Francis Ponge

Textes composés par les étudiants
du cours ATELIER DE LECTURE ET ECRITURE CREATIVE,
inspirés par 'Le savon' et 'le pain' de Francis Ponge.

Le Vin

Comme l’histoire du premier amour, le vin rouge doit être savouré. Parfois, il semble fort, parfois un peu passif et fade. D’autres fois, il apparaît vulgaire, voluptueux, enivrant. Certes, le vieux Bacchus peut dire au monde une chose ou deux sur le vin rouge : ce liquide câlin, ce nectar divin.

Vous rappelez-vous l’ancien conte d’un bon fétard au repas de noce ? Quel sauveur de désespoir ! Quel fabuliste ! Il a transformé de l’eau en vin de festin. Normalement, la fabrication du vin n’est pas si mystérieuse, si glorieuse. Pour faire du vin, il faut recueillir des grappes de raisin noir de la vigne, comme un écrivain qui rassemble ses idées du ciel pour créer un bouquin éternel.

Ce fluide est beaucoup de choses – c’est un don des dieux, le sang du Christ, le lait des vieillards, un symbole d’amour, une inspiration pour les artistes et un transformateur de la vie. Peu importe ! La gloire du vin rouge est sa raison d’être.

On peut trouver la vérité dans un verre ou trois, mais si pris avec excès, ce vin devient vengeur – un assassin silencieux. Il est muet, mais il donne sa parole d’honneur : boire, c’est libérer l’esprit. Il glisse vers le bas de la gorge. Il lâche les langues. Il peut convoquer le sommeil. Il peut provoquer le désir ou le supprimer – parfois, en même temps.

Ma foi, ma joie est là !

PAR ROSLYN McFARLAND

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Le limonadier

Il est pour moi l’ami de la soif,
le sauveur de l’ennui,
le secours des dérangés.
Il m’attend doucement parmi les outils quotidiens…
Ignorant l’étymologie, le limonadier n’accepte pas de restriction,
il embrasse la polysémie – et pourquoi pas !
Le limonadier a toujours apporté le bonheur,
En fabriquant et en octroyant le délice aux buveurs…
Aujourd’hui, il a atteint un destin beaucoup plus noble.
Il peut porter la consolation du bon vin,
bien que très loin des champs de Saumur et Sancerre.
Il est fort.
Même le bouchon le plus serré ne peut pas résister à sa force.
Comme un hôte, il ouvre la porte du bonheur pour les amis,
et, en même temps, il éradique les visages de l’ennemi.

A cause d’un clou manquant, dit l’adage, le cheval tombe, le message se perd, et aussi la guerre. Sans limonadier, le grenadier de la vie contemporaine, nous risquons de nous retrouver face à la menace de l’hiver nucléaire, du réchauffement climatique, de l’imbécillité de la politique et à la prolifération des bouchons à vis.

PAR CARMEL MAGUIRE

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La feuille

La
feuille
se révèle
graduellement,
du nodule é-merge-ant
sur la tige, du point à peine
perceptible, une bosse pousse, grossit,
explose, explore, s’étend, se déplie, s’aplatit,
et, peu à peu, atteint … enfin … sa dimension définie.
Virile, verte, pleine de sève, vertèbres rayonnant de la ligne
centrale, elle nous offre, avec ses sœurs innombrables,
ombre, abri et vêtements pour toute créature…
couvrant la honte du pauvre Adam !
Mais aux vents froids d’automne,
elle soupire, susurrant
le chant désolé
des feuilles
mortes.

C’est la chute ! Ayant été exposée au vent et au soleil, à la pluie et à la gelée, la feuille
jaunit, sèche et se détache, flottant, tombant, retournant, sans résistance, à la terre, à la
poussière, au royaume des vers, d’où elle embaume l’atmosphère. Ce cycle se termine.

PAR ERIN GABRIELLE WHITE

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La feuille

Je passe mes doigts sur sa surface lisse : cette merveille qui a révolutionné notre monde.

À l’origine, le papier était fabriqué à partir de vieux chiffons, en chanvre ou en lin. Aujourd’hui, les troncs d’arbres, les roseaux, les vieux chiffons de coton, et même le crottin d’éléphants peuvent être utilisés. Croyez-moi ! Tout est découpé, effiloché, et broyé dans des moulins munis de piles à maillets à clous. Dans les énormes pourrissoirs avec d’énormes quantités d’eau, tout est macéré, trituré. Et voilà, l’enfant de deux parents, l’Egypte et la Chine, est né – la pâte vierge à la base du papier.
Après avoir subi autant d’étapes : humidifiée, écorcée, défibrée, râpée, filtrée, nettoyée, déchiquetée, égouttée, aspirée, raclée, tronçonnée, cette feuille apparemment fragile se fait robuste.
Je regarde au ciel en me demandant comment une telle feuille simple pourrait avoir émané d’un arbre.

