Laurent Gaudé

Textes composés par les étudiants
du cours ATELIER DE LECTURE ET ECRITURE CREATIVE,
inspirés par 'Le soleil des Scorta' de Laurent Gaudé.

Les larmes au cœur des choses

En 1891, Sarah Therry (79 ans) écrit à sa petite-nièce, Ellen, en Irlande évoquant son long voyage en Australie 40 ans plus tôt. Laissant deux jeunes enfants derrière elle, Sarah, déjà veuve, avait immigré en Australie avec ses deux enfants aînés. Ce qui suit est un extrait de sa lettre.

Nous étions forcés de partir, Ellen, oui, nous étions forcés. La pauvreté, la maladie, la faim, la mort, tout nous a chassés d’Irlande. C’était la Grand Famine, An Gorta Mor, « la mauvaise vie ». Et la vie était mauvaise. Des milliers de gens condamnés à chercher une autre vie, un autre pays, un autre continent loin de cette misère-là. Nous étions un groupe disparate à bord du voilier Saint Vincent en 1851, des hommes, des femmes, des enfants unis seulement par nos rêves, nos désirs, nos espoirs désespérés. Etres humains tirés par une promesse, une promesse à laquelle nous nous accrochions obstinément, contre toute raison. C’était la promesse de la gentillesse, du respect, de l’espace, du soleil et surtout de l’abondance de nourriture. Nous étions tirés vers le sud, tirés par les mouvements des mers, par les vents, les courants, les grands soupirs des océans nous propulsant vers la lumière.

Il m’est pénible de me rappeler notre départ. C’était en juin, un jour éclatant. Mon fils, William, âgé de 13 ans, et ma chère Jane, 15 ans, étaient pleins d’entrain, heureux de rencontrer d’autres jeunes gens. Chantant à tue-tête des mélodies traditionnelles, ils dansaient et bondissaient gaiement. Je n’oublierai jamais leur grâce, la lumière dans leurs yeux, le ruban rouge dans les cheveux noirs de ma fille. Quant à moi, je regardais la côte, les anses étincelantes, les plages blanches, les falaises rocheuses, tous les méandres qui traçaient la signature unique de notre pays, une signature se gravant dans ma mémoire, s’imprimant dans mon cœur. « Adieu pour toujours » a murmuré l’étranger à mes côtés. « Que le Seigneur soit avec nous » j’ai chuchoté en réponse. La côte disparaissait à vue d’œil. Nous étions au large.

Ma belle Jane, Ellen, ma belle Jane, ils l’immergèrent en haute mer, son corps jeté par-dessus bord. Le prêtre portait un surplis blanc ce jour-là et une étole violette. Tout le monde dit le rosaire. Mais moi, j’étais muette. Je croyais que je ne parlerais jamais plus. J’avais payé trop cher. Mais, finalement, la côte australienne apparut. Et lorsque mon fils me montra du doigt une baleine migratrice avec son baleineau et le parfum du mimosa flotta vers nous et le vent du sud nous rafraîchit chaque soir, j’aperçus un autre pays avec son propre pouls, sa propre signature. J’aperçus la possibilité d’une nouvelle vie. Sinon pour moi, pour mon fils au moins.

PAR ERIN GABRIELLE WHITE

-

Pays de cocagne

Dans une banlieue sud de Paris, une vieille femme, Fanny Flamant, dévoile les secrets qu’elle a longtemps gardés concernant la fuite de sa famille de leur pays natal. Elle s’est confiée à son gourou dans un Ashram où elle a trouvé la paix de retour à Paris. Elle parle de l’exode de Paris en quête d’une nouvelle vie en Australie, le pays à l’autre bout du monde.

Nous étions motivés par la honte qui nous avait envahie depuis l’accusation de mon père qui avait commis une fraude médicale avec des conséquences très graves. Autrefois la coqueluche du beau monde, un des plus éminents obstétriciens en Europe. Une famille respectée et renommée dans le domaine professionnel et les cercles sociaux. Maintenant une famille disgraciée, une famille expulsée des invitations VIP. Vous savez, Gurumaya, mon père était coupable, mais j’étais convaincue de ses bonnes intentions.

Aéroport Charles de Gaulle, premier point de départ, point de transition.
Durée de la traversée 25 heures.
Je serrais fort mon sac Hermès comme une ceinture de sécurité.
Décollage de l’avion.
Paris, Ville Lumière, disparaissait à vue d’œil.

