Erik Orsenna

Textes composés par les étudiants
du cours ATELIER DE LECTURE ET ECRITURE CREATIVE,
inspirés par 'La vie, la mort, la vie' d'Eric Orsenna.

Une énigme déjouée

Préambule : Eté 1940. La guerre semble avoir choisi son camp. La Pologne, la France ont capitulé. La Grande-Bretagne résiste, mais elle dépend, pour à peu près la moitié de son approvisionnement en matières premières, des importations maritimes. Or, dans les mers, les sous-marins allemands, les redoutables U-boot, font régner la terreur, coulant de nombreux navires. Ils attaquent de nuit, en meutes. Pour leur coordination tactique, ils échangent de nombreux messages radio, avec le commandement à terre. Ces messages sont cryptés à l’aide d’une remarquable machine, l’Enigma.

Des extraits du cahier de laboratoire d’Alan Turing, un maître de mathématiques de Cambridge, qui a conçu dans sa thèse doctorale à Princeton l’idée d’une machine universelle capable de calculer le calculable.

1939 : au service du chiffre (Government Code and Cypher School), au manoir à Bletchley Park, Buckinghamshire. Une équipe de mathématiciens, linguistes et joueurs d’échecs, chargés de déchiffrer le code de l’Enigma. Nous travaillons pour comprendre le fonctionnement de la machine Enigma, et particulièrement pour améliorer la précision de la « bombe », une machine automatisée, construite par Marian Rejewski avant la guerre à la Pologne. Les Boches eux-mêmes ont décrit le fonctionnement de l’Enigma comme « à la fois simple et astucieux ».

1940 : avec Gordon Welchman, nous avons construit une « bombe » capable de réduire le travail des déchiffreurs.

Mi-1940 : nous savons décoder les messages de Luftwaffe. Le code utilisé par l’Enigma de la Kriegsmarine beaucoup plus compliqué.

1941 : heures très longues. L’ambiance impitoyablement secrète. Impossible de permettre l’entrée à Marian Rejewski, le plus doué des inventeurs de décodeurs automatisés. Et puis les navires coulent et les matelots meurent.

Janvier 1942 : l’Enigma est devenue plus complexe. Probablement, on a augmenté le nombre de rotors pour brouiller les signaux.

Décembre 1942 : détachement à la mission britannique de Washington. Avec l’aide des décrypteurs et des ingénieurs américains du ministère de la Défense, j’ai trouvé une méthode pour réduire le nombre de « bombes » nécessaires pour décoder l’Enigma.

1943 : déchiffrement plus certain et plus rapide, mais on doit cacher un peu de l’intelligence gagnée. L’Amiral Donitz inquiet au sujet des pertes de navires mais reste convaincu que l’Enigma est intacte.

1944 : on dit que notre travail a sauvé des milliers de navires, des millions de tonnes de cargaison, et au moins quelques milliers de vies humaines.

1945 : mission accomplie ! Avant le débarquement en Normandie, presque toute la circulation des sources allemandes a été déchiffrée ici après un ou deux jours. Ceux qui peuvent imaginer toute chose, peuvent créer l’impossible.

Postface : A Alan Turing, une patrie reconnaissante offrit le choix entre la castration chimique ou la prison pour « guérir » son homosexualité.

PAR CARMEL MAGUIRE

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Le dîner, les convives et l’horreur

À cette époque, en tant que jeune mariée, on s’attendait à ce qu’elle reçoive les invités chez eux. Pas pour un barbecue, mais pour des dîners élégants. Malgré son manque d’expérience dans la cuisine, elle n’a jamais mis en cause cette soi-disant obligation.

D’abord, il lui fallait choisir un menu. Pour cela, elle avait déjà les livres de tous les experts du jour : Julia Child, Elizabeth David, Charmaine Soloman et, bien sûr, Margaret Fulton qui publiait toutes les recettes de mode dans le magazine Womens Day.

Elle a invité six personnes pour samedi soir : trois couples, naturellement. Mais après coup, elle était immédiatement saisie par le doute et une semaine de crise de confiance a suivi. Elle a peu dormi ! Comment préparer un tel dîner ? Elle voulait annuler, mais que dire aux invités, mon four est cassé ? Non, elle ne pouvait pas faire marche arrière. Enfin, elle s’est dit : « Arrête ! C’est juste une question de planning, non ? »

Dimanche, elle a feuilleté les livres de recettes – sans cesse – figée par l’indécision.

Lundi, elle les a regardés encore pendant des heures. Finalement, elle a choisi une entrée, un plat principal et un dessert. Ensuite, elle a fait une grande liste de tous les ingrédients dont elle aurait besoin. Mais le doute persistait : un soufflé au fromage comme entrée, était-ce trop ambitieux alors elle ne l’avait jamais préparé avant ? Et ainsi de suite…

Mardi, elle a sorti des tiroirs tous les couverts, les nappes et les serviettes. Panique : ils étaient plus adaptés à un barbecue ! Du coup, elle les a ajoutés à la liste d’achat. Elle a nettoyé la maison de haut en bas. À la fin de la journée, tout était nickel ! Mais elle… elle était tellement fatiguée.

