avec nos mères, au parc ou à la plage.
De mes premières années, il ne me reste que de vagues aperçus. Je crois me souvenir de la forte odeur de tabac. Ma mère et sa copine étaient de merveilleuses cuisinières, leurs cuisines étaient pleines de délicieux goûts et odeurs. Je me souviens de la couleur marron qui dominait partout : dans les salles à manger, il y avait de grandes tables et chaises marron en acajou ; dans le salon du no Z, il y avait un grand canapé en cuir marron aussi.

Bien que les appartements aient l’air sombre, nous jouions à des jeux heureux dans nos jardins ensoleillés. Ainsi se passa ma toute petite enfance. Mon frère adoptif resta mon meilleur ami, mon fidèle confident, et le parrain de mon fils. Tristement, il est décédé.

PAR ANN B

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