Marcel Proust

Textes composés par les étudiants
du cours ATELIER DE LECTURE ET ECRITURE CREATIVE,
inspirés par 'Lettres à sa voisine' de Marcel Proust.

Madame,

Je vous remercie avec tout le respect que je vous dois de votre lettre et je viens vous demander désormais de laisser le champ libre aux aboiements de votre chien. Je m’étais formellement opposé aux animaux dont leur caractère capricieux et leur tendance à entrer par toutes les portes m’énervait (tout comme Proust, lorsqu’il fait référence à l’habitude dérangeante d’Albertine « d’entrer par toutes les portes comme un chien »). Une grossière interruption au silence dont je chéris chaque moment.

Depuis que j’ai reçu vos tristes paroles, les projections sonores de votre chien, même ses hurlements, ne me gênent plus en rien, transformées en un orchestre de sons dont je reconnais l’invitation à reprendre contact avec le jour, à ne pas me couper définitivement de l’univers que je mets en scène (qui me servira à ma vocation d’écrivain), une musique divine qui me transporte dans un autre univers.

Quelle tristesse d’apprendre que vous avez été si malade ! J’ai eu une affreuse terreur en pensant à votre état fébrile qui vous cloue au lit. Si votre vie séquestrée vous importune (votre chien étant votre seul compagnon) je crois que c’est le déclenchement d’un voyage de l’imagination, un itinéraire spirituel dont la lecture est le seuil.

Là se déroulent des occupations qui réclament une inviolable solitude. Comme le dit Proust « si il est dangereux de rêver un peu, le remède est non pas de moins rêver mais de rêver plus, de rêver tout le temps ».

Pour renforcer ce propos je vous envoie des livres (nous en partageons la même préférence ) avec l’espérance qu’ils puissent vous aider dans votre voyage.

Je regrette en raison de ma santé (nous sommes tous des captifs), de mon incapacité de collaborer dans votre immersion dans votre cage dorée, d’où émane votre monde intellectuel supérieur, votre jardin secret, ses parfums délicieux. « Seul le silence est grand tout le reste est faiblesse »

Cette lettre du moins m’a donné l’illusion d’une conversation resplendissante avec vous.

Votre respectueux admirateur,

Alphonse Lesage

PAR AMANDA

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Monsieur,

La réception de votre lettre surprenante qui m’a sidérée quand je pense à tous mes efforts inutiles de contacter Mme Lavalle depuis la chute du conifère. Peut-être est-elle un peu sourde puisqu’elle a continué à ignorer le son métallique de sa sonnette ou (parce que le destin peut nous enlever souvent plus d’une faculté, pensez aux sourds-muets) est-ce qu’il serait aussi possible que sa vue soit abimée. Immédiatement après l’orage, au moment où la foudre frappa l’arbre, je courus dehors, vis qu’il était tombé sur la barrière entre sa propriété et la mienne, et, contrairement à ce costaud de Cortez qui a vu le Pacifique du sommet d’une colline au Darien, j’ai vu de mon balcon le jardin ravagé, et le conifère tombé sur la barrière. En dépit du vent et de la pluie, je pouvais établir qu’il n’y avait pas de dégâts aux toits ou aux fenêtres de nos deux maisons. Promptement j’ai essayé de téléphoner à Mme Lavalle sans succès, une voix désincarnée m’a assuré deux ou trois fois : « ce service n’est pas connecté ». Sur le champ j’ai écrit une note pour Madame (une note très respectueuse et aussi douce que possible pour un pigeon voyageur portant un message de catastrophe) et j’y ai expliqué que je devais attendre une inspection par mon agent d’assurances. Je laissais cette missive immédiatement au seuil de sa porte. Et maintenant, Monsieur, vous m’avez écrit que je cherche à éviter mes responsabilités légales. Comme dit l’adage ancien, entre l’arbre et l’écorce il ne faut pas mettre le doigt. Votre lettre m’a fait soupçonner que vos doigts avaient aidé dans le miracle qui a déplacé, du jour au lendemain, l’arbre tombé de la barrière entre deux propriétés jusqu’à mon toit. J’ai du respect pour Mme Lavalle dans sa détermination presque proustienne de sauvegarder sa solitude. Peut-être devrait-elle penser au poète Coleridge et ensuite elle pourra nous considérer, moi et mon agent d’assurances, comme « des habitants de Porlock » cherchant à perturber l’espace d’un artiste.

