Maxence Fermine

Textes composés par les étudiants
du cours ATELIER DE LECTURE ET ECRITURE CREATIVE,
inspirés par le roman 'Le Violon noir' écrit par Maxence Fermine

Une acropole dans la jungle

A Pâques, en 1965, avec des amis, j’ai conduit de Bangkok à Siam Reap au Cambodge, pour visiter les ruines d’Angkor. Angkor était un lieu à la fois réel et inimaginable, où rien ne semblait impossible. Un incident, en particulier, n’est jamais sorti de ma mémoire.
Au matin de la première journée de notre trajet, nous partîmes de bonne heure de l’Auberge. Il faisait déjà chaud et l’escalade au sommet d’Angkor Tom fut épuisante, alors que les chauves-souris volaient et roulaient sous le toit comme des hirondelles. Vers deux heures, nous arrivâmes à l’intérieur des ruines où les arbres ‘fromagés’, d’après l’épithète attribué par les archéologues, continuaient leur bataille contre les pierres, les murs et les statues faites par des mains humaines. Ici, l’air devint relativement frais et, à mon grand soulagement, le pas du groupe ralentit. Nous entrâmes dans une clairière dominée par un grand bâtiment qui ressemblait à un temple classique dont les piliers étaient ronds, en contraste avec les lignes pointues et anguleuses du style d’architecture du reste du complexe. Envoûtée par ce lieu mystérieux, obsédant et merveilleux, je n’entendis guère la voix de l’ami qui avait pris sur lui de piloter notre petit groupe : – Il y a beaucoup de choses à voir.  Ne vous attardez pas.
Dans le silence et la tranquillité de cette grotte, si ancienne, si oubliée, je réalisai que j’étais seule.  Soudain, un son de musique arriva à mes oreilles, des notes douces et hantées dont l’origine restait obscure. Quand mes yeux se furent accoutumés à la lumière faible dans le temple, je vis la figure d’un petit homme, nu, à part un sarong, les cheveux longs, une flûte de bois minuscule aux lèvres. Sa musique, plaintive et entraînante, remplit mon âme. Alors, fermant les yeux, je me laissai aller à la rêverie.
Je me réveillai quand la musique cessa, et soudain le musicien apparut à côté de moi, la flûte à la main tendue. Il était le seul autochtone que je rencontrasse. Il y eut simultanément quelques petits mouvements aux environs, et j’entrevis d’autres petites figures qui émergeaient de la jungle. Je pensai à la situation de Gulliver, pieds et poings liés par les Lilliputiens et je fis volte-face et m’enfuis de la scène. Cette retraite ne fut ni nécessaire ni digne.
Le soir, à l’Auberge, je commençai à réaliser que j'avais perdu une opportunité.  Des amis avaient aussi rencontré des musiciens ; ils avaient acheté des instruments et ils avaient reconnu l’humanité partagée des sculpteurs. Les circonstances de vie peu souvent ressemblent avec celles de la jungle. Même dans la jungle, l’humanité survit. Maintenir du courage est souvent le meilleur principe à adopter.

PAR CARMEL MAGUIRE

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Olga Dormidontovna Makovetsky

Sophie jouait dans le jardin d’enfants quand Olga, son institutrice, entra, la prit par la main et l’emmena dans le hall où se trouvait une estrade. Elle expliqua à Sophie qu’elle passerait un merveilleux moment sur la scène à jouer avec les autres enfants.  Dans les coulisses, elle lui mit une jolie robe et lui brossa les cheveux en boucles. Sophie ne savait pas pourquoi mais elle avait des frissons et se sentait heureuse. La petite institutrice lui racontait tout sur la pièce que Sophie allait interpréter et quel serait son rôle ; ses yeux brillaient comme s’ils étaient éclairés de l’intérieur. L’institutrice l’amena sur scène et lui chuchota - quand tu entres en scène, marche au centre et dis bien fort : ‘’Quant à moi, je comprends tout‘’. Sophie interpréta son rôle avec conviction et avec joie. Le spectacle se termina sous des applaudissements enthousiastes. Sophie ressentit un frisson qu'elle n'avait jamais ressenti auparavant.
Après l’entracte, Sophie s’assit avec ses parents au premier rang et le rideau s’ouvrit.  Il y avait un piano à queue et un jeune homme entra, vêtu d’un smoking. Il s’assit au piano et attendit.  Ensuite entra l’institutrice, mais elle était différente. Vêtue d'une magnifique robe brillante, la petite femme avait grandi en stature, elle était majestueuse, prête à occuper la scène et à toucher le cœur de toutes les personnes présentes.  Elle fit un signe de tête au pianiste et il commença. Elle se dirigea vers le piano à queue et nichée dans sa courbe, elle chanta une petite chanson qui racontait l’histoire d’un petit moineau perdu, seul dans une forêt.  Elle chantait si doucement, presque en chuchotant, que Sophie vit le calme de la forêt, ses grands arbres, le soleil disparu et le petit oiseau impuissant sur le sol. Sophie sentit un pincement au cœur et eut envie de pleurer.
La chanteuse termina, sourit à Sophie, tendit les bras vers le public, fit une révérence et quitta la scène. Le public fut impressionné : Bravo !  Encore !
Le petit moineau triste avait conquis le cœur de Sophie.  Mais c'était l’institutrice, elle seule, qui avait touché l'âme de Sophie. Sophie devint chanteuse et comédienne. Elle n'oublierait jamais la chanson du petit moineau.

