Michel Leiris

Textes composés par les étudiants
du cours ATELIER DE LECTURE ET ECRITURE CREATIVE,
inspirés par le texte 'Gorge coupée' (L'Age d'homme) écrit par Michel Leiris

Coeur brisé

Agée de quelques mois, je fus victime d’un abandon. Je veux dire que cela arriva lors de l’invasion japonaise de la Chine où nous vivions. Le soir, mes parents me mirent au lit dans une autre pièce, éteignirent la lumière et sortirent en fermant la porte, sans plus y penser. J’avais peur du noir ; l’obscurité était de plus en plus menaçante, les fenêtres rendues aveugles par des rideaux noirs, les attributs de la guerre. Je ressentis une lourdeur pesante sur moi, si lourde que je ne pouvais pas respirer. Je commençai à pleurer, mais personne ne vint ; je pleurais de plus en plus fort, mais personne ne m’entendait...  Personne ne s’en souciait.  J’étais toute seule, abandonnée.
Lorsqu’ils m’entendirent d’à côté, ma mère fut bouleversée et elle voulait venir à moi, mais mon père l’arrêtait à chaque fois et pour la rassurer et la persuader, lui dit : « Souviens-toi que les religieuses nous avaient conseillé de ne pas nous soumettre aux exigences de l’enfant. Elle va bientôt arrêter de pleurer. Le couvent a des murs minces et elles entendent tout. »
Sans doute, voulait-il le meilleur qui soit pour sa petite famille ; c'était un jeune couple débutant dans la vie, manquant d'expérience, reposant sur les conseils des religieuses du couvent où ils avaient loué deux petites chambres. Mais la situation s’avéra préjudiciable pour eux et pour moi. Je pense qu’ils avaient perdu une petite molécule de quelque chose de vrai en eux-mêmes, c’était de l'amour. Ils s’étaient trahis eux-mêmes et moi aussi. Voilà comment les choses se sont passées et par conséquent une petite distance s’était développée entre nous, surtout avec ma mère comme s'il y avait un stop écrit dans son cœur. Insécurisée et malheureuse, je grandissais enfermée à l'intérieur de moi-même, manquant de confiance et me demandant si quelqu'un m'aimait.
Quant à ces nonnes, je ne comprenais pas qu’elles m’eussent traitée si durement et sans pitié, envers un petit enfant dont les cris étaient si déchirants. De nos jours, s'il m'arrive de croiser un enfant qui pleure, j'éprouve un fort besoin de le réconforter.

PAR MARGARITA

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Un extrait du journal de Marie-Madeleine Leiris                                             

Vendredi, le 5 avril, 1907

Aujourd’hui, je trahis mon petit Michou. Je veux dire que sans le prévenir, je lui fis endurer une opération qui eut lieu sans qu’il fût anesthésié. En passant par la bouche, le chirurgien utilisa une curette pour « gratter » les végétations du fond de sa gorge. Quel cruel paradoxe que ce soit moi, sa mère, qui, malgré mes réserves, ait acquiescé à cette décision d’Eugène et des médecins : « Le geste en soi dure moins de cinq minutes et, dans tous les cas, les jeunes ne ressentent pas la douleur ».
Pire encore, j’avais acquiescé de ne rien dire à Michou. Comme je me sentais coupable en voyant sa joie à l'idée de célébrer tout seul une journée avec nous ! Sans doute prévoyait-il une sortie spéciale ; je ne dis rien pour le convaincre du contraire. Donc, il n’avait aucune idée de la dure réalité des choses auxquelles il serait confronté.
 Eugène sortit sa montre à gousset. Le fiacre nous attendait. À neuf heures vingt-cinq, nous arrivâmes. Ce n'était ni le cirque, ni le Magic City* qu’il imaginât. C’était le cabinet du chirurgien. Michou était confus et déçu. En voyant le docteur Duroc, notre vieux médecin de famille, il devint méfiant, puis craintif, ses yeux me regardant d’un air accusateur.  Voici comment les choses se passèrent : des sourires, des paroles creuses, une bonhomie complice entre les médecins, la détresse de Michou, nos tentatives inefficaces pour le calmer ; partout un air de duperie. Duroc le prit sur les genoux : « Viens, mon petit coco ! On va jouer à faire la cuisine. »  Michou était piégé sans pouvoir s’échapper et il le savait. La porte se ferma et on nous laissa attendre... écouter... s'inquiéter... et entendre ses cris. Par la suite, Michou ne dit pas un seul mot mais ses yeux exprimaient son choc devant notre perfidie atroce. Ce soir, je me sens honteuse. Comment puis-je regagner sa confiance ? Il n'y a qu'une seule réponse : « Sois honnête, admets ta faute ! ».

