Florence Aubenas (2)

Textes composés par les étudiants
du cours ATELIER DE LECTURE ET ECRITURE CREATIVE,
inspirés par 'Le quai de Ouistreham' de Florence Aubenas.

Un glissement de terrain

En janvier 1942, le gouvernement australien, menacé par une invasion japonaise, crée une Agence nationale pour l’emploi avec autorité totale pour l’allocation de boulots. Le ministre responsable est John Dedman. Quelques citoyens soumis à ses régulations ridiculisent son nom, mais, en général, tout le monde est respectueux. Dans la scène suivante, je vais raconter l’histoire d’une cousine imaginaire, Marie. Je trouve ses expériences dans cette époque de la mémoire accumulée des membres de ma famille et de leurs amis.

Tout le monde m’avait mise en garde. Tu n’as que quinze ans. N’abandonne pas l’école. Reviens à tes livres. N’oublie pas les histoires tristes des filles qui ont cessé d’étudier. N’y pense même pas. Les mères, les copines, les tantes, les nonnes – toutes savaient que l’Agence nationale pour l’emploi était capable seulement d’offrir des boulots horribles. Armée de la sagesse de celles qui ne sont jamais entrées dans un bureau de l’Agence, j’y arrive sûre qu’il n‘y aura pas de position pour moi et que je serai libre de faire ce que je veux.

À la porte de la salle d’attente, une femme aimable me donne un nombre et je m’assieds près d’une fille qui me demande immédiatement : « Ta première visite ? » Sans avoir le temps de répondre, je dois écouter le récit de ses expériences. Évite les fabricants de nourriture, et en particulier Weeties, le conditionnement des céréales de flocons de blé. La chaîne de montage de Weeties est la pire. Pire que l’usine de munitions avec l’arôme de cordite dans les narines et avec la peur d’une explosion toujours dans l’air ; pire que la cuisine de la pension pour les enfants évacués du nord où chaque jour ils doivent éplucher des tonnes de pommes de terre ; pire même que la possibilité d’assister aux actualités filmées avec le ministre Dedman, l’homme mort. Et tout le reste de la salle est d’accord.

Une porte s’ouvre de l’intérieur et une voix masculine crie mon nom. Ma voisine me dit : « Dépêche-toi, le crieur public t’attend ». Tremblante comme une feuille, je suis sa voix pour trouver un homme jovial qui m’assure après un long regard que je serai très utile et très heureuse de travailler dans l’usine à céréales. Le sort en est jeté. J’accepte mon destin.

C’est ma première journée de boulot et j’arrive de bonne heure à l’usine. Une foule de femmes attend déjà, jeunes et âgées, belles et moches, silencieuses et loquaces. Je suis étonnée de reconnaître parmi ces dernières ma voisine de l’Agence. Et, bien entendu, je retrouve ma voisine à la chaîne de montage de Weeties. Après une leçon brève, chacune doit aller à son poste à la chaîne vérifiée par le surveillant. La tâche semble simple. On doit assurer l’arrivée d’une boite en carton avant la chute d’une portion de Weeties. Tout va bien et je commence à me détendre. Soudain l’approvisionnement de boites cesse. J’entends ma voisine qui rit et qui s’écrie : « Arrête la chaîne, arrête la chaîne, il y a un glissement de terrain fait de Weeties ». Le surveillant est furieux et il me donne mon congé.

Quelquefois, à mon retour à l’école, je me demande si ma voisine est l’agente provocatrice qui a saboté l’arrivée des boites de mes Weeties. Peut-être devrais-je la remercier.

PAR CARMEL MAGUIRE

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La déménageuse

Tout le monde m’avait mise en garde. Ne fais pas ce boulot. Tu vas te casser le dos. Tu vas te fracturer le crâne en tombant dans les escaliers exigus d’un vieux bâtiment. Ne pense jamais à ça. Trouve autre chose. Ce boulot est plus ardu que celui d’infirmière où tu dois hisser les lourds corps d’un lit à l’autre ; plus ardu que celui de nounou qui te paye encore plus mal que celui d’infirmière ; plus ardu que dans les bureaux où les patrons te pelotent autant qu’ils veulent. Ah non, ce boulot n’est pas digne d’une jeune femme.

À l’époque, je me considère solide. Je fais du trapèze, des acrobaties. Je ne me sens pas du tout faible.

Trois mois et quatre jours plus tard, le jour où je démissionne, il fait carrément chaud. Le soleil blanc perce les os. Une femme veut que l’on déplace le vieux frigo en bas des escaliers. Facile. À la troisième marche, j’ai une sensation en dessous de l’omoplate. Une sensation qui sera le début de plusieurs autres sensations plus ou moins supportables pendant l’année à venir.

Mais quand même j’ai fait la connaissance de personnes intéressantes. Un homme de taille moyenne, pas grand mais pas petit non plus. Il me dit d’un air désarmé : « Je n’arrive pas à porter tous ces lourds cartons. – C’est pour ça que vous nous avez embauchées, nous les camionneuses » je réponds, moi qui suis une femme de taille moyenne.