Après tout, rien de plus banal que de voir cette feuille inerte, taille A4, plate et fine, sur mon bureau.
Calme et posée, blanche, pure comme la neige fraîche, douce comme la peau d’un bébé.
Elle semble partager, communiquer, imaginer le futur. Elle semble me supplier (ou me défier peut-être) de prendre la plume, voulant que l’encre soit absorbée, mais la page reste blanche… Je veux agir mais je ne peux pas.
C’est comme un besoin mutuel. Une symbiose ?
Ses fonctions sont infinies. C’est le support pour l’écriture créative, la poésie, le crayonnage d’un enfant, le griffonnage d’un écrivain toujours avec l’angoisse de la page blanche. Sa forme peut se façonner selon nos désirs : l’origami, les heures d’amusement à confectionner des avions en papier… Elle nous offre tout pour nous divertir. Tout est possible.

Hélas, souvent elle se trouve chiffonnée et jetée à la poubelle.
Il y a beaucoup de choses à dire à propos de la feuille et de sa fabrication. Vous entrerez dans mes petits papiers, si vous pensez au recyclage pour préserver l’environnement.

PAR DC

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La chevelure

Si je caresse mes tresses …
Je commence un voyage magique
dans leur foyer volcanique.
Elles surgissent, bouillent, déferlent entre mes doigts…
Le feu capillaire me porte dans un autre univers.
Guidée par mes tresses lourdes et denses, je plonge dans une végétation immense.
Ses noeuds de fleurs, ses boucles de feuilles…
Plus je les caresse, plus je les rend glissantes, lucides.
Fortes tresses !
Laissez-moi respirer.
Je m’enivre de vos parfums, le musc, le goudron, la rose.
Le feu, l’air et l’eau…
Je baigne dans la merveille…
un paysage sans pareil.
Cette chevelure élastique et rebelle
devient liquide, brûlante, éminemment charnelle.
Cette enveloppe extérieure me transporte dans ce monde supérieur.
L’infini de son ciel d’azur
me rend dans un état pur.

PAR AMANDA

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La tasse

Je m’attends à la vague chaude qui va m’engloutir,
Mes doigts entourent l’anse solide attachée comme une oreille prête à tout écouter,
J’incline la tasse vers ma bouche ouverte et verse le liquide.
Rapidement une sensation de chaleur, de bien-être, envahit ma gorge…
Quel plaisir !

Héritière d’une tradition ancienne, façonnée d’argile, un mélange de cercles, de courbes et d’arcs qui dansent en harmonie.
Blanche, brillante, éblouissante, sans début ni fin,
elle tourne à gauche et à droite vers un horizon qui n’apparaît jamais.
Façonnée d’une matière tolérante, résiliente, accueillante,
qui accepte tout ce qui l’inonde sans réagir ni résister.
Présente à la table le matin et le soir comme un témoin silencieux :
les conversations des convives sont entendues, les allées et venues sont remarquées et les secrets de la maison sont bien gardés.
Je la tiens très proche, et l’embrasse souvent, puis la repose sur le bureau, la table ou le banc et l’oublie jusqu’à la prochaine soif.
Cet objet généreux qui me conforte toujours mais attendez ! En un clin d’œil il est cassé, les morceaux dispersés. Ce n’est pas grave ! Une autre viendra titiller mes lèvres infidèles.

PAR KAREN BRYANT

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Le thé

Qui suis-je?

Ma morphologie est non seulement concave mais aussi convexe, comme un petit cercle argenté coupé en deux, rutilant, étincelant et brillant dans la lumière, qui reflète les images déformées de la salle. Sur le côté convexe, on discerne les contours des fenêtres et des lampadaires du salon et l’image de mon propriétaire, ses cheveux roux flamboyants, qui se sourit intérieurement. Sur le côté concave, toutes les images sont renversées. Mon manche est fin et lisse, rond comme une petite roulade, qui relie la coupelle à un cochon en miniature, sculpté parfaitement, toujours en argent : quatre pieds, une queue en spirale, deux oreilles délicates et un museau mignon.