PAR MAUREEN S

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Enfant noyée

Âgée de quatre ou cinq ans, je me noyai. Ma famille fit une excursion en bateau et descendit à terre dans le petit youyou en bois, pour un pique-nique sur le sable, avec le panier à canne de saule, et à l’intérieur une poule cuite emballée de papier paraffiné et placée dans le bol de Bakélite. Après le déjeuner, certains d’entre nous nagèrent dans l’eau calme de la baie. Je portais mon maillot en laine et un bonnet de caoutchouc pour protéger mes nattes. Je dois vous dire que je n’étais pas une enfant aventureuse, mais pendant que les adultes bavardaient sur la couverture en laine à carreaux, je rentrai dans l’eau, toute seule, et, pas à pas, j’essayais de voir jusqu’où je pouvais aller. Le sable était doux sous mes pieds, l’eau, peu onduleuse, caressait mes chevilles. L’eau montait au-dessus de mes genoux, au-dessus de ma taille. Soudain mes pieds s’enfoncèrent et l’eau fut au-dessus de ma tête. J’étais effrayée, engloutissant les vagues, débattant les bras. Je suppose qu’un adulte me sauva, je ne me souviens pas, mais après, je vomis. Je m’assis sur le sable, enveloppée dans une serviette humide, gênée, malheureuse et châtiée. Non seulement je ne comprenais pas que les adultes ne m’eussent pas remarquée dans l’eau, mais sans doute eus-je été assez stupide, naïve et ignorante du danger alors que je ne savais pas nager.
À l’âge de onze ans, j’appris enfin à nager. J’avais peur de l’eau et je détestais les leçons. Finalement je me sentis en sécurité dans la piscine, mais jamais destinée à être une championne. La respiration restait un défi. A l’école, je dus nager cinquante mètres, deux longueurs pénibles de piscine, pour gagner la médaille de bronze de sauvetage. Je le fis une seule fois, et jamais plus. Tout de même, j’adorais nager dans la mer et surtout faire du tuba pour voir les animaux, les coraux, les poissons. C’est mon passe-temps préféré. Avec le tuba, la respiration n’était pas un problème et les palmes me propulsaient très vite. Aujourd’hui, j’ai découvert que nager avec le tuba et les palmes dans une piscine est très facile pour une femme de mon âge et un bon exercice. Un peu ridicule mais je ne suis pas gênée, et je fais plusieurs longueurs de piscine. Je n’ai plus peur de me noyer. Et je n’ai plus jamais vomi.

PAR ANGELA LOW

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Le guet-apens

Âgée de huit ans, je fus trahie. Ma mère et mes deux tantes étaient des patientes du docteur Frank B. Elles étaient convaincues que c’était un excellent praticien. Son cabinet était dans la rue Macquarie où se trouvaient les meilleurs médecins et dentistes. Si mes souvenirs sont justes, j’étais nerveuse mais c’était une nouvelle aventure. Ma mère m’emmena au rendez-vous en tramway. Voici comment les choses se passèrent : nous nous assîmes dans la salle d’attente. Une jeune femme appela mon nom et me dit que le dentiste était prêt. Je veux dire qu’une chaise qui basculait vers l’arrière aurait dû m’avertir que le pire était à venir ! Une femme âgée noua un bavoir de bébé autour de mon cou, et alluma une grande lumière au-dessus de ma tête. Enfin le docteur Frank arriva.
C’était un homme mince, âgé d’une cinquantaine d’années avec des cheveux gris ; il portait des lunettes argentées, une blouse blanche, des gants en caoutchouc et un masque. Il était assis sur un tabouret roulant. « Sommes-nous prêts ? Tu es entre de bonnes mains. » J’avalai et j’essayai de respirer lorsqu’il prit une sonde tranchante et une seringue qu’il plaça sur ma lèvre et un petit miroir ; puis il les mit dans ma bouche. Il poussa et poussa chaque dent avec cet instrument infernal ! En même temps, il donnait des informations à son assistant. Je goûtai le sang dans ma bouche. Il demanda une éponge, ça n’arrêtait pas, il avait l’air inquiet, il me dit de mordre fort sur une compresse de gaze. Sans doute eus-je l’air effrayée. Finalement le saignement s’arrêta et il commença à forer ; c’était un bruit que je n’oublierai jamais, résonnant dans mes oreilles et dans ma tête. Je voulais que ça s’arrête, j’avais mal, je voulais rentrer à la maison, je voulais ma mère.
Je ne pouvais pas arrêter de sangloter. Ma mère avait l’air perturbée. Nous rentrâmes chez nous en taxi. La famille était attentionnée, mais je me sentis trahie ; c’était un véritable guet-apens. Comment pouvaient-elles faire confiance à ce monstre ? Je ne retournerai jamais dans son cabinet. Je me souviens encore de cette peur !

