Pierre Lemaitre

Textes composés par les étudiants
du cours ATELIER DE LECTURE ET ECRITURE CREATIVE,
inspirés par 'Couleurs de l'incendie' de Pierre Lemaitre

La Voix

Paul, âgé de 8 ans, est paraplégique et sa mère, Madeleine, s’occupe entièrement de lui. Jusqu’à l’âge de 6 ans, Paul avait eu une nounou adorée mais à cette époque-là sa mère l’avait renvoyée et avait embauché un homme pour son instruction. L’année suivante, Paul avait eu un accident qui l’avait rendu paraplégique. Maintenant, Madeleine est éreintée et cherche, à contre cœur, une infirmière pour Paul. Au moment où elle est en train d’informer une candidate, une Polonaise qui ne parle pas un mot de français, qu’elle ne va pas l’embaucher, l’incident suivant se produit.

Puis d’un coup, tout bascula. Paul toussa et haleta, son corps frêle secoué de convulsions, la mère bondit vers son fils en hurlant « vite, vite, il s’étouffe, faites quelque chose », la Polonaise gloussa doucement en caressant légèrement le bras de Paul. Dans sa hâte, Madeleine avait renversé une table et un verre de lait et était tombée près du pied du fauteuil roulant de son fils. L’infirmière ignora toute cette agitation, continua à caresser la main de Paul et à lui murmurer à l’oreille. Tout d’un coup, Paul renversa la tête, ouvrit la bouche et vomit un flot de liquide jaunâtre sur la tablette devant lui. Adroitement, la nouvelle infirmière essuya les mucosités et nettoya la tablette tout en souriant et en riant son approbation.
- Swietnie, moj maly czlowieku, dobra robata, dobrze usunac ten brud, czapki z glow ! (1)
Tendrement, elle essuya le visage de Paul avec un chiffon humide et passa légèrement les doigts dans ses cheveux noirs en murmurant sans cesse des encouragements. Paul regarda cette grande femme volubile et imperturbable, sourit discrètement et se mit à fredonner un jingle télé pour une marque de lait entier. Je n’étais pas surprise car je peux vous dire que c’était le même jingle que Paul chantait avec sa première nounou. Souvent ils avaient chanté et dansé sur cet air, aimant changer les mots et jouer la comédie, un jeu impayable.
La nouvelle nounou comprit rapidement. Peu de temps après, elle fredonnait avec le garçonnet dont la voix était vraie, forte, profonde et rapeuse. Ensemble ils commencèrent à créer des harmonies. La chanson finie, Paul frappa dans ses mains et cria :
- J’ai soif, Maman, j’ai soif ! Un verre de lait, s’il te plaît.
Madeleine obéit instantanément avant qu’il ne changeât d’avis.

(1) Super, mon petit bonhomme, bravo, c’est bien de faire sortir ces saletés, chapeau !

PAR ERIN GABRIELLE WHITE

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Anastazia

Puis d’un coup, tout bascula. Madeleine se précipita vers le fauteuil de son fils et fit un mouvement vif pour saisir le bras de l’infirmière. La Polonaise eut des réflexes très rapides. Un coup de bras fit rouler Madeleine les quatre fers en l’air. Léonce, soufflée, sauta à son aide. En réalisant sa mission, elle rencontra un grand godillot polonais, et elle accompagna son amie au fond, éraflant sa tempe au passage. Au moment où la deuxième victime arriva par terre, Paul en grande agitation fit pencher le fauteuil roulant et il s’accrocha à un accoudoir.
Un flot d’invectives polonaises commença et cessa abruptement. En un instant, l’infirmière extraordinaire avait acquis deux nouvelles patientes. D’un geste large, elle rétablit Madeleine sur pied, remit Paul fermement à l’abri dans son fauteuil, et essuya le sang du visage de Léonce avec un mouchoir de grande capacité pris d’une poche de sa jupe.
- Natyam sie Anastazia i bede cie chronic z pomoca naszel pani z Czestochowy*.
Sa carrure surplombante menaçait les deux femmes et sa volubilité incompréhensible agressait leurs oreilles. Paul restait calme en contemplant la possibilité d’un nouveau régime, un nouvel ordre qui pourrait sans doute avoir beaucoup d’intérêt. Il commença à crier, presque sans hésitation :
- Calmez-vous, maman ! Elle s’appelle Anastazia et je pense qu’elle nous a placés sous la protection de la Vierge noire de Pologne.
Madeleine était bouche bée. Elle avait peur que son fils restât handicapé toute sa vie, et maintenant il avait reçu le don de langues. Le monde était injuste, cruel, patriarcal, misogyne, et navigable. Elle prit la main de Léonce et doucement elles quittèrent la salle « Un ange gardien est arrivé, déguisé en la personne d’une Polak, volubile, dictatoriale, et indispensable à notre bonheur. »
Pendant deux décennies et une autre guerre mondiale, Anastazia ne parla guère français et la famille l’aimait et lui obéissait.
Je regrette qu’elle n’ait jamais appris notre langue malgré son long service dans la famille.

