Nina Bouraoui

Textes composés par les étudiants
du cours ATELIER DE LECTURE ET ECRITURE CREATIVE,
inspirés par 'Garçon manqué' de Nina Bouraoui.

La mère disparue

Tout a changé entre ma mère et moi. Tout. Ce silence. Ce manque de conversation. Elle ne gronde plus. Elle ne critique plus mes vêtements. Ma coiffure. Mes enfants. Ma maison. Plus maintenant. Les conflits, les humiliations ont disparu. Elle porte des vieux vêtements sales.

Elle me reconnait. Elle sourit quand j’arrive. Elle dit bonjour mais rien d’autre. Elle s’assied au soleil. Elle lit le journal. Sans rien comprendre. Pas de débat intellectuel, pas de critiques acerbes sur les politiciens. Pas de discussions sur les bouquins du jour, sur le théâtre, comme autrefois. Rien !

Je donne des nouvelles de mes frères, de mes enfants, de mes petits-enfants. Je parle à haute voix. Je me répète. Sourde, elle n’entend pas tout, elle ne comprend pas tout. Tant pis ! Je ne peux plus la taquiner, faire des commentaires espiègles, partager les commérages. Je me rabats sur le temps. Il fait beau, la pluie est la bienvenue pour les fleurs. Ca tombe bien ! C’était une bonne jardinière. Bonne cuisinière. Bonne couturière, bien habillée. Mais tout est perdu. Elle ne se souvient pas. Alors, une tasse de thé. Ces interminables tasses de thé ! Je trouve de jolies choses cachées dans ses tiroirs, ses placards. Elle les admire. Mais d’où viennent-elles ? Elle ne sait pas. Je ne sais pas. Je les remets en état, je les nettoie, je les polis, et je les remplace. Les secrets cachés, leurs histoires perdues.

Moi, la fille, je suis devenue la gardienne, la mère, la grand-mère. Ce n’est pas moi ! Ce n’est pas elle ! Ma mère, Maman, Mum, Mother, Gran, Great-Gran, elle existe comme un fantôme, une ombre d’elle-même.

PAR ANGELA LOW

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Le pensionnat

La narratrice est une écolière au pensionnat, loin de chez elle, ces grandes terres au bord du désert quelle adore.

Tout me rappelle ma situation difficile. Tout. Ce pensionnat ne me dit rien. Rien. Personne ne comprend. J’ai tellement envie de rentrer chez moi. Des écolières partout. Des règles pour tout. Sans raison. Sans explication. Sans cesse. Sans ma propre chambre. Un dortoir. Plein de filles. Un lit à côté de l’autre. Génial. Pas de grands espaces ouverts. Bâtiments serrés ensemble, chemin de béton entre eux. Très joli. Pas l’odeur d’eucalyptus qui vient des arbres le long du ruisseau. Pas la chaleur chatoyante à l’horizon à midi. Pas la vue des nuages d’orage qui arrivent de l’horizon. Pas la vue du coucher de soleil. Pas lebruit du rassemblement des moutons. Pas de poussière. Pas d’hommes sur des chevaux. Pas de chiens qui aboient. Non. Rien de tout cela. Mais moi, j’ai la chance d’avoir une bonne éducation. Bravo. Entre-temps, la tonte se passe sans moi. Et moi, coincée ici. Comme un mouton. Dans les mains d’un tondeur. On est toutes des moutons, ici. Oui. Rassemblées pour aller à la salle de classe. Rassemblées pour aller à la salle à manger. Rassemblées pour aller aux dortoirs. Commes des moutons. Il faut faire la queue pour tout. En silence. Pour prendre une douche. Pour mettre des linges au panier à linge. Pour aller à l’infirmerie. Comme des moutons. Qui attendent le tondeur. Fatalité. Acceptance. Un seul rayon de lumière à l’horizon. Pour ainsi dire. Le trimestre scolaire se termine dans deux semaines. Enfin. Ensuite, le train. Vers l’ouest. Comme une flèche. Vers la vraie vie.