PAR MARGARITA
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Le piano parlant

C'était le jour de l'anniversaire d'Amanda. Son amie Carla, une maquilleuse, accompagnée de son mari Clive, ingénieur du son pour Elton John, lui avait promis une surprise. Amanda venait d'arriver à Londres en provenance d'Australie et ils la rencontrèrent à l'aéroport pour l'emmener vers une destination secrète. Le ciel gris et bas lui rappela qu'elle était hors de sa zone de confort. Elle frissonna d'anticipation.
La voiture s'arrêta à côté d'une porte de sentinelle, lui donnant l'impression d'être à Buckingham Palace. C'était le château Elton John. Tout à coup, il apparut, vêtu de knickerbockers en velours rose, tête chauve sauf quelques mèches de cheveux qui partaient dans tous les sens. Son entourage s'alignait à ses côtés. Il m'offrit la main et m'invita à une visite guidée de son manoir. Je le suivis, et ainsi commença une complicité inexplicable. Un silence tomba lorsqu'on traversa une myriade de corridors, ses petites mains joufflues pointant les œuvres d'art accrochées aux murs. Elle se sentit captivée.
Le silence fut interrompu. Il expliqua qu'il venait d’apprendre que son ami coursier Guy avait été tué à moto. La visite guidée finit abruptement dans une petite pièce avec un escalier en colimaçon menant à un piano à queue. Sans dire un mot, il monta, prit place au piano et commença à jouer. Il semblait accablé d'émotion, ses doigts chargés comme des piles glissaient sur les touches. Des larmes coulaient sur son visage pendant que les notes de musique racontaient leur histoire. Amanda sut qu'elle était la seule, la seule qui fût le témoin du premier jet de sa composition ‘Song for Guy’. 
– Elton, ta musique me bouleverse, je lui dis plus tard.
A partir de ce jour-là, Amanda comprit la puissance de la musique - raconter une histoire, compenser la solitude, apaiser la souffrance.

PAR AMANDA
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La professeure d’art

A quatorze ans, Angela découvre la fascination pour l’art grâce à sa professeure d’art.
A l’école en 1960, je suivis un cours d’art en périscolaire, une fois par semaine, avec ‘Miss Perry’. Cette prof ressemblait à une clocharde. Elle portait une longue robe brune, informe, des bas épais en fil d’écosse, des grandes chaussures plates et au-dessus, toujours, un miteux feutre marron. Elle n’avait que 60 ans mais pour nous, elle paraissait très, très vieille, avec des cheveux gris et des lunettes à monture invisible. Mais ses yeux brillaient avec chaleur. Sa voix était douce et australienne.
Après les classes du jour, une dizaine d’entre nous se retrouvait dans l’atelier (à côté du pub sale, strictement hors limites). Là, nous nous asseyions à califourchon sur les chevalets de bois, chacune avec une ancienne chemise de papa, qu’elle mettait à l’envers pour protéger son uniforme. Une feuille de papier était attachée à la verticale, les pinceaux et les peintures prêtes à portée de main. ‘Miss Perry’ donnait le sujet du jour... un portrait, un animal de compagnie etc., et une fois ‘le clair de lune’. Je peignis une scène noire avec tous les objets qui se profilaient en blanc. Il ne me plaisait pas. Je n’étais pas aussi douée que June, la meilleure étudiante. Je ne serais jamais artiste.
Au fil des années, je découvris tant de tableaux d’artistes célèbres, comme les impressionnistes de France.
 - Donc, c’est ça que Miss Perry voulait qu’on peigne… la lumière !
‘Miss Perry’ ne parvint pas à faire de moi une artiste, mais elle réveilla en moi le plaisir des grandes œuvres d’art. Dans les musées australiens, je retrouvai des artistes célèbres d’Australie : Roland Wakelin, Thea Proctor, Margaret Preston, Roy de Maistre, Lloyd Rees… et parmi eux, Adelaide Perry, notre ‘Miss Perry’. Je compris qu’elle exposait ses œuvres avec ces grands maîtres, et attirait de bonnes critiques. Dans la Galerie de Portraits à Canberra, il y a un portrait de l’artiste Violet Teague, peint par Adelaide Perry. Il est accompagné d’un enregistrement de sa voix, de 1965. La même voix douce. On ne se doutait pas qu’elle était une artiste si renommée.
Le pub sale n’est plus hors limites. Mon école l’a acheté et reconstruit, et l’a nommé The Adelaide Perry Gallery, pour faire connaitre de belles œuvres d’art aux étudiantes et au grand public. Chaque année, l’école offre un prix pour les dessins, The Adelaide Perry Drawing Prize, évalué à $25 000. ‘Miss Perry’ est donc honorée pour ses 15 ans de service en tant que professeure d’art. Mais nous, les jeunes filles, n’étions pas conscientes de sa célébrité, nous ignorions tout des grands peintres. Grâce à Miss Perry, aujourd’hui j’apprécie l’art du monde.