Nous quittâmes notre bonne vieille Europe en direction de ce pays continent tout jeune.
Je sentais une vague d’émotion inexplicable. « La vie commence », je chuchotais à mon frère David. Plus l’avion montait, plus je me sentais dans un nouvel espace. Toutes les barrières de temps, d’espace et d’identité s’effacèrent. Nous étions parmi des gens qui parlaient plusieurs langues et qui appartenaient à des cultures diverses mais nous nous sentîmes à notre place, entre amis. Vous savez, Gurumaya, ce qui m’attirait le plus : bien que descendants d’immigrés européens, les Australiens ont su adopter des habitudes très différentes de l’Européen typique.
Nous partagions la même anticipation d’un pays où l’attitude “cool mate ” domine.

Annonce de l’atterrissage, point de transition, cette fois-ci vers ce nouveau monde. L’arc métallique du Harbour Bridge de Sydney apparaissait comme un hôte bienveillant offrant les rêves d’ailleurs. L’Australie, pays de cocagne, nous attendait.

PAR AMANDA

-

Le Voyage de Julia

C’était en 1947, Julia, une veuve de 78 ans, voyageait toute seule en Australie avec l’intention de rester avec son fils unique, sa femme et ses quatre jeunes enfants qui habitaient dans une petite ville, Mudgee. Elle écrit à son frère ainé, Jean, resté au Liban avec les autres membres de la famille. Julia a laissé derrière elle sa maison où sa famille habitaient depuis plusieurs centaines d’années et aussi ses trois filles mariées et ses petits-enfants.

Jean, je suis arrivée à Sydney sans aucune idée de ce que j ‘allais trouver dans ce pays. Le voyage a été long et déprimant. Je n’aimais personne sur le paquebot. Il y avait des familles bruyantes et pas comme nous. Je suis montée à bord à Alexandrie après une semaine très calme mais occupée avec notre cousin Michel. Il me disait qu’il avait acheté une maison à Londres et il voudrait amener sa famille là-bas parce qu’il s’inquiétait de cet homme ‘Abdul Nasser’. Tout le monde était triste : leur maison était énorme ici, ils avaient beaucoup de serviteurs et ils ne pourraient pas avoir la même chose à Londres.

La première image de l’Australie était celle d’une ville qui s’appelait Perth. Elle semblait être une ville très bien rangée et jeune et le fleuve était bleu. Le voyage de Perth à Sydney avait duré plus d’une semaine. L’Australie était énorme. Les escarpements sur la côte rappelaient Monaco et ils s’étalaient sur toute la côte jusqu’au port de Sydney.

Mon cher Emile m’attendait. Il pensait que j’avais trop de bagages. Immédiatement, nous avons conduit à sa ville, Mudgee. Elle était à une grande distance. Le paysage était dominé par des arbres étranges, pas verts, mais vert-de-gris et en désordre. Nous sommes arrivés chez lui. Toute la famille était heureuse. Les enfants ont sauté de joie, et leur mère, ma belle fille, m’attendait. Elle avait préparé un dîner superbe. Elle était un chef excellent et elle avait préparé de la cuisine libanaise pour moi. Maintenant, je suis très à l’aise, mais pas vraiment contente. Car, c’est très différent de chez moi. Ils ont une seule femme de ménage, Madame Fraser. Ils sont très gentils avec elle mais elle ne fait jamais la cuisine. Emile est le seul qui parle arabe ; sa femme et lui parlent français avec moi ; mon anglais n’est pas bon. Je me sens isolée. Les enfants n’ont pas la politesse des Européens et ils sont trop énergétiques et robustes.

Mon cher frère, vous me manquez et j’espère que vous êtes tous heureux. J’ai l impression de manquer de liberté ; Emile ne me laisse pas conduire la voiture ; mais en fait je ne saurais même pas où aller.

PAR JK

-

L’Epouse de guerre

Sylvie, ma chère sœur, après dix semaines en mer, je peux t’écrire toutes mes nouvelles. Quand j’ai pris l’autobus ce jour pluvieux, avec toutes les autres femmes, en te saluant de la main, toi, maman et papa, je me sentais toute seule pour la première fois de ma vie. Toute seule bien que je sois une femme mariée. J’étais si triste, le cœur brisé. Je ne savais pas quand je vous reverrais tous. Je me suis cachée au fond du bus et j’ai pleuré. J’ai pris une cigarette du petit étui argenté que tu m’avais donné, et je l’ai fumée pour me calmer.