PAR ANN B
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L’âge de femme

Ce jour-là, je commençai à me sentir maudite d’être une femme.  Ce n’était ni la première ni la dernière fois, mais sans doute fut-elle la pire.  Après la mort de ma fille, Madeleine, mon mari et notre curé m’assurèrent qu’un autre bébé me guérirait de mes soupçons noirs, que Dieu ne m’accorderait jamais une autre fille. Je les croyais, mais, lors de l’arrivée de Michel à la place de la fille désirée, Monsieur Leiris continua à m’irriter par ses demandes, insistant que je ne dorlote pas l'enfant ; ma résolution contemporaine était que je l’élèverais même plus strictement que ses deux frères ainés. Si mes souvenirs sont justes, quand Michel, âgé de quatre ou cinq ans, commença à cultiver des poses de rêverie où il était capable de rester immobile pendant des heures, bouche bée, son père consulta le vieux médecin de famille en qui il avait toute confiance. Le docteur Bouchier dit : « Sans doute votre fils souffre-t-il de végétations infectées. Une opération chirurgicale est urgente ».  Notre médecin choisit immédiatement un chirurgien de bonne réputation et très cher. Le matin de l’opération, son père décida que nous ne devions pas lui donner la raison de notre excursion. Il loua un fiacre et nous partîmes comme si nous allions à un parc d’amusement. Jusqu’à l’apparition du vieux médecin, non seulement je ne comprenais pas que mon enfant fût affolé, mais je ne comprenais pas que nous, les parents, fussions des ogres. Soudain jaillit le cri de bête. A partir de ce moment-là, Michel resta muet pendant les prochaines vingt-quatre heures ; mais mon enfant pensif, songeur, rêveur, quelquefois dans la lune, disparut, à tout jamais.  Voilà comment les choses se sont passées et je veux dire que je peux voir chaque jour les effets de ce jour sur sa carrière subséquente. Il avait cédé sans grâce à l’ordre de son père d’étudier la chimie et puis il avait abandonné notre foi catholique pour suivre les idées des éditeurs, écrivains, poètes et bolchéviques. Des chimères utopiques ! Chaque année, je vais à la basilique de Lisieux pour prier pour son âme devant la tombe de Thérèse, la petite sainte. Celle-ci croyait que la sainteté était accessible à tous. Et ironie du sort, à travers son amour pour toute l’humanité, noire et blanche, juive et chrétienne, Michel le croit aussi.

PAR CARMEL MAGUIRE

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Paris m’a blessée

Le matin du 3 avril 2001, il faisait très beau et la lumière était éclatante, une journée pleine de promesse et de joie. C’était le premier jour de nos vacances et seize de mes amis étaient venues en France pour fêter mon anniversaire à Paris, en Dordogne et sur le Canal de Bourgogne.
Tout le monde attendait les prochains 15 jours avec excitation ! Personne ne prévoyait le cauchemar qui allait se passer dans quelques minutes. Voici comment les choses se passèrent : toutes ensemble, nous regardions Notre Dame brillant dans la lueur, et pour la première fois depuis des années, sans échafaudage ni filet vert... tout était vraiment bien !
Tout à coup, je trébuchai, tel était du moins ce que je pensais, mais j’avais tort : mon pied fut percé par la pointe de fer d’une grille cassée située au-dessus du métro. Dès que j’essayais de libérer mon pied, il fut déchiré par la pointe de fer.

Mon sang s’étala sur les pierres de Paris.

Après avoir attendu longtemps, les pompiers arrivèrent dans leur voiture de pompiers… la sirène hurlait !
Gentiment, ils me mirent un pansement, me placèrent dans la grande voiture rouge et me transportèrent à l’hôpital… le même l’hôpital que celui de la Princesse Diana, sauf que, moi j’en ressortis... Après des heures, je quittai ce bon hôpital, avec des béquilles et la broderie de 34 pointes de sutures !

Les deux semaines suivantes furent très pénibles et intéressantes. Je découvris les secrets des systèmes médicaux en France avec les béquilles, les fauteuils roulants erratiques, les cabinets et les hôpitaux. Ce n’était pas du tout les vacances de mes rêves !
Pour tous mes camarades, il y eut quelques changements de planning ; j’avais besoin de beaucoup d’aide pour tout faire. Aujourd’hui, chaque fois que je regarde Notre Dame…

PAR JAYNIE SYMON

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Une coupe de cheveux brutale

