Fred Vargas

Textes composés par les étudiants
du cours ATELIER DE LECTURE ET ECRITURE CREATIVE,
inspirés par 'Sous les vents de Neptune' de Fred Vargas.

Perdu à Detroit

– Et moi, je suis aussi en fuite !
– Qu’est-ce que tu fais dans cette ville de merde ? Ça fait quatorze ans qu’on ne se voit pas.
Raphael se mit debout en souriant.
– Assieds-toi, prends un café.
– Non merci, j’ai des fourmis dans les jambes après ce long trajet du Québec. Je préfère bouger. En plus, la voiture des cochs du Canada est garée à vingt mètres d’ici.
– Pourquoi ?
– Pourquoi quoi ?
– Pourquoi as-tu pris la route pour Detroit ?
– Pour te voir une fois de plus. Une fois de plus, j’espère t’innocenter de cette histoire qui date d’il y a trente ans. Tu sais, c’était l’époque de Mitterrand !
– Oui, mais je suis tranquille ici.
– On ne doit pas laisser tomber aux oubliettes une injustice.
– Et ton histoire de fuite des flics canadiens ? Toi, un commissaire capable !
– J’ai été soupçonné là-haut d’avoir commis le meurtre d’une petite de trois ans. Imagine ! Quels cons. Mais je vois un lien entre la mort de ta fiancée et mes recherches sur le véritable meurtrier, mort, et la mort de la petite au Canada. On a affaire à un ennemi redoutable, un fantôme, qui veut me faire sombrer.
– Tu es arrivé seul ?
– Souviens-toi de ma collègue Violette ? Violette Retancourt. La femme grande et costaude.
Violette entra la cafétéria en enlevant ses gants et son bonnet. Elle battit la semelle et se débarrassa de la neige de ses bottes. Adamsberg tourna le visage vers elle.
– Comment sortir de ce piège ? Avec les flics en face et cet immeuble impénétrable derrière, quoi faire ? Je suis à l’ouest.
Epuisé, Adamsberg s’assit à la table, la tête baissée.
– Ah, suis-moi Violette. Je suis habitué à tous les secrets souterrains de ce bâtiment. On sera à l’abri des fichus policiers. Comme Perséphone, tu prendras l’escalier pour descendre au sous-sol et la rivière Styx. Je ne sais pas si le printemps arrivera, mais tu seras en sécurité, loin de Hadès. Et toi, JB, au comptoir pour détourner l’attention des policiers. Je te rejoins dans un instant. J’ai une idée.

PAR ROSE CHENEY

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Le frère

– Tu m’as trouvé ? demanda-t-il sans bouger.
– Oui.
– Tu as bien fait.

Adamsberg serra les épaules carrées de son frère. Il laissa tombé ses mains et son frère se tourna vers lui. Il était toujours une réplique de lui-même, comme son jumeau.
– Oui, je suis soulagé de te retrouver. Nous avons suivi les indices que tu m’as envoyés.
– Tu n’est pas seul ?
– Mon lieutenant attend à l’extérieur.
Raphael se tourna pour vérifier. Adamsberg s’assit en face de son frère et devant la porte de verre. Il remarqua la devise en verre colorée au-dessus de la porte « Speramus Meliora; Resurget Cineribus »,*.
– Les cochs t’ont suivi ?
– Oui, les crétins sont garés à vingt mètres derrière nous. Retancourt ne soupçone rien, elle est fidèle, elle coopérera.
Le patron s’approcha pour leur offrir du café. Il portait un tablier couvert de taches accumulées au fil du temps, comme la ville tachée par les usines abandonnées par les grands industriels du passé.
– Tu as apporté des vêtements noirs comme convenu, et le chapeau, nous sommes comme des jumeaux.
– Je suis victime d’un coup monté. Il faut que je disparaisse pour quelques temps pour faire preuve de mon innocence.
Raphael regarda fixement son frère.
– Tu m’as sauvé il y a quarante ans, et je t’en suis reconnaissant.
– Oui, mais j’ai vu s’envoler l’espoir de t’innocenter quand le juge est mort. Je suis convaincu qu’il y a un lien entre le meurtre de ta fiancée et celui au Canada dont je suis accusé.
– Nous serons toujours liés comme des jumeaux siamois.
Raphael regarda sa montre.
– Il faut se dépêcher, les cochs risquent de devenir soupçonneux si tu ne sors pas bientôt de la cafétéria. La voiture est garée derrière ce bâtiment, voici les clefs. Bonne chance !
Adamsberg se tourna vers la porte arrière et l’obscurité. Raphael entra dans la voiture et s’assit à côté de Retancourt qui ne remarqua pas que Raphael n’était pas le commissaire.
– Retancourt, tournez le coin vite et déposez-moi. Les coches se réveilleront dans quelques instants. Retournez seule au quartier général et annoncez que le commissaire a disparu.
– Bien sûr, commissaire. A bientôt ?

