Michel Butor

Textes composés par les étudiants
du cours ATELIER DE LECTURE ET ECRITURE CREATIVE,
inspirés d'un extrait de 'La Modification' de Michel Butor

Le Remix de La Modification

Adrien Alliot, célibataire, professeur d’histoire au lycée, s’apprête à échapper, pendant une semaine de vacances à Rome, aux deux grandes souffrances de sa vie, ses étudiants et sa mère. Aux portes de la liberté, il attend le départ du train.

Vos yeux, normalement sans étincelle, s’éclairent derrière vos verres très grossissants parce que la place côté couloir, dans le sens de la marche, à votre droite est libre, et vous installez votre valise sur le porte-bagages et votre serviette noire sur la paroi du corridor, vous pourrez commencer à vous détendre dès que les portes seront fermées, à l’instant où vous ne risquerez aucune intrusion ni des lycéens ni de maman, il ne fallait pas que ceux-ci perturbassent vos vacances, quand soudain, vos yeux de hibou remarquent un homme debout devant vous, son visage rubicond et difforme de colère, son attitude impérieuse, il vous domine comme le Mont Vésuve sur Pompéi, même si vous réalisez que vous êtes presque aussi grand que lui, ses cheveux ébouriffés sont plus gris que les vôtres et moins abondants, il semble distrait, son visage porte plus de rides et un froncement profond indique une certaine désapprobation, sa toilette n’est pas parfaite et, en effet, comme vous, il a probablement dormi dans ses vêtements hier soir, incapable de dormir, à cause de ses inquiétudes, qui sont différentes des vôtres, mais peut-être même plus insolubles ; sa chaussure chère marche sur votre pied, et son possesseur refuse de bouger, et vous aussi parce que vous ne lui céderez certainement pas votre place,

et sans grande fanfare, le train se met en marche, avec une petite saccade assez forte pour que votre compagnon indésirable tombât dans vos bras, il essaie de se relever et vous reculez attendant ses excuses qui n’arrivent jamais, dans ce compartiment maintenant plein de voyageurs, et ainsi vous, tous les deux, devez voyager face à face dans cette juxtaposition malheureuse, pendant les quinze heures et trois minutes que dure le trajet.

PAR CARMEL MAGUIRE

-

Le Diagnostic

Neville Chambers, un Australien qui travaille aux Etats-Unis, est un expert de renommée internationale en cancer de la peau. Il vient de s’adresser à ses collègues à Paris et demain, il va présenter les résultats de ses recherches les plus récentes à l’université de Rome. Il est assis dans le compartiment vide d’un train au départ à Paris-Gare de Lyon.

Faisant de votre mieux pour vous distraire du paquet de cigarettes qui brûle un trou dans votre poche, métaphoriquement parlant bien sûr, révisant dans votre tête les résultats de vos recherches que vous devez présenter à vos collègues demain à Rome, vous voulez de tout cœur que le train parte bientôt quand, soudainement, la porte de votre compartiment s’ouvre bruyamment à votre gauche et un homme d’âge moyen y entre comme un tourbillon et se tient très proche devant vous, un homme bien habillé, vêtu d’une veste à la mode avec un patch en cuir brun sur le coude qui se trouve au niveau de vos yeux, et portant une large alliance en or à l’annulaire de sa main gauche, une main qui serre une valise de haute qualité, si fort que les jointures de sa main sont blanches, une main où, tout à coup, votre œil observe, sur la peau brunâtre, un signe que vous avez vu des centaines de fois, cette irrégularité alarmante, et ce changement de couleur que l’homme, qui est en train de vous dévisager, agacé évidemment par votre présence dans une place que, peut-être, il veut occuper, ignore presque certainement ; vous êtes fatigué, vous n’auriez pas dû manger un repas si bien arrosé avec vos collègues hier soir, maintenant, vous êtes éreinté et vous savez que vous devriez conserver votre énergie pour demain et, bien qu’il ne fallût pas qu’on sût que vous aviez dépisté un symptôme inquiétant, vous croyez aussi que vous, en tant que docteur, vous devriez aviser cet étranger du danger de la tache cancéreuse si évidente sur sa main gauche, claire comme le nez sur son visage,

c’est une tache squameuse, un mélanome déjà bien avancé avec tous les signes avant-coureurs : une boule rouge, une masse surélevée dépassant de la surface de la peau, et tandis que le possesseur de cette main reste ancré au sol comme une statue devant vous, vous vous détournez de lui vers la fenêtre pour réfléchir à la meilleure marche à suivre : parler ou ne pas parler ?

PAR ERIN GABRIELLE WHITE

-

La conversation

François Annoni est journaliste sportif à L’Equipe, bien qu’il soit basé à Paris, il se rend fréquemment dans d’autres villes européennes, généralement en train car il n’aime pas les voyages en avion.

Si vous voyagez en train, vous pouvez rencontrer des gens différents, partager quinze heures dans un petit espace avec eux, bavarder, manger, voire dormir si une couchette est disponible, avec quelqu’un que vous ne reverrez jamais, même si vous préféreriez rester plus longtemps à destination, ne fût-ce que trois ou quatre nuits, les voyages de nuits étant si fatigants et distrayants, mais c’est toujours avec un sentiment d’anticipation agréable que vous attendez de découvrir qui sera votre compagnon de voyage, vous arrivez tôt, et vous vous installez confortablement dans votre siège réservé, puis il arrive et il est plutôt désagréable de voir cet homme d’affaires, plus âgé que vous, se déplacer avec sa valise, sur le point de trébucher jusqu’à sa place en face de vous et de tomber sur vous, ses pieds gênés par vos pieds,

et alors qu’il prend enfin sa place, vous remarquez que ses yeux sont rouges et qu’ils semblent parcourir nerveusement le compartiment comme s’il cherchait quelque chose, il semble transpirer abondamment, il a l’air mal à l’aise, comme s’il était suivi ou fuyait quelque chose, sa peau a une teinte grisâtre comme s’il avait le mal des transports mais le train n’est même pas parti, sa valise a l’air plutôt minable et il regarde ma serviette bourrée avec dédain ou curiosité, c’est difficile à dire ; le sifflet du train retentit, vous pouvez entendre les roues tourner, le voyage commence et pas un mot n’a été échangé.

