Ernest Pépin

Textes composés par les étudiants
du cours ATELIER DE LECTURE ET ECRITURE CREATIVE,
inspirés par 'Coulées d'or' d'Ernest Pépin

La main verte

À l'âge de treize ans, lorsque mon père, pour mon anniversaire, m'offrit un tuyau avec des trous qu'il avait réparés, son intention de m'encourager à faire du jardinage avait complètement raté…

Jusqu'au jour où une amie m'emmena faire un tour de son jardin.

Tout d'un coup, j'ai été submergée dans un autre monde, le monde de la nature, mes narines imbibées des parfums de lavande et de jasmin, les branches des arbres m'accueillant avec leur douce brise, une nouvelle découverte. Les mélodies du bruissement des feuilles, la texture tentante des plantes, la sensation exquise du toucher velouté des roses, les feuillages et les pétales duveteux, les lys délicats ou plus rugueux, les feuilles charnues, le défilé de couleurs qui défiait la palette de l'artiste, point égalée dans le monde humain.

J'avais trouvé un métier artistique, une nouvelle appréciation de la nature et de sa puissance.
Une invitation à ressentir le pouvoir apaisant des thèmes liés à l’art du jardin, propres aux Magritte, Mapplethorpe, et nombre d’artistes internationaux ou émergents qui dessinaient les contours de l’espace thérapeutique, culturel et nourricier qu’était le jardin. Le fait de donner et de recevoir m'avait fait oublier mon sens d'isolation, mes soucis et mon auto-absorption. Je me sentais dans un paradis dont personne ne pouvait voler sa magie. Comment expliquer cette maladie étrange qui s'était emparée de moi, cet engouement pour le jardin ? Ce fort besoin de faire du jardinage à n'importe quelle heure, m'immergeant dans un monde enchanté où la verdure ne demandait point d’explication. C'était un métier artistique qui exigeait de l'imagination afin de créer l'aménagement des espaces. Les démons avaient été remplacés par des fées ! Dans un futur proche, j'étais certaine, j'allais créer mon propre jardin.

PAR AMANDA

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L’Opéra

Malheureusement mon introduction à l’opéra suivit une tragédie ! Ma grand-tante Sarah mourut dans un accident de voiture lorsqu’elle visita la tombe de son fils à Darwin juste après la seconde Guerre mondiale. Elle légua tous ses biens à ma mère y compris un électrophone et une boîte de disques, essentiellement de la musique classique et particulièrement des extraits d’opéra. Pour la première fois, j’entendis des légendes de l’opéra mondial. Au début, les compositeurs semblaient avoir des noms italiens... Verdi, Puccini, Caruso, Gigli. C’était tellement exotique, si fascinant, une nouvelle vie.

J’étais captivée par les airs, par les ténors, par les sopranos. Je ressentis une joie immense en écoutant les refrains. J’aimai découvrir l’intrigue, la mise en scène ! C’étaient des contes de fées musicaux, c’étaient des cours de géographie musicale.
Je partageai la douleur de rejet avec Cio Cio San au Japon (Madame Papillon), j’étais à Paris avec Mimi et ses amis quand elle était mourante de tuberculose (La Bohème). Je vis les pyramides et des chameaux en Égypte quand j’entendis la marche triomphale d’Aida. Je découvris l’opéra Carmen, situé en Espagne et écrit par Georges Bizet, un Français.

J’appris la vie des gitans et que la tauromachie était un sport, plutôt dérangeant. L’une de mes chansons préférées était le Chœur d’enclume (Il Trovatore), elle se déroulait dans un camp de gitans aussi en Espagne. C’était bien connu et facile à fredonner avec un rythme répétitif. Je l’entendis et vis pour la première fois dans le film « Nuit à l’opéra » avec les frères Marx. C’était au même moment que je découvris les disques. Imaginer ces endroits intéressants renforça mon plaisir, j’étais enchantée chaque fois que je jouai un
disque. Je m’extasiais, je me délectais, j’apprenais. Parfois je pleurai, parfois je ris, parfois je rêvai que je
chantais avec la chorale.

Mon amour pour cette forme d’art s’élargit au fil des ans, j’aimais les comédies musicales et les opérettes légères telles que Gilbert et Sullivan. Je chantai dans un des premiers opéras de Mozart (Bastian et Bastienne) lorsque j’étais à l’école, il y a de nombreuses années ! La passion persiste. Le mois prochain je vais voir Rigoletto à l’Opéra de Sydney !