* « nous espérons des temps meilleurs ; elle renaîtra de ses cendres »

PAR KAREN BRYANT

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Le Canada

- Tu as bien fait. Tu as pris ton temps, dit-il de l’air maussade.
Ils se serrèrent dans les bras, les larmes aux yeux. Raphaël jeta un regard à Retancourt qui venait d’entrer dans le café.
– Ah ! Je te présente ma lieutenante, Violette Retancourt.
– Enchantée, mais vous êtes jumeaux ? Je ne savais pas. Vous êtes comme deux pois dans une cosse !
– Nous sommes presque jumeaux ! répondit Adamsberg. Écoute-moi, Raphaël, on n’a pas beaucoup de temps. Comme tu sais, je me trouve dans un effroyable piège, viré de la police et recherché pour meurtre.
Il regarda par la fenêtre, il examina la rue, et les cochs toujours là. Ils sont si cons avec leurs têtes de bois. En attendant, il y a un tueur toujours en liberté, qui zigouille ses victimes à l’aide d’un trident. Il se leva, les mains enfoncées dans les poches de son pantalon chiffonné. Il écarta ses bras en faisant un tour du café.
– Il est toujours comme ça ? demanda Raphaël à Retancourt, frustré.
– Oui, il faut qu’il marche, qu’il contemple. Il est incapable de dire à quoi il pense mais bientôt on saura tout, qui, la raison… Faites confiance à votre frère, Raphaël. Il est méticuleux. Il s’est battu et a fait de son mieux pour vous pendant des années.
– Je me rends compte que tu pleures la mort de ta fiancée chérie depuis si longtemps et que tu veux retourner en France, mais on est sur le point de résoudre cette affaire déplorable. Quoiqu’il se passe, on doit être sûr de ne rien faire de stupide.
Raphaël savait que c’était le juge corrompu qui avait tué sa fiancée et quelques autres jeunes femmes. Mais les meurtres subséquents ? Et qui étaient les gens hauts placés qui avaient protégé ce juge et les vilains secrets concernant ces meurtres ?
– C’est à nous qu’incombe la charge d’apporter la preuve. Donc, il faut que tu restes tapi. Reste à Detroit. Ne retourne pas au Canada, autrement tu risques d’être piégé à ma place.
Raphaël soupira et avala quelques gorgées de café.
– Ses lettres ont été sa chute, les lettres d’un assassin qui goguenarde, les lettres d’un salaud incapable de garder ses saletés pour lui seul. Ce tueur se pavanera avec vantardise. À très bientôt, mon frère. Je te promets.
Retancourt s’avança au comptoir pour régler le compte. Elle se tourna vers les deux frères et leur demanda s’ils avaient de la monnaie canadienne.
– Ô, le Canada ! Ils n’acceptent pas ma carte à puce, dit-elle en se grattant la tête d’une main et en mangeant un doughnut de l’autre. Autre chose Raphaël, quand vous retournez en France, laissez tomber votre accent si vous ne voulez pas être la risée des Français ! Au revoir.