Sur ce, je vous prie d’agréer, Monsieur, mes sincères salutations.

Carmel Maguire

PAR CARMEL MAGUIRE

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Monsieur,

J’ai été ravi de recevoir votre carte de Noël personnalisée de la Maison-Blanche. C’était un geste si impressionnant de votre part et si typique de vous. Mes yeux avaient du mal à absorber toute la magnificence de la feuille d’or. Votre goût pour de telles choses est impeccable. Il suffit de regarder la Trump Tower. Je ne peux vous dire à quel point je suis heureux de vous avoir acheté un spacieux appartement dans ce gratte-ciel de super-luxe (maintenant que vous êtes Président, qui sait ce que celui-ci vaut). Je souhaite donc saisir cette occasion pour vous dire combien je vous admire et je vous respecte en tant qu’homme et en tant que Président de notre glorieux pays. Je ne doute pas que vous rendrez toute sa grandeur à l’Amérique. Vous avez déjà beaucoup accompli. Les dirigeants australiens veulent suivre nos traces et déplacer leur ambassade à Jérusalem et alors, les Iraniens sont fous de fureur. Quel plaisir ! Et oh, comme j’ai ri aux éclats quand j’ai vu comment vous pouviez ébouriffer les insignifiantes plumes françaises de ce piteux pigeon, Macron (bravo, monsieur le Président !). Le monde tremble maintenant à vos pieds. Mais ne vous inquiétez pas pour la presse de gauche. Je sais que les fausses nouvelles sont partout. Certaines personnes disent que vous êtes misogyne. Quelle blague ! Comment cela peut-il être vrai alors vous avez épousé trois belles femmes sans parler de tous les mannequins et les stars du porno avec lesquelles vous avez été vu. Ça ne fait rien. Les journalistes rapportent ce qu’ils voient, et chacun voit minuit à sa porte. Peut-être votre porte-parole de la Maison Blanche, Sarah Huckabee Sanders (aucune relation avec Bernie, j’espère), changera-t-elle cela. Après tout, votre vision pour notre pays est comme vous – simple et directe. Mais je vous demande pardon. Comme Proust, je commence à radoter.

Veuillez me rappeler Monsieur au souvenir de la Première dame, Melania, et agréer l’expression de mes sentiments les plus distingués.

Steven Spielberg

PAR ROSLYN McFARLAND

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Madame,

Je vous remercie de tout mon cœur de votre gracieuse et charmante lettre et je vous demande de nous excuser pour la volume de musique merveilleuse que vous avez pu entendre le weekend passé. A ce moment-là je n’étais pas du tout consciente de l’intensité du son généré par notre splendide chaîne stéréo récemment achetée qui m’éblouit encore (il s’agit d’une technologie très avancée qui nous permet d’entendre les sons les plus subtils ainsi que les sons les plus profonds) et nous fait plaisir quotidiennement. Cependant je suis bien triste de savoir que notre jardin printanier a provoqué en vous une telle réaction allergique que vous souffrez maintenant d’un extrême rhume des foins et d’asthme et je voudrais vous offrir un conseil, en tant qu’asthmatique de longue date, celui de prendre des précautions pharmaceutiques pour que vous puissiez apprécier l’atmosphère pleine d’arômes exquises (et ne pas vous enfermer dans une maison proustienne privée de couleur et de lumière où l’isolement deviendrait votre compagnon le plus proche). Permettez- moi de vous remercier, Madame, de transmettre à votre mari gracieux mon désir sincère de m’installer dans notre jardin paradisiaque et de sentir les parfums qui embaument le quartier pendant cette saison magnifique sans le désagrément de l’odeur de la fumée de ses cigarettes. Je vous suis très reconnaissante d’intervenir de ma part et d’expliquer à votre mari combien la fumée de ses cigarettes me dérange et il me plait de vous dire que ce matin j’ai passé des heures bienheureuses à lire paisiblement dans mon asile de fleurs parfumées. La cause principale des désaccords entre voisins, me dit-on, c’est l’envahissement par la fumée, surtout dans les quartiers densément peuplés comme le nôtre qui est un exemple évident. Après tout, selon le proverbe, ce sont les bonnes clôtures qui font les meilleurs voisins, alors permettez-moi de vous dire que vous êtes la meilleure des voisines.