Mercredi, elle a fait les courses… malgré le manque de places de parking et les caissières de mauvaise humeur ! En rentrant, elle a rangé sur le plan de travail tous les ingrédients selon leur recette.

Jeudi, elle a mis la table. Jolie ! Mais quel désastre, elle avait oublié d’acheter des fleurs ! Chez le fleuriste tout de suite !

Vendredi, elle s’est répété toutes les étapes nécessaires pour chaque recette. Elle a plusieurs fois regardé la table, réalignant un couteau ou un verre…

Samedi matin, très tôt, le grand défi a commencé. Toute la journée elle était là, dans la cuisine, dans le chaos… Une journée d’angoisse. Y parviendrait-elle ? Ainsi que prendre une douche, se maquiller et se coiffer avant leur arrivée ?

Samedi à 19h, juste à l’heure prévue – épuisée, crevée – elle a entendu la sonnette…

PAR CM

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La Vie d’un chien

Ricœur, âgée de 5 ans et 3 mois, est une chienne croisée berger-allemand et colly. Elle pèse 24,3 kilos et sa fourrure noire est épaisse et longue. Ce qui suit est un bref extrait de mon journal personnel.

30 octobre, 7h30 : comme d’habitude, je pars avec Ricœur. Bizarrement, elle montre peu d’enthousiasme. Après 10 minutes, elle s’arrête et s’assied. Je fais une pause. Le temps est humide. Est-elle fatiguée ? Elle essaie de se lever mais n’y arrive pas : ses pattes arrière ne la soutiennent pas. Nous sommes toujours près de la maison. J’essaie de la porter mais elle est trop lourde. J’appelle Graham qui arrive en voiture. Ricœur ne lui fait pas la fête. Manifestement, elle est malade. Qu’est-ce qui se passe ? Nous allons vite chez le vétérinaire.

« C’est une tique paralysante. A cause de l’humidité, Sydney a été infestée. On dit que le problème est dû au réchauffement climatique. Vrai ou faux, tout ce que je sais est qu’il faut absolument enlever la tique. Une morsure de cette sorte peut être mortelle. »

Graham et moi devons aller au travail. Nous laissons donc Ricœur à la garde du vétérinaire qui nous rassure qu’elle est en de bonnes mains.

Pendant l’heure du déjeuner, je passe un coup de fil chez le vétérinaire mais il n’y a qu’un message enregistré. En fin d’après-midi je lui retéléphone. L’état de Ricœur s’empire. Ils ont cherché mais ils n’ont pas trouvé la tique. Ils lui donc ont donné un anti venin. Chaque piqûre coûte $100.

« Souhaitez-vous que nous continuions de lui donner ces piqûres ? – Bien sûr ! Bien sûr ! » Une question idiote, ne pensez-vous pas ? Sur Internet je cherche « tique paralysante en Australie » : l’Ixodes holocyclus se rencontre dans une bande large de 20 kilomètres le long de la côte est de l’Australie. Cette tique produit une toxine qui entraine une paralysie flasque ascendante et cause des problèmes cardiovasculaires. Chez le chien, la mort peut survenir en deux ou trois heures. Je cesse de lire et je me couche.

La nuit est longue… Pourquoi avons-nous marché à travers la forêt avec Ricœur samedi dernier ? Pourquoi ne l’avons-nous pas examinée après cette randonnée ? Combien de temps depuis son dernier bain ?

31 octobre, 8h : le téléphone sonne. Pendant la nuit, son état s’est amélioré. Ayant trouvé la tique incrustée dans son cou, ils l’ont enlevée. Et bien que les réserves de sérum soient épuisées, le vétérinaire pense qu’elle va pouvoir s’en sortir.

Promptement, je décide de prendre un congé maladie. Je conduis vite chez le vétérinaire qui m’accompagne vers la cage où se trouve Ricœur. En entendant ma voix, elle lève la tête, agite la queue et jappe joyeusement, ouah, ouah, comme si elle disait : « ramène-moi à la maison, allons-y, allons-y ! »

PAR ERIN GABRIELLE WHITE

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Les nombreuses valeurs des pois chiches

Ma fille Katie est revenue récemment des États-Unis. Maintenant elle habite à Sydney. Pendant un entretien pour un nouvel emploi, l’employeuse éventuelle lui demande si elle aime cuisiner. Puis, bizarrement, la dame s’invite à dîner chez Katie !!

Katie accepte mais il y a un petit problème : ils sont végétaliens !!

Le 13 février, Katie sait que la requête est une épreuve, pas seulement pour ses compétences culinaires mais pour vérifier sa flexibilité, son honnêteté et son ingénuité. Elle a deux semaines pour réussir la tâche.

Le 21 février : elle discute des recettes végétaliennes avec son mari, mais elles semblent toutes banales. C’est un défi. On consulte fiévreusement les livres et l’internet. Enfin ils trouvent une solution possible : les pois chiches. Il y a 340 articles sur les végétaux. C’est une révélation : l’houmous bien sûr ! C’est un ingrédient excellent comme entrée, pour les salades, les currys et curieusement pour les meringues. Le menu végétalien sera très intéressant et ce sera la première fois que Katie ne se servira que de produits de plantes.