PAR DC

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En Cavale

Le commissaire Jean-Baptiste Adamsberg, accompagné de son lieutenant Violette Retancourt, est soupçonné d’avoir commis un meurtre. Dans une cafétéria à Detroit (une ville qui ressemble à une duchesse ruinée), Adamsberg vient de retrouver son frère, Raphaël, lui aussi recherché, après de longues années de séparation. Ce qui suit est la continuation de leur conversation.
Adamsberg serra les épaules de son frère et puis s’assit à la table en face de lui.
– Bien sûr que j’ai bien fait. Qu’est que tu imaginais ? Que je ne lirais pas les romans de cette écrivaine fabuleuse, Eve Donnadieu ? Que je ne reconnaîtrais pas ta « vieille duchesse » ? Elle m’a emmené droit à toi, mon frère.
Raphaël fit un grand sourire en étendant les jambes sous la table. Le regard fixe entre les deux hommes était long, chaleureux et imperturbable.
– Bien, je savais que tu aimerais cette note-là.
– Mais Eve Donnadieu, Raphaël ! Ce pseudonyme est un déguisement pitoyable ! Nous tous savions que tu étais féru de Duras… et ton style, je pourrais le reconnaître n’importe où, les intrigues farfelues parsemées d’indices évidents. Et le chat, Arch, un personnage principal ? ! Tu n’a jamais été subtile, Ange.
Raphaël gloussa d’un air satisfait. En 30 ans son frère n’avait pas perdu son talent pour l’art noble de la taquinerie fraternelle.
– Tu m’as bien traqué jusqu’à ici, JB. Futé, comme d’habitude. Mais tu ne connais pas la suite de l’histoire…
– C’est un défi ?
– Peut-être. Je te défie de suivre les indices dans mon prochain livre. Le titre est En Cavale.
– En Cavale ! Tu plaisantes !
Adamsberg grogna. Quelquefois l’audace de son frère, son manque de circonspection, était alarmant.
– Il ne te plaît pas, ce titre ? Il te dérange ? Mais ce n’est qu’une fable, une histoire illustrée pour les enfants… l’histoire de notre famille, ajouta-t-il observant de près son frère au-dessus de ses lunettes. Nous sommes tous des animaux dans le Jardin d’Eden…. après la Chute, bien sûr !
– De notre famille ! L’histoire de notre famille intitulée En Cavale ? Tu es cinglé, Raphaël Adamsberg. Fêlé ! Ça va donner des idées aux policiers. Tu leur offres ta tête sur un plateau.
– Une belle menace dans ta bouche, Jean-Baptiste, ricana Raphaël. N’oublie pas le sort regrettable de ton saint patron !
– O Ange, tu es incorrigible.
A ce moment-là, Raphaël fronça les sourcils. Il regardait le mouvement reflété dans un miroir accroché au mur derrière Jean-Baptiste.
– Qui est ta copine… dans la voiture ? Elle est en train de s’en aller…
Surpris, Jean-Baptiste bondit de sa chaise.
– Attends, murmura Raphaël, attends… ne bouge pas… O non, la police arrive… Viens, Arch, c’est le moment de ficher le camp…
Raphaël se leva rapidement, serra son frère tout contre lui et disparut dans un couloir sombre suivi de la queue ondulante de son chat noir. Un moment plus tard, deux policiers entrèrent dans la cafétéria.
– Nous cherchons une femme du nom d’Eve Donnadieu. La connaissez-vous ?
Adamsberg dit non de la tête. Discrètement, il sortit par la porte de verre comme un homme en cavale au pays des larmes.