PAR JANINE

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Les vendeuses

Au cours des années 1950 à Sydney, un travail de Noël était presque « un rite de passage » pour les adolescents. Les vacances d’été pour les lycéens commencent en décembre chaque année, ainsi beaucoup de jeunes postulent pour un poste de vendeur ou vendeuse dans les grandes surfaces. Ma copine d’école Annette et moi décidons de postuler à un emploi à l’agence de presse à Double Bay où on vend des livres et des cartes de Noël. Nous avons seize ans ; nous avons fini les examens ; nous avons été séparées de nos copains pendant leurs camps de cricket et d’aviron et nous avons besoin d’un travail ; l’ argent de poche ne va pas assez loin. Le patron Monsieur H. est un ami de mon père, c’est peut-être pourquoi nous avons été acceptées sans références. Le père d’Annette, un avocat très vieux jeu est désapprobateur, de même que certains amis de sa mère. Une dame commente : « Ne pensez-vous pas que travailler dans in magasin est plutôt pour le prolétariat ? » Ma tante est très encourageante, elle est cadre dans le département de chapeaux à David Jones. Mes parents semblent heureux et fiers. Nous aurons un degré d’indépendance !

Notre premier jour arrive, une chaude matinée de décembre. À neuf heures, l’aventure commence. Nous sommes présentées au personnel permanent, Monsieur et Madame H. et Hazel, le chef de rayon et une femme désobligeante !

Le magasin a des ventilateurs mais pas de climatisation, et les étagères sont à l’arrière. Chaque après-midi semble plus chaud que le précédent ! La pause déjeuner au café pendant vingt minutes est un soulagement.

Chaque jour nous devenons plus efficaces à la caisse enregistreuse, les cartes sont vendues en shillings et pence ; c’est un défi pour mon arithmétique ! Nous vendons des livres chers et nous recevons une petite enveloppe en fin de semaine. Notre premier SALAIRE ! Mais Hazel semble toujours être derrière nous ; elle n’arrête pas de nous rappeler que nous sommes des saisonnières et que nous n’avons qu’un CDD. Elle nous dit de faire attention parce qu’elle a les yeux sur nous. Au début nous pensons qu’elle plaisante et nous rions derrière son dos. Mais elle est féroce et son regard perçant est omniprésent. Même 60 ans plus tard, je vous conseillerais de faire attention si vous travaillez avec une personne appelée Hazel !

PAR ANN B

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La Descente

C’était à l’occasion de mon cinquantième anniversaire. Pour le célébrer, nous avons décidé de faire du vélo en Italie, pour profiter du soleil, de la nourriture, du charme et de la gentillesse abondante des habitants. Une semaine dans le Piémont et une semaine dans les Pouilles. Quand on fait du vélo, on peut regarder le paysage avec des yeux plus proches de la terre et sentir la liberté rarement aperçue. Nous avons retrouvé Marya notre ancienne guide de vélo, toujours professionnelle et quelqu’un qui a toujours un sourire sincère. Une femme qui montre la joie de vivre à travers la nature, je veux dire qu’elle aime bien son travail. Le pire dans un tel voyage c’est les distances, souvent plus pénible pour moi que pour mon mari, avec en moyenne entre 50 et 90 kilomètres par jour. Peu importe la température, peu importe notre humeur ; on avait pris la décision de le faire et on le ferait.

Après avoir passé une semaine exhaustive dans les Pouilles, on a voyagé vers la région plus montagneuse en Italie, bien connue pour ses rues sinueuses et raides. Ce n’est pas une région réputée pour le tourisme ; le Giro d’Italie y passe presque chaque année comme un tourbillon d’activités, puis viennent le silence et les dégâts. Le lendemain, les collines se présentent avec chaleur, la température et le soleil sont un rappel important pour nous de profiter de tout. Les tournesols sont en pleine floraison, leurs majestés épanouissantes. Ce jour-là, mon mari est déjà descendu, moi je trouve le temps de prendre des photos et d’admirer le beau paysage encore changeant.

En descendant et en une fraction de seconde, l’univers pour moi s’écroule. Une femme qui est derrière de moi dans sa voiture voit l’incident. Les tournesols remplacent une forêt verdoyante, calme et fraiche. Attendant longtemps au fond de la colline, mon mari découvre ce qui s’est passé. « Incidente, incidente ! ». Pour lui, ce sont des mots qu’il n’aurait jamais voulu entendre en italien. J’atterris, évidemment avec une puissance qui me rend inconsciente. Je me souviens de quelques images : celles par lesquelles je me rends compte que je me suis gravement blessée. Alors durant le processus de triage dans la salle des urgences, je réalise que quelque chose d’inattendu m’est arrivé, et que je devrai rassembler toutes mes forces. Après un temps de réflexion et le sentiment que le cafard gagne le jeu, je décide de réapprendre une nouvelle langue. La langue française m’a guéri, mais cela est une autre histoire.

PAR SOLVEIGH

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