Georges Perec

Textes composés par les étudiants
du cours ATELIER DE LECTURE ET ECRITURE CREATIVE,
inspirés par 'La disparition' de Georges Perec.

Le texte sans ‘P’ (P pour Perec)

Blotti dans son fauteuil en face de la fenêtre, l’homme émit un souffle dans l’obscurité. À travers les vitres, il distingua un ciel bleu foncé, couleur indigo. Des millions d’étoiles étincelantes illuminaient la voûte, comme la toile de fond d’un théâtre.

Il referma les yeux. Sa lassitude le rendit sombre : tout allait mal. Il imagina un grand chêne au loin, au-dessous duquel se trouverait une masse de moutons qui se seraient rassemblés par instinct grégaire. Le son des bêlements de brebis brisa le silence : les cris des bêtes l’atteignirent derrière les volets entrebâillés. Chacun à leur tour, les moutons sautèrent la barrière du terrain : un, deux, trois, quatre fois, se succédant … Mais l’homme ne se détendait guère.

Soudain, il entendit le hululement d’un hibou qui volait de l’autre côté de la fenêtre avec une souris ensanglantée entre ses griffes. L’oiseau s’évanouit d’un battement d’ailes.

« Toi, tu vis heureux la nuit, moi non ! »

Une deuxième nuit blanche…

PAR ROSE CHENEY

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Comment éviter la voyelle e ?

Il sursauta. La transpiration coulait. Il faisait chaud. Son chrono marquait minuit cinq. Tic, tac, tic, tac ; un son hypnotisant. Mais non ! Lundi soir ou mardi matin ? Il n’alluma pas pour l’instant. Son fils qui avait dix-huit ans, parti à 16h pour voir un match à Chantilly. Il voulait dormir. Il lut son bouquin mais l’abandonna.

Il s’installa au salon. Il bâilla. Il prit un journal, fit un Sudoku, puis ouvrit Paris Match : L’imposant Zlatan Abrahimovic, la star du PSG, partirait à la fin saison. Il y aurait un grand trou ; un trou abyssal pour Paris. Oui ! Pub pour un produit Samsung : La Galaxy TabPro S – sans compromis. Bah !

Il prit son Fitbit ALTA CLASSIC pour voir s’il marchait toujours. Un p’tit plaisir qu’il avait choisi pour lui un mois auparavant. Il n’y avait aucun lait dans son frigo. Il but un grog-chaud, puis il avala un chocolat : trop tard pour un drink stimulant. Il sortit sur son balcon, il vit dans sa cour un sans-abri sur un banc, grattant son corps ; il scruta l’horizon. Il admira Paris. Un avion Lufthansa, approchant d’Orly. Soudain, un carillon sonna trois coups. Son fils irritant, toujours pas là ! Il faisait quoi, dis donc ?

Il mit la radio : un chant choral suivi par trois adagios. Puis un savant parla du savon : produit par l’action d’un alcali sur un corps gras. Ouf !

Tout d’un coup, un bruit frappant à son portail. Il courut pour lui ouvrir. Son fils arriva.

Il tapota d’un doigt son chrono : – Trop tard, mon fils. Tu as la fac aujourd’hui.

Son fils, souriant, lui aussi dont la transpiration coulait du front au cou, dit : « Papa, il n’y avait ni bus ni taxis donc j’ai dû courir sur un bout du parcours. Tu as l’air distrait. J’ai dix-huit ans, tu sais. » – Oui, mon fils, tu as raison mais jamais plus tu fais ça ! D’accord ? Il poussa un profond soupir.