Veuillez me rappeler Madame au souvenir de votre mari amical et recevoir mes salutations chaleureuses.

Karen B

PAR KAREN B

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Madame

Imaginez quel fut mon étonnement quand vous m’avez confié les nouvelles sur l’arrivée imminente de Mme le Docteur Jacquet ; notre chère amie depuis de longues années. Elle contredit l’expression loin des yeux, loin du cœur ! On s’entend si bien en dépit de son absence. Si je puis me permettre une suggestion, soyez prudente avec les sorties si nombreuses après votre attaque de coqueluche. Ainsi continuez à récupérer votre belle et bonne santé. Prenez le temps de vous soigner et ne vous inquiétez pas des choses inachevées : à chaque jour suffit sa peine. Sans vouloir vous contredire, il me semble que vous vous exténuez trop au sujet des divertissements que vous désirez offrir à votre invitée et j’ai peur que cela ne vous coûte cher. Ah, je vous entends me reprocher que vous ne voudrez jamais devenir comme la tante Léonie de Proust et vous laisser ‘toujours couchée dans un état incertain de chagrin, de débilité physique, de maladie…’. Il serait souhaitable que les beaux jours continuent. Vous savez comme je suis sensible au moindre bruit – il y avait une perturbation si particulière dans le jardin au courant de la matinée que je me suis levée pour aller voir ce qui se passait. J’aimerais connaitre votre avis sur un tel son paradoxal : loin d’être mélodique, parfois comme un tambour, parfois un sifflet. Cela a continué pendant des minutes. A ma grande surprise, sous mes yeux, un oiseau-lyre est sorti de la brousse et a commencé à danser. Il était suivi par une femelle – quel fabuleux spectacle ! J’aurais souhaité partager le moment avec vous – mais peut-être savez-vous ce dont je parle ? Je crains que trop de temps ne passe avant qu’on ne se revoie.

Veuillez me rappeler Madame au souvenir du Mme le Docteur et agréer mes respectueux et reconnaissants hommages.

Glenda

PAR GLENDA BUTLER

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Madame,

Votre lettre mélancolique me crève le cœur. Etre au supplice, être forcée de subir seule, sans l’aide de votre grande famille, les infirmités et les afflictions (physiques et, d’une importance plus cruciale, spirituelles) de la vieillesse, cette inéluctable condition, c’est un fardeau, me semble-t-il, trop lourd pour une dame aussi fragile, délicate et raffinée que vous. Cela me laisse sans mots. Serait-il possible de vous distraire de votre profonde tristesse. Peut-être pourrais-je vous envoyer des romans car vous vous rappelez, sans aucun doute, les paroles de l’incomparable Proust : « en fermant un beau roman, même triste, nous nous sentons heureux ». Ô, soyez bienheureuse, Madame. C’est ma prière fervente car, contrairement à Voltaire, je me flatte qu’avec ces paroles de supplication, tout changera. Afin de remonter votre cœur, puis-je me permettre de placer à votre porte d’entrée un tome de Proust « La Prisonnière ». J’espère aussi que vous vous sustentez convenablement : on doit nourrir le corps autant que l’esprit. L’autre jour, j’ai eu l’opportunité d’en toucher un mot à notre voisine, celle qui habite la maison entre nous et qui, hélas, n’a pas grand contrôle de son animal domestique. Quand je lui ai raconté que son chat, Marcel (quel nom regrettable !), avait l’habitude de se soulager dans votre jardin d’herbes aromatiques, elle avait l’air vraiment repentante. Nous verrons si la créature, dorénavant, fera les choses différemment. Si non, des mesures plus sérieuses s’imposeront. Ce chat choyé n’est pas un chat échaudé, certainement pas, mais c’est sûr et certain qu’il craint l’eau froide. En tant que votre protecteur, j’ai préparé plusieurs seaux d’eau glacée, au cas où.

Permettez-moi, Madame, de vous remercier de tout mon cœur de vos lettres émouvantes et de mettre à vos pieds mes respectueux hommages.