A Southampton le grand bateau Athlone Castle nous attendait. Un vrai paquebot, un peu miteux et toujours peint en gris, avait été converti en transport de troupes pendant la guerre, mais maintenant c’était notre propre paquebot. Il y avait une quarantaine de femmes (et quelques petits enfants) qui ont profité, comme moi, de la traversée gratuite vers Australie, offerte par le Comité de Rapatriement. J’étais si intimidée d’entendre tous ces accents différents, nerveuse de voir les femmes de toutes les classes de la société, mais tout le monde était aimable, emballé par le commencement de cette aventure que nous faisions ensemble. Le voyage a duré si longtemps, mais nous nous sommes bien amusées avec des jeux, des cartes, des films dans le petit cinéma. En traversant l’Equateur, un des officiers s’est déguisé en costume du roi Neptune, portant une tignasse, une grande perruque en coton, fait d’une serpillère, avec une couronne d’or et un grand trident. Il était assisté par quelques sirènes, des matelots avec des seins de noix de coco. Comme nous avons ri !

Plus tard, nous, les femmes, avons passé des heures à bavarder. Nous avons ricané en entendant toutes les histoires de rencontres avec nos maris, avons partagé les photos de mariage, avec les robes de mariée empruntées, ou cousues par des mères et des tantes. Une robe en soie de parachute. Ou bien les mariées en vêtements quotidiens avec une simple boutonnière de fleurs fraiches. Tous les maris en uniforme. On racontait des souvenirs du vieux pays, remarquait que les narcisses seraient en fleurs ce mois-là, en mai. On admirait les petits enfants qui grandissaient visiblement jour après jour, bronzés par le soleil. Ces femmes sont devenues mes amies proches, pour le reste de ma vie, je pense. L’une s’appelait Edna. Elle habitait à Londres comme moi, elle travaillait dans un des grands magasins comme moi, mais sa maison était détruite par une bombe et elle a été évacuée à Norfolk, où elle a rencontré son mari, un officier de l’armée de l’air. Elle avait une petite fille, Margaret, de six mois, que son papa n’avait jamais vue. Oh Sylvie, j’ai très envie d’avoir un enfant comme elle.

Jack, mon Jack, m’avait fréquemment décrit le port de Sydney mais la réalité surpassait toute mon imagination. Il est vaste et beau. Nous nous tenions debout sur le pont supérieur, coude à coude. Les Australiens gigotaient avec anticipation, indiquaient tous les repères familiers ; les Anglais étaient époustouflés par la vue. L’eau scintillante sous le soleil, le ciel bleu pur comme je ne l’avais jamais vu, les côtes couvertes de forêts verts, pas beaucoup d’habitation, les petits baies avec des plages de sable où des familles pique-niquaient, nageaient. Nous contournions quelques petits îles, des ferrys, verts et jaunes, traversaient les nombreuses baies, des bateaux à voiles blanches étaient penchés dans les rafales de vent. Nous agitions nos bras et appelions, clamions à tous les vaisseaux et les gens souriants répondaient à nos gestes.

« Ah, the coathanger. » soupira l’homme à mes côtés, et je vis pour la première fois le grand pont de la baie de Sydney. Immense. Une file d’autos sur la route ressemblait à des fourmis et l’arc en métal grattait le ciel. Les remorqueurs réussirent le virage de notre brave bateau et enfin il fut à quai. Les moteurs s’arrêtèrent.

J’étais endimanchée, sur mon trente et un avec mon tailleur brun, les bas de nylon et les chaussures à talons, le petit chapeau voilé, que tu connaissais bien. Tout le monde voulait paraître sous son meilleur jour, mais quelques-unes portaient des manteaux rapiécés, des chapeaux miteux. Tu te souviens, Sylvie, que les bons vêtements étaient difficiles à trouver pendant la guerre. Tout de même chaque visage rayonnait, le rouge à lèvres en place pour la descente par la passerelle. De jolies femmes, en robes de coton, nous accueillaient et donnaient des pommes rouges aux jeunes enfants. Mais dans le grand hall d’arrivée, Sylvie, quel choc ! Une grande foule d’hommes, tous portaient des vestes de tweed et des feutres. Je n’avais jamais vu Jack qu’en uniforme, et comment je pouvais le reconnaître ? Soudain mon nom était appelé aux haut-parleurs et Jack, mon Jack, était là ; le même sourire provocateur, les mêmes yeux plissés de rire. Il m’a embrassée pendant un long moment. Enfin nous étions ensemble dans notre pays.

