Marguerite Duras (2)

Textes composés par les étudiants
du cours ATELIER DE LECTURE ET ECRITURE CREATIVE,
inspirés par 'La douleur' de Marguerite Duras.

L’ Attente

Le téléphone sonne. Est-il 2 heures ou 3 heures du matin ? J’ai sommeil. Je ne veux pas répondre. Mais en même temps, j’attends les nouvelles. Une sensation désagréable dans ma bouche, une lourdeur dans ma poitrine. Je trébuche hors du lit et tâtonne vers l’appareil dans la semi-obscurité. L’appareil est dans le couloir, juste en dehors de la chambre. Je me dis que je devrais le placer à côté du lit. « Allô. » Je peux à peine parler, ma gorge est sèche. La voix à l’autre bout dit : « Mme Lenoir ? » Je suis sans voix. Elle répète : « Mme Lenoir ? – Oui. » Je sais que c’est l’hôpital et qu’ils vont demander la permission d’arrêter son soutien vital. Ou alors il est mort ?… « Non, ne l’arrêtez pas, il va peut-être se remettre demain comme il l’a fait hier et le jour précédent. »

Elle repose le téléphone et s’enfonce sur la chaise à côté de la table, épuisée, le coude sur la table, la tête bercée par la main. Silvie apparaît hors de l’ombre, se frottant contre ses jambes, ronronnant. Un petit fantôme blanc. Elle prend le chat et le chat se blottit contre elle. Le petit chat est totalement à son écoute et ils restent ensemble comme ça, longtemps. Les larmes lui montent aux yeux mais elles ne couleront pas… Elle a froid, elle se lève, et avec Silvie sous le bras, elle se rend à la cuisine pour prendre des comprimés, qui seront suivies de Scotch. Cela pourrait enrayer la douleur dans ma poitrine et m’aider à dormir. Le téléphone ne sonnera plus.

… Je ne peux appeler personne. Je ne peux parler à personne.

La maison est silencieuse, tout est immobile, en attente. Elle pose la tête sur l’oreiller, les yeux ouverts. « Et ensuite, Silvie » dit-elle doucement.

11 heures. Robert l’appelle. « Comment ça va ? », demande-t-il. Elle lui répond et d’après lui, elle semble lointaine. Sa voix est fluette. Elle lui dit qu’elle se sent un peu étourdie et qu’elle doit s’asseoir. Puis, le silence… Il se précipite chez elle. Il la trouve là. Elle est sur la chaise, immobile.

PAR MARGARITA

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L’Echo

Ce qui suit est un extrait de Mémoires d’une Australienne, la dernière œuvre de Marie Edwards, âgée de 90 ans. L’incident ci-dessous a eu lieu quand l’autrice avait 6 ans.

« Quand vas-tu à l’hôpital, Jo ? » Je m’arrête brusquement devant la porte du fond. C’est la voix retentissante de mon oncle. Je tends l’oreille, mais la réponse de ma mère m’échappe. « Et Marie, où ira-t-elle ? » demande mon oncle Louis. Mon cœur cesse de battre : je vais aller où ? Je me suis glissée plus près de la porte du salon mais les mots de Maman m’échappent encore. Rien qu’un bourdonnement sourd. Je cours vite dans ma chambre et enlève mes vêtements d’école. En fermant doucement ma porte, les bribes de conversation disparaissent mais les mots sonnent toujours dans ma tête : hôpital ? où va Marie ?

Pendant les jours suivants, je n’ai pas quitté Maman des yeux et des oreilles. Je l’ai suivie comme son ombre et rien de ce qu’elle a dit ou fait ne m’a échappé. J’étais sûre qu’elle allait disparaitre, que l’hôpital allait l’engloutir au moment même où je ne la regarderais plus. Si elle allait à l’hôpital, alors j’allais l’accompagner. Une Maman ne peut pas aller à l’hôpital sans son ombre. Vrai, n’est-ce pas ? Et bien, ce n’est pas vrai !

Quand a-t-elle disparu ? Qui m’a hébergée pendant son absence ? Je ne sais plus. Le beau navire de ma mémoire ne peut plus avancer ou reculer, il est encalminé, comme s’il y avait des trous dans la brise. Sans vent, tout est silencieux, tout est immobile, sans souffle. « Tel un vaisseau peint sur une mer peinte ». Combien de temps suis-je restée dans ce trou sans fond ? Combien de jours ai-je attendu ? Tout ce que je sais c’est que c’était un trou. Une déchirure dans l’étoffe du temps.