PAR ANN B

-

Le Mystère se dévoile

Léon Dupont fait régulièrement des voyages d'affaires en train de Paris à Rome, Il aime s'échapper du chaos de Paris, de sa femme tenace et de ses deux enfants exigeants. Il en profite pour s'adonner à sa passion préférée, la lecture. Il vient de s'installer dans un compartiment vide.

Un homme entre dans votre compartiment, vous continuez à lire votre roman comme d'habitude, votre routine est interrompue par cet étranger debout devant vous, vous êtes agacé par sa présence et vous commencez à l’observer, un homme qui semble plus âgé que vous, une quarantaine d'années, son visage ridé indique une vie stressante, ses cheveux sont laqués et plaqués en arrière, ses mains tremblantes, ses ongles rongés, il porte un complet gris-noir à rayures, une cravate rouge qui ne va pas avec son costume, des lunettes rondes noires qui ne parviennent pas à cacher ses yeux qui clignotent continuellement, il porte une mallette gravée à son nom : Léon Delmont, et vous devenez de plus en plus intrigué par cet homme mystérieux, le train commence son voyage et finalement ce Léon-là s'installe à côté de la fenêtre, regardant dehors comme s'il cherchait une échappatoire, il sort un document enroulé de sa mallette et ses mains gesticulent, il croise et décroise les jambes, il tient ce papier contre sa poitrine, votre curiosité augmente, vous vous levez alors, il fallait que vous vous dégourdissiez les jambes, c’est alors que, du coin de l’œil, vous apercevez sur son document les mots "Agence de rencontre",

vous sortez fumer dans le couloir, et à votre retour, le compartiment est vide, la fenêtre ouverte, aucun signe de Léon, la seule trace de cet homme est le document déchiré au sol ; vous le réassemblez avec soin et vous découvrez une photo jointe, une photo retouchée de Léon qui ne ressemble guère à ce passager qui partageait votre compartiment il y a un instant, un homme sans rides, son visage ne montrant aucun signe de stress, ce document dont vous parvenez à lire les mots suivants : "Homme sûr de lui, grand et beau, cherche un rendez-vous avec une jeune fille italienne".

PAR AMANDA

-

L’inconnu

Henri Munier, un homme soigné, responsable d’une entreprise gouvernementale, muni d’une valise, entre dans le compartiment d’un train au départ de Paris gare de Lyon à destination de Rome.

Vous entrez dans votre compartiment, avant le départ pour Rome, avec votre valise bleu marine sécurisée d’une sangle et identifiée par son porte-adresse, vous restez debout bien qu’il y ait trois places dans le compartiment, vous avez peut-être trente ans ou quarante ans et vous mesurez plus d’un mètre soixante-quinze mais moins de deux mètres, vos cheveux blond-gris et vos mains aux ongles bien soignés ainsi que votre costume de laine fine suggèrent que vous, si vous travaillez, c’est dans une entreprise ; mais vos poings serrés ainsi que le froncement de vos sourcils indiquent que vous avez des difficultés au bureau ou chez vous,

un homme inconnu vous dévisage à cause de votre immobilité et votre regard distant, finalement vous vous asseyez juste avant le départ du train pour Rome.

PAR MERILYN B

-

Un train de pensées

Jean-Paul Dufort, mauvais avocat, se trouve regrettablement piégé dans son siège dans le train à destination de Rome. Équipé d’une mallette placée au-dessus de sa tête, il se rend à un rendez-vous avec un nouveau client important et bien connu.

Vous ne savez pas pourquoi ils vous ont choisi, ni pour aller dans la jolie ville de Rome où vous n’avez jamais pensé voyager, ni pour cet emploi que vous détestez car c’est toujours vous le coupable, toujours vous qui êtes mal placé pour trouver les solutions aux problèmes des gens qui ne sont pas fâchés, mais plutôt furieux, au visage plein de mépris et qui rougissent d’une colère inévitable, infantile et stridente, et à cause d’eux, vous êtes là, en train d’examiner l’homme debout devant vous ; un homme très soucieux comme vous, qui porte des vêtements inconfortables comme un enfant qui va à l’église, sous le regard d’un Dieu si cruel qui l’accueille dans sa maison le dimanche, car c’est important d’y aller, malgré l’injustice d’avoir interrompu un beau matin libre quand le soleil aurait pu tomber amoureux de sa peau, tandis que son cœur cliquetait dans sa poitrine maigre et osseuse,

un homme qui ne vous remarque pas, même quand il fallait que vous bougeassiez votre pied parce qu’il occupait trop d’espace dans le corridor, avec une excuse de fatigue dans son expression tendue et inquiète, vêtu de malheur comme s’il portait une cape trop grande pour lui, un homme trop petit pour sa magnitude, un peu trop vieux et ordinaire pour toute la tristesse qu’il met en scène, il se sent en droit de projeter ses pensées lugubres ou mélancoliques, et pour cette raison, vous le regardez avec irritation, trop poli et trop stressé pour faire l’effort de lui expliquer que tout dans son comportement vous gêne et vous agace, vous vous tournez vers la fenêtre, et vous ouvrez le rideau avec un doigt blanc mais entaché de tabac qui tremble d’impatience et qui vous rappelle votre manque d’importance.

PAR MEGAN W




Using Format