PAR ERIN GABRIELLE WHITE

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Un fantôme

– Tu m’as trouvé ? demanda-t-il sans bouger.
– Oui.
– Tu as bien fait.
C’était un don des dieux d’entendre la voix de son frère à nouveau. Adamsberg se détendit un peu. Ce n’était pas un rêve. Raphaël se tourna. Les frères se serrèrent dans les bras.
– Nous n’avons pas beaucoup de temps, chuchota Adamsberg. Donc je serai bref.
Le commissaire s’éloigna. Malgré la demi-lumière de cette salle sombre, il pouvait observer le visage de son frère. Il était âgé, ravagé et détruit comme la ville elle-même. La vie en fuite n’avait pas été facile pour lui. Et en voyant l’expression sur le visage de son frère, Adamsberg vit que Raphaël désirait des retrouvailles prolongées, plus chaleureuses. C’était le moment de rompre le silence.
– Il y a eu un autre meurtre. La voix de commissaire retentit dans la salle vide. Tout comme tous les autres.
– Quoi ? Je ne comprends pas. Que veux-tu dire ?
– On a retrouvé le corps d’une jeune femme avec trois coups de couteau dans le cou. À ce moment-là, Adamsberg se racla la gorge.
– Et alors ?
– Notre assassin au trident est revenu des morts.
– Mais J-B, c’est impossible ! Raphaël secoua la tête. As-tu perdu la raison ?
– Je sais, je sais. Je suis allé à son enterrement. Je croyais qu’il était mort.
– Et maintenant tu crois qu’il est revenu des morts ou des morts-vivants ?
– Oui, dit Adamsberg à voix calme.
– Alors, tu me dis que tu crois aux revenants, au comte Dracula, aux zombies ? Que tu vas commencer à suivre ce fantôme ?
– Pas vraiment. Je sais bien que ces fantômes n’existent que dans les contes de fées et dans les films. Adamsberg regarda directement dans les yeux de son frère. Ce que j’essaie de te dire, c’est que j’ai peur parce que je suis sûr que ce fantôme me suit.

PAR ROSLYN McFARLAND

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Le plan

– Tu as bien fait.
– Oui. Ça m’a coûté.
Raphaël se retourna lentement pour faire face à son frère. Il l’étudia pour ce que semblait être une éternité. Adamsberg attendait ne sachant pas à quoi s’attendre. Raphaël avait toujours été impétueux ; il aurait été facile de le soupçonner d’avoir tué sa fiancée en une rage. Peut-être que, depuis, il a appris à contrôler son caractère.
– Pourquoi tu m’as cherché ? demanda Raphaël. Tu sais qu’il n’y a pas d’espoir pour moi et maintenant tu aggraves les choses. J’ai vu des cochs derrière ton véhicule et tu les as menés à moi ! Ou tu veux m’arrêter ?
La lumière tombait, l’atmosphère dans le café devenait plus sombre et des ombres commençaient à danser sur les murs. Quelqu’un déclencha l’interrupteur et la lumière fluorescente transforma la porte de verre en un miroir, à travers lequel à tout moment Alice pourrait entrer suivie de près par la Reine des Cours, criant « coupez-lui la tête ! »
– Non, non, dit Adamsberg en se ressaisissant. C’est moi qu’ils suivent. Moi, je suis maintenant en fuite. Ma quête pour prouver ton innocence m’a valu un ennemi puissant qui veut m’arrêter pour avoir falsifier ton dossier auparavant.
– Alors, pourquoi es-tu ici ?
– Pour te dire qu’après une longue chasse, ils ont découvert ton trou caché. Et pour te proposer que nous nous échappions tous les deux au Canada. Voici mon plan. Il y aura des gens qui vont nous attendre pour nous emmener dans le Tunnel de Détroit-Windsor – la meilleure route à prendre. C’est le lien le plus rapide entre les États-Unis et le Canada. Il faut avoir des papiers pour la police des frontières. Je les ai préparés. Nous partons dès que possible. On prétend que tu es sous mon arrestation. Mon lieutenant nous conduira au tunnel.
– Montre-moi les papiers
– Ils sont entre les mains d’un passeur qui nous rencontrera près de la frontière.
– Comment puis-je te faire confiance ?
– Tu n’as pas le choix. Je t’ai sauvé avant. En plus, c’est le seul moyen. Le temps presse.
– Allons-y.