PAR CM

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Le Jardin

Tout me rappelle le jardin de mon enfance. Au marché. Au supermarché. Au jardin. Dans le train. Tout. Mais pas la formalité exquise du jardin français. Pas les espaces sculptés à l’italienne. Pas les grands parcs parsemés de chênes et de platebandes herbacées comme en Angleterre. Non. En bref, pas la grandeur, pas la splendeur, pas l’ampleur. Au contraire. Ce n’est qu’un petit jardin de banlieue situé à Canberra. Un climat extrême. Chaud, froid, sec. La raison d’être ne se trouve ni dans la flore des pépiniéristes, ni dans les collections des plantes indigènes. Non. Simplement, un potager, une sorte de Paradis terrestre. A l’arrière, une cage à poules avec quelques poulets et deux canards, si détestés par ma mère à cause de leurs fuites récurrentes. Un jour, Monsieur McGirr le boucher est arrivé et la volaille a disparu. Ouf ! Ma mère gère le plan du jardin et la disposition des pierres et des parterres. Mon père s’occupe des légumes. Dans le quartier il y a une rivalité entre les pères. Lequel d’entre eux fera pousser les premières tomates mûres pour Noël. C’est un vrai talent de choisir le moment de repiquer les jeunes plants après le gel final mais avant l’arrivée de la chaleur d’un été précoce. Nous les enfants, on nous paye « sixpence » pour attraper les bestioles des tomates. Le maïs doux est un favori pour nous les gosses, servi avec du beurre et du sel pour notre petit déjeuner. Mais il me faut avouer qu’à la fin de la saison, on en a marre des carottes : carottes tous les jours, de grosses carottes d’une texture désagréable. On les mange jusqu’à l’excès. Ma mère met en conserve la surabondance de ces tomates et de ces carottes pour nous nourrir en hiver. Dégoûtant ! Mais moi, je suis euphorique de recueillir les fruits. Mes parents cultivent un figuier, un noyer, trois cerisiers, un poirier, trois pommiers, un abricotier, un pêcher, quelques pruniers, un brugnonier, deux amandiers, une vigne et des framboisiers. Impossible d’oublier la saveur des fruits et des légumes. Leur plénitude. Leur profusion. Leur fraîcheur.

PAR ROSE CHENEY

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La Traversée

Tout me rappelle les voyages. Tout. Enfin presque tout. Mon premier voyage outre-mer. Il y a longtemps. Un voyage en mer. La destination était Londres. Ces voyageurs jeunes. Ces jeunes diplômés. Un paquebot classé touriste. Un tarif bon marché. Beaucoup de banderoles. Beaucoup de larmes. Les adieux. Tous enthousiastes. Tous un peu effrayés. Des petites liaisons. Les premières rencontres. Des amis pour toujours. Quatre semaines en mer. Les ports exotiques. De la nouveauté à la monotonie. Une traversée inoubliable. Puis l’avion à reaction a changé notre vie. Vingt heures pour l’ Europe. Des avions avec 500 passagers. De la classe de bétail à la première classe. On retrouve les voyageurs dans le monde entier. Dans la jungle d’Amazonie. Dans les Himalayas. Dans le pôle nord et sud. Dans les déserts. Dans les conflits. Jeunes gens. Vieux. Partout. Ils travaillent. Ils sont en vacances. Ils fuient. Sacs à dos. Valises. Sacs à main. Paniers Pleins. Pleins. Pleins. Touristes. Émigrants. Immigrants. Dans les vols. Et dans les petits bateaux, ces voyageurs désespérés. Les réfugiés. La mer, leur cimetière.