PAR DC

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Le jardin et les fleurs… Lipogramme en O

Après des heures de travail, elle se sentait détendue dans le jardin, assise sur le banc, heureuse et paisible. Il faisait beau. Les pies chantaient, les abeilles faisaient leurs bruits légers, planaient en cercles sur les sauges en fleurs. La terre trempée par la pluie emplissait l’air d’un parfum discret et délicat, les anneaux des flaques séchantes apparaissaient. Malgré les difficultés et le labeur dur, le mal aux reins, les mains rêches et les épines dans la peau, elle était fière de sa réussite et chaque défi valait la peine. Elle a cueilli un éclat de beauté, ses bras chargés de fleurs ; les sauges diverses, les lavandes variées, les marguerites différentes, les camélias aux pétales fragiles, la dernière fleur de La Duchesse de Brabant. Elle a cueilli aussi ses espèces rares et précieuses, celles qui ne fleurissaient que durant ces quelques semaines, cachées par la chute des feuilles que les arbres libéraient. Les teintes des fleurs semblaient plus fraîches que les fleurs de printemps, plus fines dans la lumière tamisée, leurs parfums plus séduisants.

Elle est rentrée dans la cuisine, cherchant un vase. Avec tendresse, elle a placé les fleurs sur l’étagère près d’un saladier en céramique rempli de raisins, le fruit indicateur des dernières heures brèves avant les rafales de vent, les précurseurs de l’hiver, qui entraineraient la chute des feuilles jaunes et brunes. Ah, les plaisirs de jardinage ! Les travaux achevés, il gèlerait dans quelques nuits, les feuilles seraient dispersées, disséminées, dissipées, disparaîtraient et le jardin deviendrait nu, préservant l’énergie jusqu’en septembre.

PAR ANGELA LOW

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Oh Bijou, Bijou (sans E)

Chaton Bijou, marron, noir, un spot d’or sur son front. Un jour il a disparu. On fouilla partout, sous la maison, autour du jardin, mais non. Alors, plus tard nos voisins l’ont vu, courant sur nos murs… mais saisir un chaton ? Alors, allons-y !

Donc la nuit nous avons mis un appât dans un box – tout à son goût. Ça marcha. Au matin, voilà mon Bijou, doux, miaulant. Nous l’avons mis au jardin du pavillon.

Mais ça n’finit pas là ! Soudain, il apparut aux voisins, grimpant l’acacia. Ça continuait jour par jour. J’ai fait la croix sur ça….. jusqu’au jour où on l’a vu passant par un trou du portail contigu, son cul disparaissant. Un stop à ça : on a mis mon chaton dans un bon coin dans la maison. Sûr, aussi sûr.

Un jour, trois, cinq, huit, dix jours… sans aucun accroc. Puis Bijou poursuivit son but : il l’a fait dans la maison. Il a disparu. On pouvait l’ouïr miaulant, mais où ? Pas sur son paillasson, pas aux coins favoris, pas au plafond ! On fouillait partout, nos voisins nous assistant, nos amis aussi. Pas du tout. Mais toujours on l’ouïssait. L’imagination ?

Par intuition, j’ai sorti un tiroir du placard chinois … oui ! Bijou ! Il fuit du tiroir d’un saut vif.

Plus tard, il a pris un long bain. Moi, j’ai pris un long drink. Ouf !

PAR MARGARITA

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La disparition du ‘O’

Après la classe de français de lundi, j’ai pensé à ce que j’écrirai à la demande de Rita. Mais vendredi était la date limite. La tâche était d’écrire un article dans le style de Mr Pérec, c’est à dire, d’éliminer une des lettres de l’alphabet. Vraiment, j’étais inquiète car ça me semblait difficile à faire.

Je suis allée au café à la plage et j’ai demandé un sandwich et, en le mangeant, j’ai pensé à ce que je ferais. Je me suis assise sur une chaise devant la fenêtre et j’ai démarré la tâche sérieusement. Au début, j’avais décidé de suivre un texte dans le style de M. Pérec sans une lettre de l’alphabet car j’avais une belle vue sur les gens qui marchaient sur la rue pavée près de la plage.