PAR MARGARITA

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Raphael

Le silence était opaque, sauf le bruit de la rue.
– Assieds-toi, mon frère, dit Raphael. Et vous aussi, madame.
Il n’avait pas encore tourné le dos, mais il pouvait voir Retancourt dans le reflet de la vitre derrière lui, sur laquelle deux mots étaient écrits en lettres gothiques noires « Detroit Miroir ». Retancourt secoua la tête.
– Il faut que j’y aille, elle murmura. Je vous rejoindrai plus tard.
Mais elle ne bougea pas. Adamsberg s’assit avec difficulté, comme s’il était subitement affligé par l’arthrite. Raphael fit une geste à un vieil homme bossu à lunettes fumées qui était au comptoir. Très lentement, en trainant les pieds, le serveur âgé apporta une tasse de café. Il la mit, les mains tremblantes, comme une offrande sacrificielle sur la table.
– Tu bois encore du café noir ? Sans sucre ? demanda Raphael à Adamsberg. Amer, comme ça ?
– Oui, dit Adamsberg. Je n’ai pas changé.
– Quel dommage, répondit Raphael avec un sourire. Dans la vie, c’est bon de changer, non ? De s’adapter aux nouvelles circonstances. Tu ne crois pas ?
Le petit bossu à côté de Retancourt, avait l’air de dire quelque chose, mais il resta muet.
– Alors, tu es toujours inspecteur de police, mon frère ?
Adamsberg hocha la tête.
– Comme Dick Tracey ? Raphael rit. Tu savais que c’était dans le « Detroit Miroir », un journal mort maintenant depuis des années, que Dick Tracey est apparu la première fois ?
– Je ne savais pas, dit Adamsberg. Il était très pâle.
– Mais oui ! C’était dimanche, le 4 octobre mille neuf cent trente- …et-un. Tu ne savais pas ? Mais tu es si fort en détails, si je me souviens bien.
Brusquement, Adamsberg dit :
– Tu savais qu’il est mort ?
Le visage de Raphael était calme et froid comme une pierre.
– Le coupable, dit Adamsberg. Il est mort.
– Le coupable, répéta Raphael.
Ses yeux devinrent subitement opaques et brillants.
– Qui est-ce ? chuchota Raphael, avec un regard plein de reproche amer. C’est qui, d’après toi, hein, mon frère ? Le vrai coupable ?

PAR URSULA

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Une vague d’émotion

Une vague d’émotion frappa le chasseur, emportée par la mémoire de la voix du chassé. Adamsberg ne put répondre immédiatement. Raphael se tourna pour parler au frère que, jusqu’à ce moment, il croyait perdu.
– Je me suis souvent demandé pourquoi tu ne m’avais pas abandonné.
– Bonne question pour plus tard. Les cochs me poursuivent comme des hyènes qui suivent la piste de la charogne.
– Et pourquoi ? Je suis le fugitif, n’est-ce pas ?
– Ca, c’est une autre histoire, pour plus tard. Pour le moment, nous sommes la proie. As-tu un havre sûr ?
Raphael réprima sa surprise, tandis que son frère le pressa vers la voiture où son lieutenant attendait. Adamsberg ne fit pas les présentations ni ne donna d’explications. Beaucoup plus important que les raffinements sociaux, Raphael offrait une solution.
– J’ai une cabane dans les montagnes, à vingt-cinq kilomètres d’ici, difficile d’accès, au milieu d’une forêt et pas visible de la route
– Allons-y ! Dépêchez-vous.
Adamsberg démarra la voiture et alla à toute vitesse, sans phares ou préambule. Retancourt, une femme des plaines, s’imaginait les avalanches et pensait aux mésaventures forestières de Hansel et Gretel. Quasi sensible à sa peur, Raphael lui dit.
– Il n’y a pas d’ours près de ma cabane et pas de neige cette année. On peut penser au changement du climat, dont je vois des signes aux alentours. Depuis deux ou trois années, l’hiver est plus sévère et moins long. Les plantes et les petits animaux …
Son frère l’interrompit avec brusquerie.
– Oublie l’homélie. Regarde en arrière. Il n’y a pas de véhicules. Allume les phares, le crépuscule est fini. En moins d’un kilomètre, nous allons commencer l’ascension vers les montagnes. J’ai enfin retrouvé mon frère et le bonheur en même temps.
– Une vigilance infatigable est le prix de la liberté des fugitifs, mon frère.
A ce moment, Retancourt poussa un cri d’alarme. Elle aperçut au loin, en arrière, des phares très vifs et entendit le son faible d’une sirène.

