Jean-Paul Didierlaurent

Textes composés par les étudiants
du cours ATELIER DE LECTURE ET ECRITURE CREATIVE,
inspirés par 'Macadam' par Jean-Paul Didierlaurent

La Femme

Mathilde hésite à l’entrée de l’église assombrie. Elle est arrivée très tôt pour les funérailles mais, comme elle s’y attendait, les grenouilles de bénitiers étaient arrivées avant elle. Pas grave, elles étaient agenouillées dans la chapelle latérale murmurant leurs chapelets éternels : « je vous salue, Marie, pleine de grâce…maintenant et à l’heure de notre mort… » Qu’elles gardent les yeux fermés tandis qu’elle roule rapidement dans l’allée principale. Elle frémit à l’idée de tous ces yeux compatissants qui la regardent s’extraire de son fauteuil roulant et s’installer sur le banc près de l’autel, près du cercueil de son bien-aimé. Sans incident et avec beaucoup d’efforts, elle réussit à se hisser sur le banc. Il semble que personne ne l’ait remarquée. L’église derrière elle est toujours vide. Bien, elle peut s’asseoir ici tranquillement et se ressaisir.
Tendant la main vers le cercueil recouvert de gerbes de myrtilles, la femme trace du bout de ses doigts, les mots : Jean-François Laurent, 2 mars 1962 - 10 avril 2023, La Bresse (Vosges). La date de sa mort la surprend encore. Vendredi dernier, c’était le quarantième anniversaire de leur premier rendez-vous. Ce matin-là, elle s’était rappelé si clairement l’occasion : le restaurant, les lumières tamisées, la pluie, et, surtout, leur étonnement mutuel à la vue du fauteuil roulant de l’autre. Ils étaient destinés l’un à l’autre, lui et elle. D’abord, malgré leurs handicaps, ils avaient réussi. Leur ferme de brimbelles et leur petite plantation de sapins avaient prospéré. Et ils avaient adoré leurs chevaux et leurs chèvres. Chez eux, c’était le paradis. Mais c’était un paradis sans enfants. C’était leur grande tristesse. Des larmes plein les yeux. Soudain, le son majestueux de l’orgue la tire de ses rêveries. Subrepticement, elle jette un coup d’œil derrière elle. L’église est bondée. Il était bien aimé, Jean-François ; et il est mort tragiquement.
Le prêtre entre : tout le monde se lève. Tous sauf elle. Elle déteste ce moment. Ce n’est pas juste. Elle se sent si différente, si déformée. Elle s’en veut, cette Mathilde. Ses pensées roulent le long du chemin bien usé. Mais, du coin de l’œil, elle voit la femme et les deux jeunes enfants debout de l’autre côté de l’allée. Elle ne les avait pas vues arriver mais elle les reconnaît sur-le-champ. Les trois se tiennent les mains et sanglotent doucement. C’est la seconde femme de Jean-François et leurs deux filles. Mathilde détourne le regard.

PAR ERIN GABRIELLE WHITE

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Un autre chapitre de la nouvelle

Mathilde se réveille au moment où les flaques de pluie fendent la fenêtre. Elle s’est soudain souvenu du soir, il y a trente ans, où elle avait trouvé l’amour de sa vie et avait perdu la peur de vivre. Tandis que la pluie ralentit et la neige commence à tomber en silence, la scène change et elle revoit la jeune fille qui s'enfuyait loin de cette voix pleine de confiance indubitablement masculine qui lui criait d’attendre sur le parking. Pour Mathilde, le souvenir de ce moment d’immense surprise mutuelle face à la découverte de leurs fauteuils roulants respectifs se déroule comme un film. Elle sourit en repensant à l’histoire de sa vie avec Jean-François.
Jean-François est le premier capable d'articuler des mots, mais il ne veut pas lâcher ses mains. Elle est la première à voir qu’autour d'eux s'était rassemblée une audience. Ainsi roulent-ils ensemble sur le parking de leur rencontre et entrent-ils dans le restaurant sous l’acclamation chaleureuse des autres hôtes. Les évènements de cette soirée passent comme sur un nuage heureux, et le lendemain Mathilde est prête à abandonner la cabine numéro douze ; elle le fait sans regret, mais aussi avec gratitude pour les mois où cette cabine avait été son sanctuaire.
Deux jours plus tard, Jean-François, dorénavant appelé Vincent, demande à Mathilde si elle est prête à rencontrer sa famille, et avec une pointe rare d’embarras, il admet que la panoplie inclut ses parents, ses grands-parents, et ses sœurs. Le sourire franc et chaleureux qui a embrasé le cœur de Mathilde est partagé avec le reste de la famille. Ainsi elle n’a plus soif de contacts et n’a plus besoin de faire l’autruche.
Vincent et Mathilde, avec leur fille Hortense, vivent maintenant dans les Vosges, à Cornimont de moyenne montagne. En hiver, ils aident les paraplégiques à aller sur la piste sans roues de leur station de ski que la publicité décrit comme une station « à taille humaine ». En été, Vincent et Matilde partent des forêts de hêtres et de sapins blancs, pour cultiver leur vignoble avec beaucoup d’occasions d’explorer les lacs et les tourbières de la région. Hortense est horticultrice. Elle est connue pour sa création de nénuphars, et surtout pour celui qu'elle a nommé pour sa beauté et d’après sa mère, la Ravissante.

