François Garde

Textes composés par les étudiants
du cours ATELIER DE LECTURE ET ECRITURE CREATIVE
inspirés par 'Ce qu'il advint du sauvage blanc' de François Garde.

Je respire enfin

Épuisée, étouffante, haletante, mon cœur battant à mes oreilles comme un tambour, je ferme les yeux pour mieux savourer mon triomphe après une longue marche. Assise par terre. L’herbe sauvage chatouille mes jambes. Le picotement de la sueur entre mes épaules, la chaleur rayonnant en vagues à chaque fois que je prends haleine, j’essaie d’entendre le monde aux alentours. Parmi le caquetage général des oiseaux, quelques-uns sonnent comme une clochette. Au loin, un avion grogne sur sa route aérienne et, plus proche mais invisible, une voiture accélère vers une pente. L’air devient frais sur ma peau avec la ralentissement de mon pouls et j’ouvre les yeux.

Les châtaigniers en fleurs sentent la levure sucrée; leurs fleurs jaune pâle comme le sabayon mis en relief par les feuilles vert clair. En haut ici, je vois à la hauteur des cimes et tout l’espace s’étend devant moi. Le bleu majestueux du ciel taché par des nuages ombrés ; les champs de blé dorés se présentent comme une tapisserie ; une rivière serpente au fond du vallon.

Je respire enfin.

PAR GLENDA BUTLER

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Un son

Un son. Un petit son, léger. Un son comme une souris qui court très doucement, sans faire de bruit. Elle a tendu l’oreille. Elle écoutait. Encore, un son. Un petit craquement. Elle a senti un frisson. Son cœur a sauté. Sa bouche était sèche. Ses yeux sont restés fermés. Ses bras ont picoté. Ses mains étaient froides et moites. Ses jambes sont devenues lourdes. Elle avait l’estomac noué. Elle était agitée, nerveuse, fiévreuse. Son corps tout entier tremblait. Qu’est-ce que c’était ?

Non, pas ça ? Est-ce possible ? Elle n’osait pas y croire, ni espérer. Qu’est-ce que ce son ? Elle a lutté pour entrouvrir les yeux. Qui était là ? Elle a jeté un coup d’œil.

Quelque chose de rouge. Grand et rouge. Si grand qu’il remplissait la chambre. Elle a secoué la tête, elle a ouvert les yeux. Soudain, elle était bien réveillée. Un homme grand et rondelet, habillé en rouge – un pantalon rouge, une veste rouge, un chapeau rouge. Une ceinture noire, large et noire, autour de sa taille corpulente. Une barbe garnie, grande et blanche. Les sourcils épais et blancs. Un visage ridé. Les joues rougeâtres comme des pommes mûres. Les yeux gentils, aimables, chaleureux. Son expression un peu amusée.

Elle s’est redressée. Les yeux écarquillés, elle a demandé d’une voix timide, un peu peureuse, un peu mal à l’aise, mais aussi un peu expectative et en même temps ravie ‘Est-ce vraiment vous, Père Noël ?

PAR HEATHER JOHNSON

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En retard !

La nuit qui enveloppait Alice était épaisse et sombre comme du sirop de mélasse. Elle pataugeait dans la forêt prudemment, avec les yeux bien ouverts et curieux, les oreilles filtrant les bruits inconnus. Elle portait sa robe bleue avec, au-dessus, un tablier blanc taché, les cheveux blonds en désordre. Les mots qu’elle avait entendus, répétés clairement dans sa tête. « Je suis en retard ! En retard ! En retard ! », mais qui prononça ces mots- là ? La question la vexa, et sa curiosité la prit, et la dirigea jusqu’à la forêt à la poursuite de la voix. Alice sentit les brindilles se casser sous ses pieds brusquement, et elle frissonna.

-En retard, en retard ! Je suis en retard !, bredouilla quelqu’un juste devant d’elle puis elle entendit un son d’aspiration.

Le désir de suivre les traces du bruit était irrésistible et Alice poussa une branche de côté et fit un pas soigneusement, puis un autre. Soudain elle eut la sensation de trébucher, de tomber, de tourner , de chuter, de culbuter dans un canal entortillé et noir comme le tube digestif d’un serpent. Enfin Alice atterrit sur une litière douce et molle avec un bruit sourd.

– En retard ! En retard ! La voix continua.

Alice cligna des paupières pour enfin découvrir la provenance de la voix.

Un lapin blanc aux yeux roses. Vêtu d’une redingote. Une montre à gousset entre les mains. Un regard d’inquiétude. Il avait des oreilles longues et pointues couvertes d’une fourrure épaisse et luxuriante comme du velours. Il portait des lunettes rondes au bout de son nez rose. Ses moustaches fines et argentées. «C’est absurde et bizarre » pensa Alice en se frottant les yeux.

Le lapin ne la vit pas. Il se mit debout. Comme par magie, il disparut par une porte cachée.