PAR ANGELA LOW

-

Le départ

Depuis son appartement dans la banlieue de Sydney, une jeune fille raconte son départ forcé et le commencement de sa nouvelle vie comme immigrante à sa grand-mère chérie, qui a refusé de quitter leur pays natal, mais qui a insisté que sa fille et ses petites-filles fuient la guerre.

Quelques années se sont écoulés depuis la fuite de notre pays bien aimé, ma chère mamie. Quelques mois affreux dans un camp à la frontière. Nous avions toujours froid, nous avions toujours faim. Toujours le même linge sale mais c’était pareil pour tout le monde. Principalement nous étions des femmes et des enfants sous-alimentés. Pauvres. Tristes. Opprimés. C’était horrible, mamie.

Nos vies empiraient, pourtant. Un jour, on nous a emmenés dans un bus vers un aéroport militaire où un avion nous attendait. Nous avions le sentiment d’être coupables. Nous ne savions pas à quoi nous attendre. On nous a hurlé que nous étions en route pour l’Australie. C’était infernal. Les enfants hurlaient désespérément, il y avait de petits cris plaintifs. Il y avait une lourde bouffée de carburant. Nauséabonde. Nous n’avions jamais été dans un avion. Nous avions vu les chasseurs bombardiers dans le ciel et nous avions entendu le bruit des bombardements. Chaos. Chahut. Pagaille. Peur. La peur était manifeste. Maman était blanche, ses mains tremblaient. Elle tentait de cacher son angoisse et ses sentiments. Ses grands yeux pleins de larmes. Elle nous agrippait par la main. « C’est provisoire », a-t-elle avoué.

Pendant le décollage, encore les hurlements et la panique toujours palpable, mais après un certain temps, on nous a donné un repas que nous avons dévoré, et une bouteille d’eau que personne n’a essayé de voler. Il y avait une légère accalmie, il y avait la résignation malgré la morosité générale. Beaucoup de personnes dormaient, les autres regardaient leurs petits écrans où il y avait des images de l’Australie. Les animaux indigènes, la nature, Bondi Beach avec tant de garçons et même des filles qui nageaient dans l’océan, tous en short ou maillot de bain. C’était étrange et en même temps attrayant pour nous, les filles d’un pays sans littoral.

Tout d’un coup l’avion atterrit à Sydney. Ce fut effrayant. Un douanier monta à bord et il pulvérisa un aérosol dans l’habitacle. Nous nous sentîmes comme des cafards. Nous descendîmes et nous nous trouvâmes dans un grand hall au sein d’une foule humaine. Les autorités crièrent des ordres en anglais. Nous ne comprenions rien mais bizarrement nous nous sentions enfin en sécurité.

Tu avais raison, mamie. C’était une très bonne décision de venir ici. On nous a mis dans un appartement et quelques jours plus tard nous étions à l’école. Nous avons bien dormi, nous avons rencontré des amis et ce qui importait le plus, c’était que nous n’avions plus peur.

PAR DC

-

La Traversée

Au dix- neuvième siècle, le gouvernement britannique a offert aux crève-la-faim en Irlande la chance d’émigrer vers la colonie de Nouvelle-Galles du Sud. Le prix était quatre livres, la famille Maher, mère, père et six enfants ont accepté la proposition.

Ma chère cousine,

Nous sommes arrivés enfin dans la ville de Sydney. Une éternité s’est écoulée depuis que nous avons embarqué sur La Lady McNaughton et que nous avons dit adieu sur la passerelle. Nous avons versé tellement de larmes à ce moment-là.

Le grand bateau a quitté le port de Cork le 4 novembre 1836. Aujourd’hui c’est le 15 mai, presque six mois sont passés. Tu as vu la foule, le vacarme et les arguments entre les passagers, l’équipage et les dockers. Il y avait trop de bagages et trop de marchandises. Maman était très inquiète et Papa était furieux car les dortoirs pour les hommes et les femmes n’avaient pas de ventilation. Comment puis-je expliquer tout ce qui s’est passé au cours des cinq derniers mois pendant la traversée longue, longue, longue et quelquefois monotone et ennuyeuse.