PAR CARMEL MAGUIRE

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Mathilde

Le facteur arriva tôt dans l’auto-caravane. Parmi les lettres, ils virent une grande enveloppe avec un logo familier. Elle la tendit à Jean-François. Sa main la serra, son cœur battant à tout rompre alors qu’il ouvrait et lisait, ce beau sourire qu’elle aimait tant étalé sur son visage.
“Ca y est, tu es dans l’équipe.” Leurs yeux remplis de larmes.
La relation entre Mathilde et Jean-François, qui avait commencé cette nuit pluviale, était devenue chaleureuse et aimante au cours des mois suivants. Ils se souvenaient de cette nuit et de leur premier rendez-vous magique ! Vivre ensemble était difficile à cause de ses déplacements à lui ; mais parfois quand ils avaient un week-end de libre, ils aimaient pique-niquer dans la forêt à proximité. Ils pouvaient rester dans leur auto-caravane qu’il gardait dans l’aire de stationnement près du péage. Elle avait toujours aimé la forêt, elle se souvenait de la chaleur estivale, des baignades dans le lac, des 
randonnées avec les copines quand le temps était plus frais et surtout des promenades à cheval le long des sentiers à travers les pins. C'était avant le fauteuil.
Bien qu’ils soient devenus proches, ils évitaient de parler de leurs accidents. Ils avait laissé rouler le passé derrière eux, seulement le présent et le futur comptaient. Mathilde aimait les excursions en forêt ; le parfum des pins lui rappelait tant de souvenirs, surtout quand elle était à cheval. Mais parfois elle pensait avec nostalgie aux chevaux. Elle détestait ce putain de fauteuil ! Jean- François semblait au courant de son manque et il finit par lui trouver une école d’équitation pour handicapés. Mathilde était encore bonne cavalière ; malgré ses jambes faibles, elle fit des progrès incroyables. Un talent naturel, l’entraîneur pensait. Au cours des mois suivants, ils ne pensèrent à rien d'autre qu’à l’équitation ; ils mangeaient bien, buvaient moins et ils sentaient que les nuages noirs du regret s’étaient levés.
 Ils voyagèrent aux gymkhanas dans toutes les Vosges, leurs amis et collègues les aidèrent à amasser des fonds pour les aider dans leur projet, tout comme les entreprises locales et les journaux.
Jean-François et Mathilde partageaient un rêve. Et il s'était réalisé. Elle participerait aux Jeux paralympiques de Paris en 2024.