*Je m’appelle Anastazia et je vais vous protéger avec l’aide de notre dame de Czestochowa.

PAR CARMEL MAGUIRE

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Tarte aux pommes de terre

Puis d’un coup, tout bascula. Les changements dans la famille Péricourt se produisirent plus lentement que prévu. Au fil des semaines Vladi, l’infirmière, devint une résidente à la maison, les sentiments d’espoir et une chaleur subtile remplacèrent l’atmosphère de tristesse et les pensées négatives. Un jour, Paul réussit à faire un petit sourire à sa mère. Madeleine était ravie de son amélioration. Elle craignait qu’il ne pût plus jamais marcher. Elle osa rêver à un avenir meilleur.
Le docteur Fournier était également ravi et immensément soulagé que le petit garçon prenne du poids. Depuis l’accident, il était extrêmement préoccupé par son bien-être et enfin il y avait des signes positifs. Maintenant Paul mangeait mieux, il faisait moins de cauchemars, il semblait plus conscient mais il était toujours handicapé.
Le quartier était obligé d’admettre que cette grosse Polak (un cruel surnom) était un atout pour la famille et était une jeune femme polie, avenante et très amicale.
Le plat préféré de Paul semblait être la tarte aux pommes de terre des Slovènes que Vladi préparait presque tous les jours. Après l’avoir nourri, elle chanta des chansons folkloriques et l’encouragea à l’accompagner en bougeant son bras ou en hochant la tête. Bien qu’il ait d’abord refusé, il trouvait que les sons lui procuraient le premier vrai plaisir depuis l’accident. Lentement il commença à marquer le pas.
L’amie de Madeleine, Solange Gallinato, la chanteuse d’opéra, recommença à venir chaque semaine pour le goûter.
— Musyka, piosenka, gramafon, merci ?
Madeleine comprit que lorsque son amie n’était pas disponible, elle et Paul pouvaient écouter un disque sur le gramophone.
Madeleine et Vladi commencèrent alors une forme de musicothérapie. Paul devint un faux chef d’orchestre. Ses membres se renforcèrent, il pouvait se concentrer plus longtemps, il était plus animé. Sa mère avait enfin de l’espoir, elle murmura « Il remarchera, j’en suis sûre. »
Depuis I’accident. Madeleine était à moitié morte, maintenant elle était prête à se battre avec une conviction inébranlable.

PAR ANN B

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Chanson polonaise                                                                                          

Puis d’un coup, le lendemain matin, tout bascula. Madeleine passa la porte de la chambre de Paul. Un son inattendu sortit de la gorge de son fils, un rire profond. Elle regarda par la porte entrouverte, vit la Polak qui dansait. Ses hanches larges tremblaient, ses épaules bougeaient, ses cheveux blonds étaient en désordre, ses mains agitaient le chiffon devant son visage, cachant tout sauf ses petits yeux, rentrés dans les orbites, qui éclataient d'une joie malicieuse. Elle chantait en polonais
- Owsianka jest skończona, wszystko zniknęło.
Le bol du petit déjeuner de Paul était sur la tablette, vide. Paul tapait la cuillère sur le manche de son fauteuil roulant, en rythme. Madeleine était étonnée, stupéfaite, consternée, jalouse. Elle tenta de dire quelque chose, mais à quoi bon, la Polak ne comprendrait rien de tout. Madeleine parvint à conserver son silence, bien que la scène fût inquiétante. Au moins, Paul commençait à manger.
Les jours suivants, tout changea à la maison. Paul mangea presque tout ce que l’infirmière lui offrait. Il semblait plus propre, ses vêtements soignés, ses cheveux brossés. Il sourit quand Madeleine arriva mais ses yeux suivaient toujours la Polak. Son incessant jacassement lui plaisait beaucoup, même s’il était probable qu’il ne comprenne qu’un mot sur dix. Il chantait avec elle. Ils regardaient les bandes dessinées qu’elle lui apportait. Ils riaient ensemble en voyant les dessins impayables.
Paul reprit du poids, petit à petit. Sa peau rayonnait, ses yeux brillaient. Madeleine était soulagée de voir son fils comme ça mais un peu triste d’être remplacée par la Polak dans la vie de Paul. Elle entendait Jeden, dwa, trzy, cztery, c’était Paul qui comptait en polonais.
Mais le plus important, c’était que Paul était heureux, le médecin était satisfait de ses progrès, l’infirmière était avenante, même si elle ronchonnait quand tout n’était pas net et propre. Madeleine avait accepté de "mettre de côté mes sentiments personnels" et je peux vous dire que c’était dur pour cette bonne petite maman.