PAR CARMEL MAGUIRE

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La cafétéria

La cafétéria, miteuse, était un vrai boui-boui. A moitié vide, les bancs étaient rangés le long de chaque côté enfermés par des petits murs ressemblant à des cellules de prison, mais le frère était assis à la table au centre. Adamsberg se mit en face de lui.
– Tu as bien fait de me trouver ici, répéta Raphaël. Qu’est-ce-que tu fais à Detroit J-B ?
– Je suis en fuite. Les cochs me soupçonnent d’avoir commis un meurtre au Canada.
Les deux frères se regardèrent, la même taille, les mêmes mèches blondes et grises, les mêmes yeux bleus. Les longues années s’écroulèrent, et les deux garçons entrevirent la camaraderie d’autrefois, les aventures partagées, comme deux héros ensemble, cherchant la toison d’or, à rames avec Jason et les argonautes. Une tâche impossible réalisée par les héros. Les yeux étaient fixés l’un sur l’autre, un sourire lent diffusait sur leur visage respectif.
– Tu veux un café ?
– Pourquoi pas, je me joins à toi.
Adamsberg, soulagé, commanda un café et s’assit à table en face de son frère.
– En fait, je suis arrivé pour t’alerter que le juge est mort. Il est le temps de réclamer ton innocence. Raphaël hocha les épaules lentement.
– Ça ne me fait rien. Je demeure ici maintenant, à Detroit. On ne sait rien ici. A quoi bon remuer ce nid de rats ?
Le café fut servi. Adamsberg resta silencieux, remuant trois cuillerées de sucre dans la grande tasse, puis il dit avec ferveur :
– Mais j’ai la preuve que tu es innocent. L’ADN du juge, de son sang et de son sperme, a été confirmé sur le corps de ta fiancée.
– Tu sais que je suis innocent. Ça suffit pour moi.
Violette arriva tout de suite, se précipita vers eux, jetant un coup de l’oeil sur son épaule, vers les cochs.
– Ça va, chef ?
Adamsberg soupira. – Ah bah oui, ça va !

PAR ANGELA LOW

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Le Frère

Adamsberg entra dans le café Absinthe, une oasis, un petit joyau légèrement terni, dégageant des arômes de liqueur interdite.

Il remarqua la cicatrice au-dessus de l’œil de son frère. Il se souvint alors de la chute qu’il avait faite à vélo quand il n’avait que cinq ans. Il esquissa un vague sourire à cette pensée : Raphaël avait voulu sauter un talus pour imiter son grand frère et s’était retrouvé les quatre fers en l’air, le vélo par-dessus la tête.
Il s’approcha de lui furtivement :
– Il y a longtemps que tu es arrivé en ville ? demanda Raphaël, les yeux toujours rivés sur son café.
– A l’instant.
– Qui est la jeune femme qui t’attend sur le parking ?
– Ma collègue. Mais ne t’inquiète pas, ajouta Adamsberg aussitôt.

Raphaël leva la tête, une expression vague mais résolue sur le visage.
Adamsberg vit en lui cet Antigone, surgi soudain du maigre jeune garçon noiraud et renfermé que personne ne prenait au sérieux dans la famille. Il se sentit soudain déstabilisé.
Cette émotion pesa sur son âme comme une bête inanimée. Il retrouva son aplomb.
– Je t’ai trouvé finalement. Ça fait des années mais je reste toujours ton frère.
– La vie m’a appris à retrousser les manches.

PAR AMANDA

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