PAR ANN B

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Tout me rappelle Venise

Tout me rappelle Venise. Tout. Ce bruit. Ce paquebot. Ces haut-parleurs. Ce port. Ces voyageurs pressés. Tout ce qui ne dénote pas la ville elle-même. Rien sur la vraie Venise. Sur sa sérénité en hiver. Sur la lumière rose des lampes à travers la brume de soir. Sur sa magie. Sur la vie de plus en plus difficile des Vénitiens. Sur l’avenir de Venise. Sur la corruption qui est monnaie courante au gouvernement. Rien. On lit la publicité. Venise, un monde à part à apprécier. En croisière. Amarré à quelques centaines de mètres de l’iconique place Saint-Marc. Emplacement idéal. Qui ébranle les fondations des édifices historiques. Première cloche. Une petite demi-heure de marche immersive. Ça tombe bien. Admirez les façades byzantines, gothiques ou renaissance de la cité Sérénissime. Cloche. Pas trop de culture. Voyagez le long des canaux en gondole. Pas de fatigue et un charme romantique. Cloche. Arrêtez-vous dans une trattoria authentique pour goûter les saveurs locales. Cloche. Accrochez votre cadenas d’amour sur le pont de l’Académie. Jetez les clés dans le canal. Polluez l’environnement. Achetez un souvenir. D’Asie ou d’Europe de l’Est. Tout avant de rejoindre votre paquebot. Visitez Venise en moins d’une journée. Vous n’avez rien à perdre.

Venise. Son âme vendue au diable. Vendue au tourisme de masse. 28 millions de visiteurs annuels pour une population de 55 000 habitants. La ville se dépeuple. Ce parc d’attractions, dans lequel un paquebot à l’arrêt pollue autant qu’un million de voitures. La honte vénitienne. Aucun Vénitien n’apprécie le passage des bateaux devant la place Saint Marc. L’Unesco elle-même menaçait de retirer à la ville de Venise son statut de patrimoine mondial (classé depuis 1987). Non. Ma Venise est la Venise d’autrefois. Les commerces de proximité restent toujours en activité. Bravo. Venise en hiver. Tant mieux. Vous pouvez marcher tranquillement dans les ruelles. Et le soir, danser au rythme de la musique devant les cafés de la place Saint-Marc. Quelle joie ! Oui, tout me rappelle Venise. Tout. Ce bruit. Ce paquebot. Ces haut-parleurs. Ces voyageurs pressés. Mais, ce n’est pas le port de Venise. C’est le port de Sydney.

PAR MAUREEN S

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Enfant du vent

Le 15 octobre 1851 le « Earl Grey » arrive en Australie de Plymouth en Angleterre. Une famille irlandaise, Michael et Honora McMahon et leurs 5 enfants, sont parmi les passagers. La cadette, Caitlin âgée de 2 ans, a été laissée en Irlande. Quarante ans plus tard, Matthew McMahon, le troisième enfant qui avait 14 ans au moment de leur arrivée, raconte ses souvenirs de cette période.

Tout me rappelle ma vie en Irlande. Par contraste. Tout. Ici, tout est le contraire. Tout est à l’envers. Je suis à l’envers. Je ne suis pas chez moi. Ici, il n’y a pas de lacs. Pas d’averses. Pas de vents sauvages. Pas de falaises déchiquetées. Pas de rivières sinueuses. Ici, la terre est sèche. Brune. Une terre sans eau. Sans verdure. Sans prés de tapis verts. Sans branchages luxuriants. Une terre sans ombre. Sans abri. Sans refuge. Sans confort. Rien qui apaise le cœur. Rien qui console l’âme de ma famille. De mon père. De ma mère. Ici, aucune nappe de brume le matin. Aucuns embruns frais la journée. Aucune brise douce le soir. Ici, aucun tout-petit. Aucune Caitlin. Notre Caitlin. Notre petite Caitlin. Elle. Celle que mon père cherche. Dans chaque nouveau navire arrivant du nord. Il cherche. Partout. Il cherche. Sans succès. Sans espoir. Sans relâche. Caitlin. Elle qui n’arrive jamais. Caitlin. Le bébé de ma mère. Caitlin, celle pour qui ma mère pleure. Sans cesse. Sans répit. Sans réconfort. Mes parents cherchent. Ils sèment le vent. Ouille. Ils récoltent la tempête. Je le vois dans leurs regards. Dans leurs yeux. Dans leurs pas. Lents et lourds. Je l’entends dans leurs mots. Lents et lourds. Dans les notes mélancoliques des airs celtiques. Lents et lourds. Ils tendent les bras vers l’autre côté du monde. Vers ce poupon en Irlande. Ils portent cette petite dans leurs bras vides. Dans leurs cœurs vides. Ils courbent sous le poids de cette enfant chimérique qui ne grandira jamais. Qui ne les quittera jamais. Qui est toujours là. Entre eux. Entre nous. Mes souvenirs sont du vent. Légers comme l’air. Pouf. Comme les nuages. Nuages noirs…