PAR ANGELA LOW

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La lecture

Puis d'un coup, tout bascula ! Les médecins annoncèrent, Paul souffrait de dépression. ll avait perdu la volonté de vivre.
Sa vie était remplie de visites chez les médecins et les psychiatres. Il prenait des médicaments, au moins dix pilules par jour, trois fois, quatre fois jusqu'à dix fois. Madeleine essayait de l’encourager à obéir aux médecins « Tu dois écouter les médecins, afin que ta dépression s’allège », lui disait-elle.
- Je… me sens… coin… coincé …m.. ma…. m…an… an, disait-il.
II fallait que Paul s'en sorte, c'était impératif. Mais je peux vous dire qu'il n'avait aucun désir de s'en sortir. Sa seule consolation était le rituel nocturne de la visite de l'infirmière polonaise, chaque soir, à côté de son lit, avant de se coucher, quand elle lui lisait des contes de fées polonais, magnifiquement illustrés.
Les années passèrent. Le rituel nocturne continua avec l'infirmière. Peu importe qu'il ne comprenne pas la langue, sa voix musicale, sa compassion, son caractère engageant, avenant, lui avait permis de surmonter sa tristesse.
Elle lui disait :
- Za duży, na bajki *.
Progressivement, en associant les images avec les mots, il développa un vocabulaire et une compréhension en lecture. Tout d'un coup, il avait trouvé une passion pour la lecture qui l'emportait loin de la misère de son fauteuil roulant. Il passa les après-midi à écouter les bandes, à écouter les livres audio, à regarder des films en polonais, évitant de lire les sous-titres. C'était comme par miracle qu'il développa une compréhension de la langue polonaise. Maintenant, il ne cessait pas en dormant de faire des réflexions sur les mots et les images.
Il avait trouvé une passion, celle de la lecture. Les cauchemars étaient remplacés par un sommeil profond et de beaux rêves.
Il cherchait les mots dans un dictionnaire que l'infirmière lui avait donné. Il commença à sélectionner des livres que sa mère avait entassé à côté de sa table de nuit pour l'encourager à lire. Il se plongea dans la lecture, entrant dans un autre monde où il n'avait pas besoin des autres. Peu importe que les autres garçons de son âge jouaient au football. Les livres devinrent ses amis, il développa un nouvel intérêt pour la nourriture, il prit du poids… plus besoin de médicaments et le contrôle des médecins. Maintenant il bourdonnait dans la salle à manger avec un nouvel enthousiasme. Madeleine était soufflée par le changement de son fils. Même si elle n'avait plus besoin de s'occuper de lui, il fallait qu'elle appréciât qu'il avait démontré qu'on pouvait reconnaître un handicap comme un avantage compétitif.

* On n'est jamais trop grand pour croire aux contes de fées.

PAR AMANDA

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Le chat

Puis d’un coup tout bascula…
La porte entre le couloir de l’appartement et le salon s’ouvrit. Un chat énorme entra lentement. Entre ses mâchoires, il serrait un perroquet, et en même temps il ronchonnait. Madeleine pensait que le chat allait manger le perroquet et elle avait peur que le parquet fût abîmé par les restes sanglants de l’oiseau. Elle s’exclama : « Vous avez déjà mangé, vilain chat ! Ouvrez votre bouche et laissez tomber ce pauvre perroquet ! »
Paul néanmoins croyait que le perroquet vivait encore. D’un coup, la Polak cria avec colère.
- Mój Boże, co za diabeł ten kot ! *
Soudain, le chat abasourdi ouvrit ses mâchoires. Le perroquet s’enfuit et se percha sur la tringle à rideaux.
Paul se dit :
- Je ne …. pense pas que… le chat puiiiiisse… rattraper… le perrrrroquet maintenant. Ouf…. il est sau….vé !
Le chat sauta sur le sofa près de Paul. Il bourdonna, regarda l’assemblée avec mépris, assurance, l’œil glacé et il remua la queue.
Parfois je me demande d’où vient ce dédain impayable des chats.

*Mon Dieu, quel diable ce chat !

PAR MERILYN B

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