Le 26 février : le menu proposé incorporant les pois chiches semble facile. Elle décide de servir de l’houmous au début du repas et un risotto avec une salade comme plat principal. Mais le dessert reste un problème. Jour après jour, on goutte de nouveaux plats. Les deux premiers plats sont bons mais le dessert est un désastre. Pourquoi ? Elle se dit : si seulement je pouvais utiliser des œufs ! Les meringues aux pois chiches sont trop gluantes, trop liquides ou pas assez croquantes. Katie se sent vaincue ; son mari dit : « Patience ! »

Elle vérifie encore une fois la recette : à la place des œufs blancs, prenez des pois chiches, égouttez la saumure, battez-les avec une verre de sucre glace et ajoutez une demi-cuillère à café de vinaigre et de vanille. C’est bien ce qu’elle a fait !!!

Le 27 février : soudain elle réalise qu’elle aurait dû mettre les pois chiches au frigo avant de les battre. La prochaine fournée de meringues est superbe.

Le 28 février : Tout est prêt. Les invités passent à table. A la fin du repas, l‘employeuse et son mari sont pleins d’éloges. Et Katie obtient son poste.

PAR ANN B

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Inné ou acquis ?

Cyril Burt, psychologue britannique (1883- 1971), peut être considéré comme un pionnier dans de nombreux domaines de recherche de psychologie et d’éducation. Il est considéré par beaucoup comme faisant partie des plus grands noms de la psychologie du 20e siècle.

Conseiller auprès du ministère de l’Éducation de Grand Bretagne, Burt exercera une influence considérable sur l’enseignement outre-manche.

1946 : élevé par Georges V1 au rang de chevalier pour services éminents rendu au monde de l’Éducation.

Sa conception innéiste de l’intelligence est bien connue. Burt utilisait sa recherche pour introduire l’éducation sélective et l’examen ‘Eleven plus‘. Selon sa théorie, l’intelligence est chose fixe à cet âge : pendant un demi siècle, on basait les admissions dans les classes supérieures sur des tests de QI de cet examen.

C’était un homme très ambitieux et il voulait à tout prix justifier la notion selon laquelle l’intelligence est transmise génétiquement.

Sa conception repose principalement sur la mise en évidence de très fortes corrélations statistiques entre le quotient intellectuel de jumeaux homozygotes (identiques) élevés séparément, dès le bas âge, dans des milieux différents.

1943 : il publie une première série de résultats portant sur 156 paires de jumeaux dont 15 jumeaux homozygotes (identiques), élevés séparément dans les milieux différents.
1955, 1958, 1966 : trois autres enquêtes ont suivi…
À chaque fois, une forte corrélation ressortait entre les jumeaux.

Toutes ses révélations tendent à démontrer que l’hérédité est le facteur prépondérant dans la détermination des aptitudes mentales.
1943 : dans un coin de son laboratoire, devant ses collaboratrices
Miss Howard et Miss Conway, il se serait exclamé : « Ces corrélations sont remarquables ! » Pas de réponse, pas de mouvement Il continue… « Ma recherche confirme parfaitement ma théorie… la matière grise est bien contenue dans le bagage génétique ! »
Son regard d’acier, son visage gonflé de fierté, son mépris total quant à l’existence de ses collaboratrices… Tout d’un coup, l’aura de mystère… Cyril Burt était l’un des tricheurs qui a vécu dans sa gloire. Certains n’ont pas hésité à affirmer que la théorie innéiste de l’intelligence, mise en avant par Burt, reposait sur une fraude monumentale… Sous des allures cordiales, il y avait un homme sans scrupules…

Peu de temps après la mort du scientifique, celui-ci a été accusé d’avoir falsifié des données et d’avoir détruit toutes ses notes de travail. Il a été notamment mis en accusation par les recherches de Leon Kamin (1974).

Les accusations portées contre Burt pour fraude scientifique, par Kamin, sont de trois ordres : (1) la falsification délibérée de résultats statistiques (corrélations) ; (2) l’invention dans les écrits de 1943 et ailleurs du nom de ses collaboratrices (notamment Miss Howard et Miss Conway) qui n’auraient jamais existé (elles sortiraient tout droit de l’imagination du grand chercheur ) ; (3) la «correction» ou «l’ajustement» des QI obtenus.

De 1915 jusqu’aux environs de 1965, cette conception innéiste de l’origine de l’intelligence a été considérée comme un dogme par la vaste majorité des psychologues. Il a fallu attendre la mort de Burt en 1971 pour que les biais méthodologiques de ses études soient dénoncés.

La découverte de l’imposture de Burt comme une fraude est d’une signification considérable dans l’abolition de la théorie ‘Eleven plus’ et de l’éducation selective.

Le résultat : une grande amélioration dans le système éducationnel. Aujourd’hui la plupart des chercheurs sont d’accord pour dire que le processus de la pensée intellectuelle est multidimensionnel.

PAR AMANDA

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