Valentin Weil

PAR ERIN GABRIELLE WHITE

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Madame,

J’ai reçu votre missive à midi. L’horloge venait de sonner, et si je pouvais être franche avec vous, ce n’était vraiment pas le bon moment pour une livraison – quelle qu’elle soit – mais surtout pas pour une lettre de chantage. J’étais en train de m’asseoir dans mon fauteuil préféré (de tapisserie, hérité de ma mère) pour prendre un verre de crème de menthe avant le déjeuner (avec trois petits glaçons, comme le faisait mon père). En lisant votre épitre de saleté totale, j’étais si abasourdie que j’ai renversé l’élixir émeraude (pas bon marché) partout sur le parquet récemment poli. Heureusement, Martine a pu en lécher la majeure partie.

Martine. Ah Martine ! Elle est là, sur mes genoux, sa petite langue (verte) pendante de la bouche. Permettez-moi de vous corriger sur un point. Ce n’est pas un « renard », c’est un fennec. Avec votre niveau lamentable évident d’éducation, j’imagine que vous trouverez difficile de distinguer les deux, mais votre ignorance ne change rien à cette réalité profonde.

Alors, revenons à nos fennecs. Vous dites que, en tant que bête sauvage, Martine ne convient pas aux habitations humaines et en outre, vous prétendez qu’elle manque d’hygiène. Hygiène ! Quel mot lugubre, plus froid que les doigts mous d’un cadavre. Madame, laissez-moi vous rassurer que les habitudes personnelles de Martine sont exemplaires et je vous en prie, ne vous mettez pas dans une situation où votre propre hygiène pourrait être remise en question.

Vous me menacez. Vous osez nous menacer, toutes les deux ! Vous dites si je ne me “débarrasse pas” de Martine (quelle expression de gangster) immédiatement, vous allez en informer la copropriété. Madame, la copropriété c’est moi. Venez me voir et expliquez-moi tout, je vous en supplie, et mettez-moi à jour. Ça sera fascinant. On vous attendra, les griffes et les dents délicieusement aiguisées. Mais pas ce soir. Comme Marcel, depuis longtemps nous nous couchons de bonne heure…

Veuillez agréer, Madame, l’expression de mes sentiments distingués.

Ursula

PAR URSULA

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Monsieur,

J’apprécie que vous ayez pris contact avec moi après dix mois de travaux pénibles chez vous. Je suis bien consciente de l’ampleur de la construction pour remettre à neuf votre maison magnifique – avec la charmante piscine et la mignonne petite cabane – et j’éprouve de la compassion en ce qui concerne vos difficultés avec votre banquier, l’entrepreneur et ses menuisiers. De plus, vous avez raison : je tiens fort à vivre tranquillement chez moi, en toute intimité. Tout le monde a besoin de pouvoir s’isoler de temps en temps, sans bruit et en solitude, dans son jardin. Pour M. Proust c’était d’une importance primordiale. Sa chambre était tapissée de liège ! Je n’irai pas jusque-là, mais j’ai besoin d’un peu de répit face à vos barbecues et vos soirées joyeuses !

Ainsi trouve-je votre proposition d’une nouvelle clôture entre nos deux propriétés intéressante. Mais soyez raisonnable, Monsieur ! C’est inacceptable de m’informer que celle-ci va être construite la semaine prochaine, selon le style et à la hauteur que vous avez déjà choisis, par un ouvrier qualifié que vous avez choisi, et à un prix pour moi de $700 ! Ce n’est pas la mer à boire : peut-être avez-vous oublié de considérer que j’aurais pu contribuer à une solution à l’aide d’idées utiles.

Par exemple, je conseille qu’on laisse de côté la clôture derrière la cabane, parce que ce n’est pas nécessaire de la remplacer : elle est en bon état. D’ailleurs, vous ne la verrez plus et pour ma part, j’ai déjà planté quelques arbustes à fleurs grandioses qui la dissimuleront. Pour la clôture non encastrée, j’accepte volontiers ce que vous proposez. Mais je suggère une clôture de 1,8 mètres de haut et 4,2 mètres de long, dont ma part de la facture serait de $250 (plus ou moins).

J’ai une petite hésitation au sujet de la haie que vous proposez le long de la clôture, au fond de votre jardin. Le Trachelospermum jasminoides se plaît à Sydney mais cette plante pousse vigoureusement. Voudriez-vous accepter de limiter la hauteur de la haie, peut-être dirais-je à 2,5 mètres.

Je me tiens à votre disposition pour tous renseignements complémentaires et vous prie Monsieur, d’agréer l’expression de mes respectueuses salutations.

Rose

PAR ROSE CHENEY

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