PAR ANN B

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Allégresse

« Blow, bugle, blow, set the wild echoes flying, And answer, echoes, answer, dying, dying, dying. » J’entendis ces lignes du poète anglais, Alfred, Lord Tennyson (1809-1892), pour la première fois lors d’une classe d’anglais, lignes qui apparurent dans un extrait du poème, « The Princess », à la page 265 de A Pageant of English Verse, le livre choisi pour mon examen final. C’était la fin des années 50 et je m’apprêtais à achever ma scolarité dans une petite école catholique dans le Queensland en Australie, loin de Lord Tennyson et de l’Angleterre du 19e siècle. J’avais 16 ans. Tout de suite, je copiai ces mots dans mon carnet de citations mémorables, un carnet qui, à cette époque-là, se remplissait rapidement. C’était le début de mon habitude de thésauriser les mots, d’amasser des trésors, de me nourrir de la générosité infinie de la littérature. Ces mots, comme tant d’autres, trouvèrent un écho : l’ameublement de ma mémoire, la nourriture de mon esprit, les mets de ma vie. Et je pouvais y revenir à tout moment. Quelle aubaine !

Mais, à cet âge-là, je n’avais aucune idée de l’étendue de ma bonne fortune, aucune idée de la profondeur des richesses que ma professeure sympathique m’offrait. Ce fut un cadeau inestimable. A l’âge de 16 ans, j’avais déjà découvert l’ensorcellement d’un long texte, la joie d’être transportée dans un autre monde à travers une histoire captivante. Mais ce fut à l’adolescence que je commençai à découvrir la magie d’un texte court, la puissance de la rime et du rythme, de l’assonance et de la dissonance et de tous les autres moyens de ravir l’oreille, l’œil et tous les sens. Je commençai à apprendre que l’on n’est point seul au monde et à comprendre ces lignes du poème cité en haut : « our echoes roll from soul to soul, / And grow for ever and for ever. » Mes questions, mes doutes, mes joies et mes peines… ma vie faisait partie de l’expérience humaine.

Récemment, sur la page de titre de mon exemplaire de A Pageant of English Verse (1956), j’ai découvert une citation française, non attribuée, mais copiée, il y a 65 ans, de ma propre main : « Car vivre, c’est prendre et donner avec liesse ». « Liesse ? » Je cherchai dans mon Larousse. « Liesse : nom féminin (ancien français ledece, joie, du Latin laetitia avec l’influence de l’ancien français lié, joyeux. Synonyme : allégresse.) » Donc, de nos jours, je prends avec liesse de petits textes comme, par exemple, un extrait de Coulée d’or (1995), l’autobiographie de Ernest Pépin, un titre qui, pour moi, résonne avec le premier vers d’un sonnet de John Keats : « Much have I travell’d in the realms of gold ».* Et, en réponse à ces textes, je donne avec liesse mes propres petites compositions françaises. Je vais continuer cette pratique, continuer à vivre, vivre avec allégresse.

*John Keats (1795-1821) « On First Looking into Chapman’s Homer » (1816).

PAR ERIN GABRIELLE WHITE

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Un trésor                                                                                           

A l’âge de quatre ans, je crus que je pouvais lire. Ce n’était pas vrai ! Je m’allongeai dans un grand fauteuil, un livre ouvert sur les genoux. Je pense que je mimai l’attitude de mon père, je ne sais pas, mais avec mes pieds ballants, mes petits doigts tournaient les pages, une à une, et je regardais les marques noires sur le papier blanc. Je ressentais toujours un sens de paix, de calme, toute seule, loin de la famille bruyante.
Plus tard, je lisais des livres de jeunesse. Je montais les Alpes suisses avec Heidi, parcourais la plage de l’île de Robinson Crusoe, suivais Robin des bois dans la forêt. Je lisais beaucoup de contes de fée, fascinée par la même histoire qui variait d’un pays à l’autre.
Un jour pendant les vacances d’été, à la plage, je devais faire une sieste l’après-midi, comme mes petits frères. Il faisait chaud, le matelas était dur et plein de bosses, avec du sable dans le creux. A contrecœur, je commençai à lire le texte pour le prochain semestre à l’école, Vanity Fair, mais bientôt j’étais emportée par la vie de Becky Sharp. Quelle friponne, quel flirt, quelle histoire d’amours, de trahisons, de soldats et la guerre napoléonienne. Je le dévorai avidement.

Plus tard, je découvris d’autres livres classiques : j’avais la passion pour Heathcliff sur les landes, je pleurais pour Anna Karenina, je vivais avec Mme. Bennett et ses quatre filles qui cherchaient des maris. The Once and Future King révélait la légende du Roi Arthur et Camelot, la première page avec trois mots insolites. Quel trésor !