Mais le vent revient et ma mémoire me propulse vers l’hôpital. Nous naviguons le long d’un couloir d’une blancheur éclatante évitant infirmières, chaises, tables et lits, avançant toujours au cœur d’un remue-ménage, d’un piétinement, d’un brouhaha général jusqu’au moment où nous émergeons dans une véranda close pleine de lits identiques, plats, oblongs et tous alignés. Au fond, sous la lumière criarde, se dressent des hautes fenêtres de verre dépoli et je me sens propulsée vers le lit au-dessous de ces vastes rectangles de clarté opaque. Je ne veux pas y aller. Je ne veux pas la voir. Cette créature blafarde. Je ne la reconnais pas. Ce visage blême. Qui est-ce ? « Marie ! » supplie une voix pâle « où es-tu ? ». Je ne la reconnais pas. Devant cette ombre, cet écho, devant elle, je recule, je me sauve, je disparais. Mais je n’oublie pas. Plus de 80 ans plus tard, dans ma tête, résonne encore cet écho maternel : « où est-elle ? Marie, où est-elle ? »

PAR ERIN GABRIELLE WHITE

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L’ouïe précieuse

Le téléphone sonne. Un son retentissant. Il faut que je me dise que le téléphone est une bonne invention. Mais le téléphone est transformé en une force maléfique, porteur des nouvelles que j’attends avec une certaine impatience : les résultats du IRM du cerveau. Expérience en soi, exacerbant mon état d’anxiété. « Allô, allô, vous avez des nouvelles ? – Aucune nouvelle. Rien » Ne pas crier de me laisser tranquille. D’où vient cette terreur ? Ne répond pas au téléphone.

Je le laisse tomber à côté de mon lit.

On n’existe plus à côté de cette attente.

Le téléphone sonne. Je le mets en mode silencieux, ce monstre aux pouvoirs d’imposteur.

Le son d’un vibreur me réveille. C’est mon amie Dolores. Elle hurle sa joie d’être promue directrice de sa compagnie. Ses cris jubilants grincent à mes oreilles. Je suis dans un autre monde. D’où viennent ces attaques de panique, cet état d’anxiété, ma tendance aux pensées obsessionnelles à l’égard de ma santé ? C’est une tumeur, j’en suis sûre. Mon mal de tête se répand vers mes tempes, je me sens prise de vertige. Raccroche le telephone !

Le téléphone sonne. J’entends un nouveau son. Cette fois, c’est une trompette. Pourquoi la sonnerie change-t-elle ? Je ne sais plus comment expliquer mon sens de l’ouïe mutant. Tous les voisins de mon immeuble partagent mes préoccupations. Eux aussi attendent les nouvelles. Est-ce que ça touche à l’égoïsme ? Je ne sais pas exactement. Il n’y a pas de secrets dans mon immeuble, on est en famille.

Le coup de fil tant redouté arrive. Un invité anonyme. Respiration saccadée. « Il n’y a aucune trace de tumeur sur cette IRM ». Toutes les portes sont ouvertes. Tous les voisins sont là. Respiration spontanée. D’où vient cette préoccupation anormale ? Je ne peux pas l’expliquer. C’est l’organisation des neurotransmetteurs. C’est ça. Respiration libre et profonde

PAR AMANDA

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La Douleur

Devenue aujourd’hui une adulte avec sa propre famille, la narratrice a essayé de prendre contact, par lintermédiaire d’une agence, avec son fils biologique quelle avait donné en adoption à la naissance. Elle attend une réponse à sa proposition de se rencontrer.

Chaque soir, mon mari me demande : « Tu as reçu une réponse aujourd’hui ? » Chaque soir, ma fille me pose la même question : « Tu as reçu une réponse aujourd’hui ? » Moi, j’attends chaque jour en silence le clic du rabat sur la boîte aux lettres. Il m’annonce l’arrivée du facteur. Je regarde chaque jour depuis ma chaise le courrier qui tombe sur le sol. Rien, dis-je à mon mari. Rien, dis-je plus tard à ma fille. Leur réponse, comme leur question, est la même : « Rien ? Vraiment ? »

Encore une fois, le courrier tombe sur le sol. Elle peut voir l’enveloppe. Elle est différente. Personnelle. Elle a peur de bouger. C’est de lui ? Que va-t-il dire ? Qu’il ne veut pas la voir ? Qu’elle ne l’intéresse pas ? Qu’il ne peut pas lui pardonner ? Le silence de la maison l’entoure. Elle se déplace pour ramasser la lettre. En la lisant, ses mains tremblent. J’ai éclaté en sanglots. Il a accepté de me rencontrer et il a proposé un lieu et une heure.