PAR ERIN GABRIELLE WHITE

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Panda perdu

Tout me rappelle cette nuit. Tout. La nuit est tombée. La fête est finie. Gâteau partagé. Assiettes vides. Ballons éclatés. Tout le monde est parti, nous aussi. La voiture a démarré et est déjà bien en route. Trop tard pour retourner. Je le sais. Je ne dit rien. Je regarde par la vitre. Pas de larmes. Pas de plaintes. Pas un mot. De ma peur. De ma réalisation. De mon désespoir. De ma pitié. De mon regret. De ma haine de moi. De ma désolation. Mon père me demande, mains au volant, me regardant dans le rétroviseur glacé, si tout va bien à l’arrière, ma petite. Trop tard. Trop tard …

Mon Panda. Ma peluche. Noire et blanche. Gros yeux, ronds et fixes. Mon ami silencieux. Mon âme sœur. Mon premier amour. Ma responsabilité. Laissée sous l’énorme figuier après ma fête d’anniversaire. Tout seul. Espérant. Confiant. Sans doutes. Sans suspicion. Bien sûr, elle reviendra. Elle sera bientôt là. Elle ne m’oublierait pas. Elle ne m’abandonnerait pas. Pas elle.

Ah, quelle innocence ! Comment pouvait-il imaginer un tel moment de négligence infantile égoïste ? Un être si bon. Si attentionné. Si constant. Il reste fidèle. Sous la pluie. Sous les froides étoiles. Pendant l’été. L’hiver. L’automne. Le printemps. Des années. Des siècles. Perdu sous les feuilles du figuier mourant. Bras tendus. Comme un saint. Comme un martyr. Ne désespérant jamais. Il m’attend là, oui, sous l’arbre. Toujours croyant en une divinité indigne. Honteuse. Déshonorante. Longtemps après ma propre mort, il m’attendra. Oursin orphelin. Nounours céleste. Mon panda. Panda. Pan pan, pan pan, pan pan…

PAR URSULA

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Joséphine

Tout me rappelle ma tante Joséphine. Tout. Cette musique. Cet instrument. Cet endroit. Ce brouhaha d’anticipation. C’est mon premier concert. La pianiste, Lili Kraus. Libérée des Japonais. Tata déterminée de partager la joie de la musique. Pas de mari. Pas d’enfants. Pas de ressemblance à Joséphine de Beauharnais. Pas impératrice mais esclave de ses quatre frères. Situation normale dans une famille irlandaise. La première-née, elle s’est occupée des cadets toute sa vie. Sans enseignement étendu. Sans boulot hors de la maison. Sans occasion de voyager. Sans l’euphorie de conduire sa propre voiture, ou de ramer son propre bateau. Un grand émoi de regret me frappe quand je pense à sa vie à côté de la mienne. Son travail considéré comme un dû. Sa jeunesse dure. Son deuil caché pour le frère tué à Ypres. Son rôle de mère adoptive de mon cousin sans mère. Toujours prise pour acquis. Assez de misère. Sa sœur cadette très chérie. Ouf. Tante Josie a donné aux nièces et neveux leurs premières leçons de piano. Son fils adoptif est devenu un pianiste compétent et n’oubliait jamais son anniversaire. Nous adorions les secrets de la famille qu’elle partageait, même ceux des brebis galeuses, comme notre cousine, Violet, une danseuse de revue, qui s’est mariée à un soldat américain. Mais quand je pense à Joséphine, je me souviens de mon premier concert et de sa tarte aux oranges.

PAR CARMEL MAGUIRE

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