PAR ANGELA LOW
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Peter Finch et moi

À dix-sept ans, je découvris le dramaturge français Molière et Peter Finch.
Il y a plus de soixante ans, nous passâmes nos examens finaux au lycée et l’étude d’une pièce particulière de Shakespeare était obligatoire. Au début des années cinquante, une troupe de théâtre, ‘The Mercury’ visitait les écoles pour encourager l’appréciation des pièces dramatiques du monde entier.
À cette occasion, la pièce choisie par mon école était « Le malade imaginaire » de Molière et l’acteur Peter Finch joua le rôle d’Argan. C’était une révélation, c’était notre introduction au vrai théâtre. Nous vîmes Shakespeare au cinéma. Mais c’était différent ! J’étais amusée, fascinée et un peu étonnée, par le sujet et la langue ; la traduction bien sûr était un peu audacieuse. J’adorais l’ironie et l’utilisation de la satire contre les charlatans médicaux. Monsieur Finch était brillant et après la représentation, nous nous réunîmes pour discuter de notre interprétation de Molière et de la pièce. Peter dit que l’auteur français n’avait que 51 ans quand il mourut. Il semblait intéressé par nos commentaires.  Il ajouta - William disait que le monde entier était une scène. Peut-être que Molière serait d’accord.
Peter était un assez bel homme, de taille moyenne avec des yeux pétillants et un sourire engageant. En 1957, je jouais dans une pièce « Le Critique » de R.B. Sheridan à l‘université. C’était une parodie pleine d’esprit de la scène londonienne du XVIIIe siècle.
Peter était à Sydney et vint à l’improviste pour assister à notre répétition générale. Il était plein de suggestions utiles sur le tempo et il nous conseillait de ne jamais trop jouer, même dans une comédie. Le premier soir, je reçus un bouquet de fleurs avec une note de Peter pour me souhaiter bonne chance. C’était le point culminant de ma carrière d‘actrice et peut-être la fin car j’échouais à mes examens.  Je gardai les pétales séchés et la carte dans un livre pendant de nombreuses années. Parfois je lisais le message et sa voix me disait de toujours vivre le personnage que j’interprétais.
Peter devint l’un des acteurs les plus célèbres au monde. Il gagna beaucoup de prix et en 1977 il reçut un Oscar à titre posthume pour son rôle de Howard Beale dans le film Network. Ce fut la meilleure représentation. Il mourut à soixante ans. Trop jeune pour mourir !!

PAR ANN B

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Monsieur Lucas

Monsieur Lucas était un Australien Grec. J'étais à la fois observatrice et membre de famille par alliance dans les dernières années de sa vie.
Monsieur Lucas était le grand-père de mon mari. Quand je le rencontrai, c’était un homme âgé, beau, à l'allure distinguée, de bonne humeur et de nature charmante et accueillante. Le peu de cheveux qui lui restaient étaient blancs. Il plaisantait en disant que le coiffeur lui facturait des « honoraires de recherche » pour trouver quelque chose à couper. Je voyais un homme bien dans sa peau. Lors d'occasions spéciales, il portait un costume trois pièces à fines rayures ; mais au quotidien, il portait un pantalon et une chemise en été, et en hiver, il ajoutait l'un des pulls que sa femme avait tricotés pour lui. Il soignait son apparence.
Pour sa famille, il était Jean, papa, et grand-père. Pour tous les autres, il était Monsieur Lucas, nom exprimant la formalité de sa génération mais surtout, un signe de respect. Chacune des familles de ses enfants avait aussi un « Jean », plus par affection que par tradition. Le mot « Grand-père », toujours exprimé sur un ton affectueux, indiquait son statut pour la jeune génération.
Il aimait transformer des sujets insignifiants en fausses discussions sérieuses. -       Dois-je déplacer mes tomates dans un endroit plus ensoleillé ?-       Ma salade aurait-elle meilleur goût avec de l'origan ou du basilic ?-       Quand pensez-vous que je devrais commencer à porter mes sous-vêtements d'hiver ?Ses petits-enfants se livraient volontiers à ses caprices. Chez lui, il était le cuisinier et bien que son répertoire ne soit pas vaste, il connaissait des plats grecs essentiels – soupe aux œufs et citron, dolmades, poulet et pilaf, agneau rôti, poisson et comme dessert, crème de riz. Il me fit découvrir la cuisine et la culture grecques. Il m’apprit à faire le café grec, sa boisson favorite.
Il y a 36 ans qu’il est mort. Sa générosité d'esprit demeure dans les histoires et les souvenirs que ses petits-enfants racontent à leurs enfants. Il était un rayon de soleil qui respirait la joie. Ce fut un privilège de l'avoir connu. Il enrichit ma vie.

PAR MAUREEN

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