Il y a plusieurs années, quand j’ai rencontré mon mari, je lui ai expliqué l’attente longue et honteuse de la naissance d’un bébé lorsque j’avais 16 ans. J’ai expliqué la douleur d’avoir donné mon fils en adoption et de l’avoir ainsi abandonné. Je n’avais pas le choix. Plus récemment, je l’ai expliqué à ma fille. Ils étaient heureux pour moi ce soir.

J’attends dans le café bondé. Je vois un jeune homme entrer. Je sais tout de suite que c’est lui. Sa mine est sérieuse et son air est incertain. Il semble plein d’appréhension. Il me regarde. J’ai vu la faible lueur d’un sourire de reconnaissance. Il s’approche de moi. Avec une énorme vague de soulagement, je sais que nous serons capables de partager un avenir ensemble. Enfin.

PAR CM

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Le cyclone

Comme d’habitude, notre famille a loué un appartement pour l’été à la Gold Coast dans le Queensland. Ainsi nous trouvons-nous en janvier 1948 dans un appartement au-dessus de l’océan à Burleigh Heads, en pleine saison cyclonique. Pendant la semaine, Papa travaillait à son bureau à Brisbane, et revenait le vendredi soir pour le weekend. Maman, mes sœurs et moi, nous anticipions toujours son arrivée avec impatience.

La pluie commence le matin et devient forte au déjeuner. Un vent d’orage arrive. Les oiseaux quittent les lieux. Vlan, vlan, vlan ! Des rafales de vent claquent les fenêtres. Elles agitent les portes. Où est Papa ? Le vent souffle en tempête. Vlan, vlan, vlan ! Les fenêtres s’ouvrent. La pluie torrentielle entre à flots. Il fait noir. Où est Papa ? Pourquoi il n’arrive pas ? Des tôles ondulées volent des toits. Comme les pages d’un journal. Soudain une explosion. La maison est plongée dans l’obscurité. Dans la rue, les fils électriques sifflent et crépitent. Des étincelles partout. Où est Papa ?

« Où est-il ? je continuais à gémir. – Où se trouvent les bougies », a demandé ma mère. Une femme pratique. Tous les matins, après avoir nagé, nous nous promenions longtemps sur la plage avec Papa. Il récitait son poème préféré, le Naufrage de l’Hespérus. Maman revenait dans la cuisine pour préparer le petit déjeuner. Pendant le cyclone, elle n’a pas seulement trouvé des bougies mais elle a aussi allumé une lampe à pétrole. Avant l’orage, je pensais que ma mère était un peu timide. Pas vrai. J’étais ravie de la regarder dans son rôle de commandant en chef. Et puis, le bruit a cessé.

Le silence s’installe. La porte arrière s’ouvre et voilà mon père, un autre homme et un petit garçon, tous les trois trempés jusqu’aux os. Ils ont attendu dans notre voiture sous la maison jusqu’à l’arrivée de l’oeil du cyclone. Une crue subite a laissé l’homme et le garçon en rade sur la grande route. Leur voiture était en panne. Et Papa leur est venu en aide. Maman leur donne des serviettes pour se sécher. Elle donne au garçon mon pyjama, rose et joli. Quand il réapparaît, Maman me jette un regard si sévère que je cesse immédiatement de pouffer de rire. « Dépêche-toi, elle me dit, vérifie que tous les verrous sont bien… » Le reste de la phrase se perd dans le bruit énorme du retour de l’orage.

De nouveau, les rafales de vent, les portes et les fenêtres claquent, et les sons du toit qui suggèrent qu’il est peut-être prêt à s’envoler. La lumière des bougies et de la lampe rend l’atmosphère agréable. A l’extérieur, les vents agitent l’océan et nous pouvons voir les vagues sauter de plus en plus haut. Notre frère provisoire est tolérable. Porter mon pyjama rose ne l’embête pas et même si le cyclone continue, peu importe. Papa Ours est de retour au foyer.