J’aime les livres qui me transporte dans un autre endroit, un autre temps. Un livre exceptionnel reste à l’’esprit longtemps après la lecture. Ulysse par James Joyce était un défi à lire avec le flux d’écriture de conscience, inventé par l’auteur. Il était interdit en Angleterre et on dit que les compositeurs de la première édition étaient des Français qui ne parlaient pas anglais donc le texte est plein des fautes. Mais le personnage de Leopold Bloom et ses pérégrinations autour de Dublin restent vivantes dans ma tête.
Lady Chatterleys Lover était censuré en Australie. Le livre passait clandestinement de l’un à l’autre pendant une excursion d’étudiants faisant du camping dans le désert. Je le pris et je le lis sous une tente à la lumière de ma torche, couchée sur une étroite civière, avec l’odeur du feu de camp. Pour une ado, choquant ! Epoustouflant !

Je lis tout le temps, pour me détendre, pour échapper à la vie ordinaire, pour sentir les parties du monde qui me sont inconnues. Sans avoir visité l’Egypte, Palace Walk m’explique exactement la vie alexandrine. Et un jour, peut-être, je vais relire Ulysse dans une nouvelle édition.

PAR ANGELA LOW

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Le choix d’une vocation

À douze ans, j’ai découvert la raison de ma présence sur Terre. Je contractai la rage de jouer la comédie, enflammée de conquérir tous les grands rôles, d’étonner tous les grands entrepreneurs, même de convaincre ma famille sceptique. Dans mon coin de la véranda, j’étais Bernhardt dans la Dame aux camélias et puis Lady Macbeth. A choisir, j’eusse préféré le rôle plus sanguinaire dans « la » pièce écossaise. Pour me préparer à une carrière brillante et capable de tout, j’ imitais aussi Carmen Miranda, qui dansait dans des films de style caribéen au ventre nu et au turban couvert de fruits tropicaux. Ma mère me vit devant le miroir dans sa chambre, dansant la rumba, halée seulement d’un cache-corset et un slip, ma tête décorée de bananes. Après ça, elle développa une méfiance profonde face à mes choix de films. Une exception était ‘Orgueil et préjudice’ avec Garson et Olivier qui selon le jugement maternel étaient capables de simuler leur passion à un niveau acceptable. Avec mes copines, Marie et Kay, nous le vîmes au moins cinq fois. Pour notre pièce de résistance, appréciée seulement de nous-mêmes, nous étions capables de clamer toutes les lignes et de jouer tous les rôles. Face à notre folie de théâtre, on nous permettait d’assister aux opérettes mises en scène par J.C. Williamson où Gladys Moncrieff tentait de ressembler, malgré son âge, à la demoiselle des montagnes et la veuve joyeuse, son mezzo-soprano fort et assurément mûr. Une autre joie était la complicité de ma petite sœur, âgée de trois ans, qui fournissait les accessoires pour mes interprétations opulentes des poèmes extravagants d’Édith Sitwell. Mes parents mirent fin à cette coopération heureuse après avoir découvert que son rôle d’arbre frappé de foudre demandait quinze minutes d’immobilité totale. Une crise de famille plus sérieuse arriva quand, en cherchant avec Stanislavski, « un jeu fin, léger, sensible, humain », soudain je m’évanouis au fond du salon, ignorante de la présence de mon père. Aussitôt qu’il comprit que la cause de mon effondrement n’était pas médicale, mais artistique, sa colère fut excessive et terrifiante. Ensuite, je décidai de consacrer mes efforts à perfectionner l’art de parler. Et puis, un triomphe : à la fin de la dernière année de lycée, au grand concert, probablement à cause de ma grande taille, les religieuses m’offrirent le rôle d’évêque dans un extrait de Hugo, « Les chandeliers de l’évêque ». L’archevêque de Brisbane annonça que ma parole était un modèle pour toutes les jeunes Australiennes.

Ma prochaine représentation se passa à l’Eistedfodd de Brisbane. Notre professeur d’élocution m’inspira avec mon amie Jeanne à prendre les rôles de Portia et Nérissa dans une scène du « Marchand de Venise ». Dans cet après-midi d’été, ma robe élisabéthaine, empruntée de l’atelier Bella Rapley, fabriquée de satin, taffetas, et velours était lourde, raide, étouffante. Jeanne, qui était destinée à devenir la muse d’un cinéaste fameux, semblait fraîche, fragile et sereine. Le juge était Ida Elizabeth Jenkins, une actrice connue et la doyenne de l’émission de radio de l’ABC pour les enfants. Après notre représentation, elle donna son verdict. Elle loua Nérissa pour sa touche légère de la langue et son appréciation de l’humour de la pièce. Elle jugea que ma représentation de Portia manquait de naturel et était peu convaincante. De ce jour, je n’avais aucun doute : je n’allais pas devenir une actrice pour de bon.

PAR CARMEL MAGUIRE


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