PAR ANN B

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Mathilde et Jean-François

Mathilde était allongée sur le lit. Toute l’équipe médicale de la salle d’accouchement souriait pendant qu’une infirmière plaça le petit bébé emmitouflé dans ses bras. « C’est une fille ! » rayonnait le médecin.  Mathilde sentit son cœur sursauter. Jean-François, à ses côtés, regardait ce petit être avec adoration. Elle avait les yeux noirs comme sa maman avec des paupières bleu tendre. Pas besoin de fard ici. Mais la forme de sa tête ressemblait celle du Papa. « Elle s’appellera Vincentia. » chuchota Mathilde. « Elle est parfaite. » 
Ce jeune couple avait fait un sacré voyage pour réaliser ce miracle. Depuis les timides rencontres quotidiennes sur la route de péage APRR, le premier rendez-vous au restaurant, que Mathilde avait presque fui à cause du choc de Jean-François quand il avait vu son handicap, la surprise de découvrir que Jean-François avait la même infirmité. C’était un coup de foudre et ils se marièrent peu de temps après dans une petite église des Vosges. Quittant l’allée dans leurs deux fauteuils roulants enrubannés, sous une arche formée par des collègues de Mathilde, ils célébrèrent avec leurs familles à une grande table en plein air sous les hêtres et les sapins blancs. Les deux mamans (espérant devenir bientôt grand-mères), cuisinèrent des plats vosgiens. Les deux papas versaient copieusement du vin. Quelle journée joyeuse !
Les difficultés de vivre ensemble étaient surmontées avec amour et rire. La longue route pour arriver à cette grossesse, pleine de défis et de pièges, était parcourue avec les sages astuces des amis aussi handicapés, et des médecins géniaux de la clinique de FIV, et beaucoup de rires. Enfin succès, le rêve s'était réalisé !
Le pédiatre arriva avec un visage grave. « Il y a un problème. Votre bébé a un pied bot. » Mathilde haletait : « Qu’est-ce que c’est un pied bot ? ». « C’est une déformation congénitale qui peut rendre la marche très difficile ou impossible. » Les deux parents se regardèrent en larmes. « Mais après des traitements, continue le pédiatre, étirement et processus taping, avec le soutien de spécialistes, des thérapeutes, peut-être une petite intervention chirurgicale, votre petite fillette pourra marcher, même courir, complètement normalement. »
Jean-François poussa un gros soupir de soulagement. « Bon sang ! Je crois que je n’aurais pas pu acheter un break pour trois fauteuils roulants. » Mathilde éclata de rire et les deux nouveaux parents se sourièrent l’un à l’autre à travers de chaudes larmes.

PAR ANGELA LOW

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Un destin inattendu

Les sirènes sonnèrent, la foudre interrompant le silence de la nuit. Les ambulances s’approchèrent du lieu de l'accident.
Mathilde réfléchissait. Le break jaune avait fait son apparition six mois plus tôt. Son occupant, Vincent l’avait captivée par son sourire franc et chaleureux. Six mois s'étaient écoulés depuis le rendez-vous au restaurant avec cet occupant du break jaune, un jeune représentant. Mathilde en était tombée amoureuse et, après ce rendez-vous, ils ont continué à se voir. Coup de foudre qui les conduisit à vivre ensemble et, en dépit de langues de vipère, ils décidèrent de se marier. Pour Mathilde, cette décision avait d'abord soulevé de nombreuses questions, qui se bousculaient dans sa tête. Comment feraient-ils face aux exigences de deux personnes handicapées ? Est-ce qu'il pourrait accepter qu'elle ne puisse pas lui donner d’enfant ? Mais tout fut résolu…
La cabine douze, où elle avait choisi une vie isolée, était remplacée par une maison achetée ensemble. Une maison simple au bord d'un lac, bordé de sapins. Une maison de plein-pied idéale pour vivre plus facilement. Ils se sont régalés en transformant la maison ; modification des chambres pour handicapés, des meubles bas privilégiés avec des portes coulissantes, cuisine ouverte, évier suspendu, installation d'une baignoire à porte douche à l'italienne avec un siège à fixation murale, barres de soutien. 
Le fauteuil roulant n'était plus source de honte. Une nouvelle Mathilde était née. Elle ne portait plus de pyjama toute la journée comme autrefois, mais elle les arborait avec une certaine allure. Elle se maquillait soigneusement, elle appliquait un eye-liner pour créer un œil de chat, toutes les clés pour une apparence sublime. Ses vêtements et son maquillage faisaient partie de sa thérapie, lui donnant un coup de pouce. Elle avait franchi toutes les barrières. Sa vie ressemblait à un conte de fées, jusqu’à ce jour où elle a traversé la rue devant ce camion...
La scène était horrifiante… une roue qui tournait déformée au milieu de la route, le seul rappel du fauteuil roulant, un corps immobile sans vie, le contour d'une jeune fille, dont le seul signe de vie était le battement de ses yeux, qui se sont refermés doucement. Sa dernière vision était le break jaune au loin.

PAR AMANDA


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