PAR CARMEL MAGUIRE

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L’ Attente

Aujourd’hui, c’est le premier de l’an. Le jour J ! C’est le jour d’accouchement. Après une grande bataille et un combat pour la survie, ma fille Catrina est de retour à l’hôpital. Julia dit qu’il faut rester positif et calme. Elle dit qu’une césarienne est assez rapide. Nous attendons le coup de fil. Peut-être mon gendre enverra-t-il un texte. Je me répète : tout ira bien. Je ne prie pas ; peut-être oui. Julia fait une autre tasse de thé. J’essaie de prendre un petit déjeuner. Il faut maintenir la normalité.

Ma petite-fille est réveillée. Elle demande si le bébé est arrivé.

Après quelques minutes, elle demande encore des nouvelles. Elle dit que c’est tellement ennuyeux d’attendre. On rigole, ça soulage un peu la tension. Alors puis-je jouer avec le bébé ? Sa mère répond : « Plus tard quand il sera plus grand. » Est-ce un garçon ou une fille ? On ne sait pas. On ne sait pas. L’attente est insupportable. Cependant nous devons cacher notre inquiétude.

La nuit dernière, je ne pouvais pas dormir. Tous les souvenirs de la dernière année sont revenus. Je me souviens de notre bonheur débordant quand Catrina nous a dit qu’elle était enceinte.

Après si longtemps ; les médecins ont dit qu’elle était trop vieille ; que la œufs étaient vieux ! Elle avait quarante- trois ans. Elle a subi beaucoup de traitements pour la fécondation in vitro. Tout a échoué. La tristesse et la frustration étaient des constantes dans nos vies. Enfin, tout allait bien. Un miracle, la grossesse était positive. Nous étions très heureux et tous soulagés lorsque les tests à vingt semaines se sont bien déroulés.

Puis une catastrophe, à vingt-huit semaines, Catrina a eu une hémorragie massive. Nous sommes restés avec elle à l’hôpital presque toute la journée. Les médecins étaient polis mais neutres. La peur et l’incertitude étaient affreux. Peu à peu les problèmes ont cessé, les médicaments semblaient bien fonctionner. Après un mois, elle a été autorisée à rentrer chez elle. Noël est passé en toute sécurité puis la veille du Nouvel An, le médecin a décidé d’effectuer une césarienne le lendemain.

Finalement le téléphone sonne. C’est David, son mari. C’est une fille !! Catrina est en bonne forme. Le médecin est content. Il y a une grande joie et un soulagement. Peut-être enfin pouvons-nous tirer nos feux d’artifice.

PAR ANN B

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Février 1975 : l’arrivée d’une personne chère

Après trois mois, j’ai hâte de le revoir. Il m’a tellement manqué. Je relis ses mots à haute voix : « J’arrive le 25 février ». Une telle bonne nouvelle. « J’ai hâte de te revoir ». Encore mieux. « Tu m’as tellement manqué ». Un tel bonheur. Pourrait-il y avoir de meilleures nouvelles ? Je déborde de bonheur. Je n’existe plus à côté de cette attente heureuse.

L’avion a atterri. Sa famille et moi étions à la porte. Tous parlant avec enthousiasme. Il était l’un des premiers à sortir. Je l’ai reconnu, tout de suite, malgré sa barbe et sa moustache. Il était chargé de bagages et se dirigeait vers nous. J’ai regardé sa mère et lui ai dit: « Le voilà ». Elle m’a regardé avec perplexité et n’a rien dit. Je l’appelle. Pas de réponse. Aucune réaction de lui ou de sa famille. Il traverse notre groupe et se dirige vers la sortie. Personne d’autre ne semble le reconnaître. Et lui ne semble pas nous voir. Je ne suis que la petite amie. Me serais-je trompée ? Mieux vaut ne rien dire de plus ? Nous sommes entourés de retrouvailles joyeuses. J’entends des claquements de portes, des cliquetis de trolleys, des cris de bonheur. Mais aucune personne chère pour nous et personne d’autre qui lui ressemble. Pas de cris de bonheur ; pas de visages souriants ; pas de larmes. Je sens l’inquiétude de son frère. Le passage du temps me convainc que j’avais raison. Je suggère que nous essayions de téléphoner à la maison pour voir s’il est là. Pas encore. Son frère, qui craint que Jean ait disparu pendant ses trois mois de vacances à l’aventure, part se renseigner. La compagnie aérienne ne confirme pas si Jean était ou non sur le vol. On téléphone à la maison. Et, je m’y attendais, Jean répond avec les mots « Mais, où êtes-vous tous ? »

PAR MAUREEN S

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