J'avais six ans, c'était le jour de mon anniversaire.
Je fus victime d'une trahison affreuse. Ma mère m'avait promis une journée de soins, avec pour commencer une visite chez la coiffeuse.
Mes cheveux étaient ma fierté et ma joie ; j'adorais me faire dorloter. Mais cette journée de soins se transforma en cauchemar. Nous arrivâmes au salon de coiffure. Je m'installai sur la chaise. La coiffeuse, vêtue en pantalon jaune, avec un top à pois jaune et une jolie jupe qu'elle avait couverts de son uniforme, ses cheveux blonds attachés en queue de cheval, rappelant la parfaite poupée Barbie me dit : « Viens, ma petite ! On va te transformer et te donner un nouveau look très à la mode ». Sans doute eus-je l'air effrayée, mais son beau sourire qui s'étendait d'une oreille à l’autre me rassura. J'étais donc très loin de prévoir ce qui s'ensuivit, rendant le choc de cette opération beaucoup plus marquant. Tout d'un coup et sans avertissement, les ciseaux commencèrent leur attaque, leurs lames, armes impitoyables, s’approchèrent de mes tempes. Je regardais mes précieux cheveux tomber mèche par mèche par terre, révélant un look de garçon manqué et un visage choqué et traumatisé : j'avais l'impression d’être victime d'un assaut humiliant.
Voilà comment les choses se sont passées. Ma mère, qui m'attendit à côté, fut bouleversée. Le choc fut si violent que je n'étais pas capable de dire un seul mot : j'étais sans voix. Non seulement je ne comprenais pas que l'on m'eût trahi avec la promesse fallacieuse d’une expérience joyeuse, mais j'avais la notion d'une duperie, d'un piège de la part des adultes.
Ce souvenir, je vais vous dire, était le déclencheur de ma représentation d'une vie où tout ce qui peut apporter du plaisir n'est que mensonge : je me sens piégée dans un monde peuplé d’escrocs, où les apparences sont trompeuses et décevantes.

PAR AMANDA

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Michel, mon benjamin

Ce qui suit est un bref extrait de l’autobiographie de Marie-Madeleine Leiris, Aveux d’une femme au foyer 1929, Editions Gallimard.

Ce fut le pire jour de ma vie. Ce lundi-là, le 13 avril, précisément une semaine avant le sixième anniversaire de Michel, mon benjamin, mon monde changea à tout jamais. Ce jour-là, un gouffre s’ouvrit entre mon fils et moi, un gouffre large et profond sur lequel je ne sus jeter un pont, un gouffre qui dura plus de 20 ans. Mon mari et moi avions très soigneusement planifié l’agenda de ce jour important, le jour de l’opération des végétations de notre fils : nous n’avions rien laissé au hasard. Eugène avait commandé le fiacre qui arriva ponctuellement à 10 h ; tous trois, Eugène, Michel et moi, arrivâmes à 10h25 chez le chirurgien où notre vieux médecin de famille nous fit un bon accueil ; puis, notre médecin amena Michel jusqu’au chirurgien dans une pièce contigüe alors que Eugène et moi restâmes dans le salon d’attente. Jusqu’à ce moment-là (si mes impressions sont justes) tout se déroulait, point pour point, comme nous l’avions prévu. Mais, soudain, notre sérénité fut détruite : un cri épouvantable perça l’air. Maintenant je ne me souviens de rien, si ce n’est le ce cri effaré de mon enfant, un cri qui ressemblait au cri d’un agneau sur le point d’être égorgé, si ce n’est le regard plein de douleur de mon petit quand il émergea de son calvaire et du silence qui nous accompagna pendant notre retour. Un silence sans fin. Voilà comment les choses se sont passées mais, à cet instant-là, je ne réalisais pas le degré de gravité des conséquences. Je ne comprenais pas que, dorénavant, Michel eût perdu confiance en moi, en son père et en lui-même. Je veux dire que ce jour-là, je perdis mon fils, âgé de cinq ans, mon petit moulin à paroles. J’étais pleine de chagrin. J’avais été la première à l’initier au plaisir des mots, à l’endormir avec des chansons douces, à réciter avec lui des comptines, à choisir des livres pour lui. Chaque soir, j’entendais sa requête persistante : « Dépêche-toi, Maman ! C’est l’heure de notre lecture ! » Du jour au lendemain, cela cessa. Peu à peu, je comprenais que j’avais failli à mon devoir de mère. Sans doute eus-je dû expliquer à Michel le déroulement de ce jour, eus-je dû vérifier les méthodes de ce chirurgien célèbre et, le pire, eus-je dû rester avec mon fils pendant l’intervention pour le rassurer. Je l’avais abandonné. C’est inconcevable. Je l’avais délaissé. En effet, j’ai des regrets. Mais, bizarrement, tout est bien qui finit bien. Ce jour-là, une semaine avant le sixième anniversaire de mon fils, par négligence, un écrivain est né, un écrivain nommé Michel Leiris. Dans cent ans, on continuera à lire son œuvre. Je l’ai payé cher mais ainsi soit-il. Je l’accepte.

PAR ERIN GABRIELLE WHITE

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