Alice entendit l’écho

-En retard ! En retard !…

« oui, et si je n’arrive pas à trouver la sortie de ce terrier, moi je serai en retard pour le dîner aussi ! »

PAR CHRISTINE AUSTIN

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C’était l’aube

Il faisait beau ce jour-là. C’était l’aube. Le brouillard ne s’était pas encore levé mais le murmure des gloussements l’avait attirée. Et l’odeur de la paille.

Son museau en l’air, ses yeux qui jetaient des regards furtifs autour du poulailler, elle est entrée en coup de vent sous la clôture. Elle reniflait le fumet d’un lapin.

La renarde est restée par terre, le cœur palpitant, la respiration rapide, silencieuse. Elle pensait à la sensation des coquilles qui craqueraient et des os qui claqueraient entre ses dents. Et quelle agitation de plumes ! Son désir de sang et de chair lui faisait penser de sa prochaine proie et elle imaginait ses renardeaux dans la renardière, affamés.

La cage à poules était mi-cachée par de grands groseilliers verts et des framboisiers rouges, les fruits mûris pendus aux branches.

Mais elle n’était pas idiote, pas elle. Derrière les buissons elle pouvait distinguer une bonne dizaine de poules pondeuses dodues – blanches, brunes et noires – qui dormaient dans les nichoirs avec un œil ouvert.

Elle était gourmande. Donc, elle s’est léché les babines en rêvant du repas à venir. Elle avait envie d’une bouchée de poulet, un petit poulet bien rond – pour elle et pour ses petits. Et en plus, terrifier les poules, ça serait formidable !

Tout d’un coup la renarde a entendu le loquet de la porte du jardin. La jeune fermière a fait son apparition, les longs cheveux roux en queue de cheval. Elle portait une combinaison orange, vive comme le coucher de soleil.

Elle était sage et rusée cette fille, et bien expérimentée malgré sa jeunesse. Elle connaissait très bien les habitudes des renards et des wombats de la vallée. L’aube, l’heure traditionnelle pour les prédateurs. Elle s’attendait à l’arrivée de quelconque animal ce matin.

La renarde l’a vue avec son fusil de chasse et terrifiée du danger, elle est sortie sournoisement, revenant sur ses pas sous la clôture. Pas de volaille aujourd’hui pour sa famille !

PAR ROSE CHENEY

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Une rencontre marquante

Le visage indistinct, la forme intime, familière. Les mouvements connus, souples, gracieux. Elle marchait vers l’homme, des pas courts, mesurés. Est-ce que c’était lui ? Elle ne voulait pas s‘avancer – juste l’observer, observer son visage, observer sa démarche, son humeur, comme une anthropologue. Elle sentait une vague d’angoisse qui soulevait son ventre noué et qui envahissait son corps tremblant. Cette vague déferlait comme un courant fort et dangereux et remontait vers son visage rougissant.

Elle aurait continué à marcher mais lorsque leurs yeux se rencontrèrent, ils se lièrent immédiatement dans un moment de reconnaissance. Ils s’arrêtèrent simultanément.

L’homme ravagé la regardait fixement en fronçant les sourcils. Un regard persistant : les yeux mélancoliques, les cheveux fades et débraillés, le front ridé. Pas un mot, puis un sourire aux lèvres sèches lorsque son ancien amant se révéla. Elle voyait des traces du bel homme du passé – ses fossettes profondes, son sourire chaleureux, son expression ironique. Ils se regardèrent un long moment pendant que son angoisse s’évanouissait. Il lui offrit la main anxieusement. Elle la prit tranquillement avec tendresse et sympathie.

PAR KAREN BRYANT

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Le retour des cinq sens

Un faible parfum antiseptique, pas déplaisant, assaillait son sens de l’odorat. Puis une autre odeur. Etait-ce le parfum d’une rose ? Elle tentait de fermer la bouche pour mieux inspirer. Oui, c’était ça, le parfum d’une rose et un peu de lavande.

Sa bouche était mouillée mais ses lèvres étaient sèches et craquelées. Pas de goût. Elle avait un vague souvenir de l’eau qui coulait dans sa bouche, d’une éponge trempée mais pas d’un verre, de l’eau rafraîchissante, même si elle n’avait pas soif.

Les sons accostaient son ouïe. Clic..clac..clic…clac.… Et des autres plus bas, des chuchotements, un son chuintant, et plus loin un faible ronronnement, interrompu par des signaux sonores courts. Soudain une voix. Une voix familière et chère. La voix sereine et tranquille de sa soeur, Cécile.

– On dit que le dernier sens à être perdu c’est l’odorat, toujours l’odorat. C’est la raison pour laquelle je t’ai apporté ces roses aujourd’hui. Ah, comme tu adorais les roses! Et ce petit coussin rempli de lavande, un souvenir de notre enfance.