La tristesse a envahi le cœur de ma famille. Mes larmes mouillent le papier pendant que je t’écris. Nous avons perdu ton oncle et trois cousines au cours de ce voyage maudit.
D’abord la mer était calme mais après deux semaines nous connûmes une tempête violente, tout le monde eut le mal de mer. Les enfants étaient très malades et développèrent la scarlatine, malheureusement six gosses moururent avant Noël. Les toilettes étaient puantes ! Maman et Papa aidèrent Dr Hawkins, le médecin à nettoyer les ponts car ils étaient sales et dégoûtants. C’était difficile de me laver et aussi laver les vêtements. J’eus deux journées heureuses pendant le voyage entier ; d’abord lorsque le bateau traversa l’Equateur et puis Noël quand le Capitaine organisa deux grandes fêtes. Nous eûmes un festin lorsque nous eûmes un plumpouding géant. Nous dansâmes et Papa chanta les chansons d’Irlande.

Janvier fut le pire des mois dans ma vie : tristement la petite Honora mourut, elle était toujours malade, puis Ellen si jolie et robuste, ensuite Margaret ma grand sœur, finalement mon père chéri abandonna la lutte. Le typhus vainquit la famille Maher et après ça, le voyage en mer devint un cauchemar !

Heureusement ma chère Maureen, Maman, Tim et moi, nous sommes restés en bonne santé et nous avons survécu quatre semaines en quarantaine. Sydney est étrange, il y a des familles noires dans les camps en banlieue, il y a aussi quelques condamnés en chaînes. Maman a dit : « Fais semblant de ne pas voir ». Il faisait très chaud en février, mais le mois de mai est assez agréable. J’ai vu an animal hier, il s’appelle un kangourou, il saute comme un grand lapin. Maman a un poste de femme de ménage pour un homme d’affaires et nous avons la chance de rester chez lui dans les quartiers de serviteurs. Peut-être la nouvelle vie commencera ici. Mais tu me manques, ta famille me manque, l’Irlande me manque, surtout Papa et les sœurs me manquent car Maman pleure beaucoup.
J’ai promis au Père Corrigan que j’essayerai d’être courageuse et que je maintiendrai la foi.

De ta cousine,
Mary Maher

PAR ANN B

-

L’Air salé sur le visage

J’ai reçu une lettre inattendue d’une amie proche de ma mère en Chine, le pays que j’ai quitté avec ma famille il y a cinquante ans. Nous avons perdu contact à cause de la révolution là-bas. Par hasard elle a rencontré un ami commun en visite à Tientsin qui lui a donné mon adresse.

C’était tôt le matin, le ciel était gris, quand nous avons dit au revoir à une poignée de gens sur le quai où le navire attendait pour nous embarquer. Je me souviens bien des larmes de mon amah qui m’avait élevée puisque j’étais petite. « Maintenant tu as onze ans, tu es grande maintenant ! » dit-elle. Je ne pouvais pas comprendre pourquoi elle ne venait pas avec nous. Je ne pouvais pas comprendre pourquoi nous devions partir et où nous allions.

Mais avant d’embarquer, comme toutes nos semblables, nous avons été conduits dans un grand hall pour être fouillés. Cela était fait par des fonctionnaires qui portaient des casquettes avec une étoile rouge. Malgré la foule et le remue-ménage, ils nous fouillaient de la tête aux pieds avec une efficacité silencieuse. Une telle froideur rendait la chose d’autant plus désagréable.

Enfin, fatigués et affamés, nous avons embarqué. Peu de temps après, le navire a commencé de quitter les docks. Tante Nina, mon cœur a sombré, je quittais les camarades de mon école et je me sentais tout à coup toute seule. J’ai entendu mon père dire doucement « au revoir Chine ». Pourquoi, pourquoi ?

Pendant les longues journées du voyage, ma mère est restée dans la cabine à cause de son mal de mer. J’errais sur le navire. Parfois, je pleurais toute seule.

Un jour, mon père m’a expliqué que tout avait changé en Chine après la révolution, et que nous ne pourrions plus rester là. Il a essayé de m’assurer que tout serait bien en Australie. « Tu verras encore tes amis là-bas. Ils sont également partis de Chine », dit-il.

Hong Kong. Le navire a accosté à Hong Kong pendant une semaine et tout était écrasant là-bas. Tout. Les gratte-ciels. Rues bondées. Les pousses-pousses. Les odeurs. Les étals. Mes parents m’ont acheté une poupée qui disait ‘mama’ lorsqu’on appuyait dessus. Mais je ne l’aimais pas.