J’ai regardé ceux qui passaient, des jeunes et des gens d’un certain âge très intéressants. Une femme avec quatre chiens, un mendiant qui buvait une bière sans verre, un enfant qui escaladait une statue, mais ma tête était vide et je ne savais pas ce que j’écrirai afin de satisfaire les requêtes restrictive de Rita. Quand je suis rentrée à l’appartement, j’ai écrit ce que j’avais vu pendant la matinée et j’ai fini l’article.

PAR PH

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Le Discours d’une E Enervée

Quand la Lettre E majuscule a eu des échos du roman extraordinaire qui avait reçu le Renaudot, Elle a convoqué toutes les Lettres en assemblée. En choisissant ses mots avec soin, Elle a bien articulé ses idées aux 25 autres membres.

Chères Semblables, Vous aurez remarqué qu’il n’y a que des majuscules à cette conférence aujourd’hui. La raison est que mes nouvelles sont si scandaleuses, si inquiétantes qu’il vaut mieux que les minuscules restent à l’écart, de crainte qu’elles ne deviennent turbulentes si elles connaissaient la vérité.

La vérité est que nous faisons face à une situation critique, une situation qui menace notre existence même. Un nouveau roman vient de sortir sur lequel tout le monde a un avis. Le livre fait sensation. Et la raison ? Je ne suis utilisée que quatre fois dans le livre entier ! Moi, la Lettre essentielle et la mieux connue de nous toutes, utilisée quatre fois ! C’est choquant. Et les quatre fois où j’interviens ? C’est sur la couverture, dans le nom de l’auteur, c’est-à-dire uniquement quand il a besoin de moi ! Donc, je refuse absolument de dire son nom. En fait, je refuse d’utiliser ses initiales, nos 7 ième et 16 ième membres honorables. Je leur fais mes excuses mais on doit résister quelquefois.

Vous connaissez bien mes talents variés. D’habitude, je flotte sans être observée comme un souffle murmuré. Mais, si je suis ornée d’un accent, je varie mon ton devenant quelquefois une force féroce et sévère. Aujourd’hui, j’ai décidé de me couronner de l’accent circonflexe car je l’estime énormément. Il est serein et ouvert, se tenant toujours en équilibre. Naturellement, j’honore aussi ses deux frères mais ils vont, selon leur nature, en sens inverses l’un de l’autre. Dans notre situation, il vaut mieux rester calme et clair.

Chaque Lettre a tant de qualités admirables, évidentes quand vous êtes assemblées avec vos sœurs – les combinaisons sont fondamentales. Je crois que l’auteur de ce roman aime les défis, il est ambitieux et cette sorte d’ambition est facilement transmissible. Il va, très certainement, lancer une mode. Cette fois, c’est moi qui ai été omise mais chacune d’entre nous est vulnérable, chacune risque d’être bannie à l’avenir. Je vous avertis. Je vous estime toutes et il serait tragique qu’une seule Lettre fût éliminée. Ensemble nous sommes fortes mais, seules, nous sommes quasiment inutiles. C’est triste mais vrai.

Finalement, je veux dire que j’ai eu des difficultés à exclure de ce discours nos membres respectés, les Lettres qui suivent F et O. Vous êtes, toutes les deux, essentielles : toi, numéro 7, si solide et arrondie, tantôt douce et moelleuse, tantôt rauque et criarde ; et toi, numéro 16, si fière, si douée de force et de souffle, si utile quand on veut indiquer une différence de degré ou dire « non ». Aujourd’hui, vous me manquez.

Le discours ci-dessus a été suivi d’une discussion animée où les Lettres ont décidé de faire des recherches. Elles voulaient savoir si Elles survivraient à leur exclusion occasionnelle de certaines œuvres. Et Elles ont même réussi à démontrer à la Lettre E que, bien qu’Elle soit bannie de »La Disarition », l’auteur et le lecteur de ce roman sont toujours conscients de son existence ! En fait, Elle est le sine qua non, La Lettre essentielle de ce chef-d’œuvre !

PAR ERIN GABRIELLE WHITE

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