Cécile mit le coussin sous la nuque de sa soeur et prit son bras avec une extrême douceur. Elle regardait l’infirmière qui faisait les soins de la patiente. Elle, elle sentit la main fraîche comme un caillou dans une rivière, lisse et calme. Le tissu du petit coussin caressa sa joue, rêche mais bien aimé. Son corps ne bougea pas, les quatre membres immobiles. Elle pouvait ouvrir les yeux.

La lumière brillait, une lumière blanche et artificielle. Elle cligna des yeux ; presque une douleur. Elle plissa les yeux contre cette lumière terrible. Sa soeur se tourna vers elle, regardant son visage chéri, beau comme un ange, sans ride. Cécile caressa ses cheveux ondulés et luisants. Avec effort, elle rouvrit les yeux encore une fois. Un moment de joie ! Soulagée, elle lui sourit.

PAR ANGELA LOW

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Le repêché du torrent

Du noir. Du noir. Le noir le plus profond et effroyable que l’on puisse connaître. Était-il toujours de ce monde ? Est-ce qu’il avait franchi la frontière ? Le froid l’envahissait progressivement, le saisissait à la gorge, aux pieds, lui dévorait les doigts. Ses poumons lui semblaient geler de l’intérieur, à chaque respiration. Son cœur pompa un gros coup et il fut soudain traversé par un flux de chaleur mais il continuait à trembler violemment de froid. Tout tournait dans sa tête et les flashes continuaient à taper sous son crâne. Il entendait des bruits assourdissants comme des klaxons et les hurlements puissants et impitoyables du vent. Il ne pouvait pas bouger. Il voulait mourir.

À peine audible, la voix terriblement faible et lointaine semblait jaillir d’outre-tombe mais il la connaissait. Plissant les yeux, il crut voir quelqu’un à côté de lui. Oui, c’était elle, sa femme chérie, emmitouflée, avec sa doudoune boutonnée jusqu’au cou, sa capuche serrée sur ses cheveux humides. Il la fixa du regard, les larmes avaient envahi ses yeux noisette. Le ciel était d’un noir de Chine, les étoiles et la lune vomissaient leur lumière malade, lissant les reliefs d’une couche de givre. Au cœur de cette nuit glaciale, c’était une drôle de clarté qui s’élevait. En arrière plan, les ténèbres des montagnes, ces pins tendus vers le ciel, des chênes et des frênes dénudés, enchevêtrés comme des tissons de verre.

L’ambulance l’attendait.

PAR DC

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C’est un beau jour bleu

C’est un beau jour bleu. Le soleil brille et la mer m’attire. Je descends là, ce n’est pas loin de la maison et je m’allonge sur le sable accueillant. Je vais m’y reposer un peu et me réchauffer assez pour mieux profiter de la fraîcheur quand je plongerai dans la mer.

La mer est tranquille, il y a peu de vagues, et l’eau rafraîchit mon corps, mon esprit, mon être tout entier. Je nage et je nage, touchant parfois le sable avec mes pieds, parce que la marée n’est pas encore montée.

Maintenant, il est le temps de rentrer. Mais je dois concentrer toute mon attention – c’est une lutte et bientôt c’est inutile. Je nage à contre-courant. Mon oncle qui a vécu sur la falaise a toujours dit que la mer est comme une femme, qui peut changer d’humeur sur un caprice. Sagesse certaine. Ceci est ce qui vient de se passer.

Je suis immobile dans le centre d’un tourbillon, tournoyant autour de moi, vert et bleu. Je suis suspendue en un moment. Je me sens engourdie. Mes yeux, sont-ils fermés ou ouverts ? J’entends un bruit sourd répétitif et ma tête est sur le point d’éclater. Je sais que je me noie, car je ne peux pas sentir le sable sous mes pieds, et quelque chose me tire vers le bas. Je ne peux pas bouger, je ne peux pas crier à l’aide. Je suis seule, toute seule, moi et la mer. Je veux pleurer. Peut-être que je le fais déjà, mais c’est la mer qui le sait mieux, la mer qui prend mes larmes, les ajoutant à ses vagues salées. Combien de larmes a-t-elle pris?

On dit que, quand on est sur le point de mourir, la vie défile devant les yeux, probablement en une série d’images, quelques souvenirs dans un ordre aléatoire – et consciemment je tente de les capturer. Ma mère. Mon père. Mon mari. Mes chats. Ah ! Voilà un chat qui apparaît devant mes yeux. Il court vers moi, sa fourrure rousse, reflétant les rayons du soleil. Il m’appelle, je ne peux pas l’entendre. Il est si beau. Il avance plus près. Je vois sa poitrine forte, ses yeux verts d’émeraude, son nez, son bouche, son front avec lequel il va pousser le mien. Je veux le toucher, le caresser. Mais je sais que je dois le laisser partir. Et maintenant je le vois, glissant le long de l’horizon, son corps étendu entre le ciel et la mer. Tout est en harmonie. Le soleil se couche.

PAR MARGARITA


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