Je ne sais pas où on m’a découvert. Est-ce que je suis d’origine mexicaine, ou plutôt turque ou australienne ? De toute façon, j’ai été fondu et travaillé par une orfèvre australienne, Sharon Cornthwaite. En parfaite modestie, je peux dire que je suis un objet de beauté – simple et en plus, raffiné. J’ai de l’allure, j’en suis sûr.

Mais j’avoue librement que mon utilité est limitée. Sans la puissance et le glamour d’un couteau de cuisine en acier, ou la volupté d’une louche avec sa soupière, je suis éclipsé. Je tombe à plat. Pas de fanfaronnade pour moi ! Je préfère rester loin du bruit et de la notoriété d’une vie mouvementée. En effet, l’ombre de l’après-midi me convient. Cela me plaît. Mais si vous avez besoin du sucre pour votre thé ou votre café, vous pouvez compter sur moi !

PAR ROSE CHENEY

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Le dentifrice

Le ver postillonne en sortant de sa veste blanche et dure et allonge son beau corps avec des rayures colorées au citron vert sur les poils de la brosse, et la brosse le porte dans la bouche chaude et en attente ; à l’intérieur il est maintenant libre d’errer, d’explorer la douceur des crêtes roses, et la dureté des incisives, des canines, des prémolaires, des molaires… Rien n’échappe à son avide curiosité. Quand il glisse sur la langue et sous la langue, il se développe avec excitation et dégage son parfum exotique de menthe. Avec son aide, la brosse qui frotte doucement, il remplit chaque recoin de la bouche de cette odeur, qui provient des jardins suspendus de Babylone – le mousse verte et poreuse le suit et ensuite quelle sensation de savourer les endroits jusqu’alors inconnus !

Mais ce qui se passe ensuite est un goût métallique sous-jacent. La réalité n’est pas ce qu’elle semble. C’est une trahison, et maintenant la promesse de la mousse de la menthe est un mensonge ! Alors maintenant que enous avons la bouche bée, stupéfiée, comme si elle ne comprenait pas le tour joué dessus et la masse verte en disgrâce désireuse de disparaître mais indécise où aller… la réalité nue de la confusion et dépouillée de toute promesse.

Rincez la bouche pour éliminer les pensées impures et lavez les péchés afin qu’elle en soit purifiée avec ses dents nettes et pétillantes.

PAR MARGARITA

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La Carte de Jeu

Légère, plate, Douce et délicate,
Sous mes doigts tremblants
Comme la peau d’un œuf nouveau-né
Pleine d’espoir, avant le jeu – l’heure du combat
Le Rouge et le Noir
Et je suis verte de peur…

Mais la petite poussée
Toute verte
Dans cette forêt
Lointaine, dense et secrète,
A entendu les pas menaçants du bûcheron
Et a vu son avenir
Sans crainte, sans blêmir !
Ella a compris son destin
Devenir enfin
Cette carte lancée
Ce roi de cœur au visage si triste
Qui m’attend, lui aussi, lame à la main
Et le sort est jeté.

PAR URSULA

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L’oignon

Au début, l’oignon trône sur la planche à découper en bois. Il m’attend, robuste et fidèle, la pelure fine, sèche et dure, comme le papier-pelure d’une bible… mais fauve, brun pâle et luisant, lisse, un globe dodu dans un mur d’enceinte, la tige sèche en haut, les racines blanchâtres au-dessous, inertes, loin de la terre, hors de ce monde…

Tout de suite, sans attendre, avec une lame de couteau tranchant, je coupe deux disques, un en haut et un en bas, puis incise la pelure et l’épluche. Je rejette tous les fauves dans la poubelle. La chair sous-jacente qui reste est blanche et humide, nacrée, versant des larmes piquant de chaque bout coupé. Je divise en deux, les lamelles se séparent pour montrer le coeur. Puis je coupe en tranches fines sur la longueur, recoupe dans l’autre sens pour faire des petits morceaux. Il me met en larmes mais les morceaux sont frais dans mes mains…

J’ajoute les morceaux dans le beurre fondu à feu doux. Ils commencent à grésiller. L’odeur est vive, aromatique et savoureuse, enfin douce. Je les remue doucement avec la cuiller en bois. Ils ramollissent, prenant une couleur dorée. J’arrête le feu, sinon les morceaux vont brunir et le goût sucré est perdu, âcre. Les petits morceaux d’oignon disparaissent dans le ragoût.

L’oignon est un ancien légume vulgaire, humble, modeste, mais célébré par toutes les cuisines du monde… la base essentielle, la racine et l’âme des plats appétissants qui séduisent tous les cinq sens.

PAR ANGELA LOW

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