En quelques jours, le navire est arrivé à la fin de son voyage, prêt à traverser ‘Sydney Heads’, les chiens de garde de l’océan du Port de Sydney. Tout le monde était sur le pont en train de regarder le grand navire guidé par un petit bateau-pilote à travers l’entrée étroite. C’était intéressant. Et pour la première fois, tante Nina, avec l’air salé sur mon visage j’ai ressenti un certain frisson devant l’avenir.

PAR MARGARITA

-

Amen

Dans un petit bateau à voiles, le « Francis Speight », cinq femmes sont arrivées à Sydney lundi 31 décembre 1838 après un voyage de plus de quatre mois. Elles étaient les premières religieuses en Australie, envoyées de Dublin par Marie Aikenhead, la fondatrice des Sœurs de charité. Dans mon imagination, La Sœur Marie Frances de Sales O’Brien, agée de 29 ans, écrit son premier rapport à Marie Aikenhead.

Au port parmi le bruit et le désordre, le bateau attendait et nous devions partir si vite. Je me souvenais des voyages pour aller à l’école en France et puis à l’hôpital près de Paris où vous, chère Mère Marie, aviez rendu possible ma formation d’infirmière. Mais ce départ était différent. Quand nous avons pris place sur le pont parmi les autres passagères, je réalisais pour la première fois que je ne reviendrais pas et ne reverrais peut-être jamais ma patrie et ma famille. Les matelots levaient les voiles et bientôt vous, dans votre fauteuil roulant, avez disparues. Disparue aussi la promesse du futur. Après un délai de huit jours à Londres et dans les jours longs aux premiers mois du voyage, même Mère Jean, notre chef de mission, a perdu un petit peu de son zèle pour notre noble mission. La cause n’était pas un manque de foi mais un excès de mal de mer auquel mes compagnons ont succombé au moment où le bateau est arrivé dans l’Atlantique. Heureusement, l’ennui a disparu avec le mal de mer. Il faisait beau, la mer était calme, et les sœurs ont rencontré d’autres voyageurs à la recherche d’un nouveau pays et d’une nouvelle vie. Nous avions aussi la malle de livres que vous nous avez donnée. Nous lisions. Nous cousions. Nous disions nos prières. Les jours passaient vite. Les jours étaient au soleil jusqu’au Cap de bonne-espérance. Soudain le vent puissant a soufflé en bourrasque et les vagues sont devenues énormes. Le mal de mer est revenu et la crainte est arrivée. Pendant trois nuits, nous nous cramponnions l’une à l’autre. Pendant trois jours, nous ne bougions guère hors de nos cabines. Sœur Laurence et moi, nous craignions que nos vies soient écourtées subitement. Sœurs Jean Baptiste et Marie Xavier ont décidé que la mort serait la bienvenue. Mère Jean nous a rappelé l’évangile où Jésus a apaisé la mer pour ses amis. Ainsi avons-nous essayé de créer un torrent de prières aussi tumultueux que l’orage qui nous entourait. Totalement épuisées, nous avons dormi cette nuit-là et au matin l’océan était beaucoup moins orageux. Dans la paix des semaines suivantes, nous n’étions ni affreuses ni malades. Nous pensions aux prisonnières que nous allions aider, ces femmes qui avaient aussi survécu le voyage autour du Cap, sans les conforts de la religion ou de l’espérance. Nous attendions avec impatience d’arriver à Sydney.

L’arrivée était pleine de défis. Les matelots nous ont fait descendre sur une chaise suspendue au-dessus d’un très petit bateau et nous entendions leurs adieux durant le transport en canot jusqu’au port. Nous étions aveuglées par la lumière si dure qui coupait nos yeux comme un couteau. Et tout autour, le monde entier était brun, la terre, les bâtiments, les rues, même les passants. Dans le trajet pour aller à l’usine de femmes de Parramatta, Marie Xavier a dit : « C’est toujours le carême ici ». Mère Jean a répondu: « Le bon Dieu va répondre à nos besoins » ; et puis, en regardant la route rocailleuse et les pauvres en route, elle a ajouté « Avec notre aide, Il va tout améliorer ici ». D’une voix, nous avions crié : « Amen ».

PAR CARMEL MAGUIRE

Using Format