Elsa Triolet

Textes composés par les étudiants
du cours ATELIER DE LECTURE ET ECRITURE CREATIVE,
inspirés par 'A Tahiti' de Elsa Triolet.

L’embardée fatale

Après la mort, il n’y a rien – ni pour moi, ni pour toi, ni pour personne. On ne veut pas l’accepter mais ça ne change pas la vérité. La vie cesse avec la mort, et tout le reste est la fantaisie d’un enfant gâté qui ne croit pas que la fête soit finie.

J’ai visité des maisons historiques innombrables autour du monde, hantées par les âmes des morts, et j’avais peine à ne pas bailler. J’ai pique-niqué insouciante dans un cimetière désert en Patagonie ; j’ai dormi comme une pierre dans le château transylvanien d’un vampire vengeur ; j’ai fumé une cigarette avec désinvolture dans la loge maudite de l’Opéra de Paris ; et j’ai attendu, ennuyée, pendant des heures dans une chapelle en Ecosse que la reine malheureuse décapitée apparaisse, en vain.

Cependant… hier quelque chose s’est passé. Pas à minuit pendant la pleine lune, pas dans un lieu abandonné et désolé, si aimé, dit-on, par les fantômes turbulents. J’étais dans l’autobus, au retour du travail. C’était l’heure de pointe et le bus était bondé. J’ai eu la chance de trouver une place tout au fond à côté d’une femme en train de lire sur son portable. Je me suis enfoncée dans le siège, soulagée. Le bus sentait la sueur de l’humanité épuisée. Je regardais par la fenêtre, les chemins sinueux de la ville, en comptant les minutes restantes du trajet.

A l’improviste, le bus a fait une embardée. Et une voix m’a chuchoté à l’oreille, très clairement, quatre mots. J’ai senti l’haleine chaude d’expiration et j’ai été saisie par une nausée intolérable.

J’étais figée. La femme assise à côté continuait de lire sur son portable. Elle n’a pas bougé.

Une voix infantile que je n’avais pas entendue depuis des années, mais que je connaissais mieux que la mienne. La voix de mon petit frère, décédé il y a trente ans en chutant de l’arbre où nous jouions ensemble. Quatre mots très simples. Quatre mots mortels.

« A cause de toi ! »

PAR URSULA

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Sur l’Ile de Norfolk

Je suis allée avec ma famille sur l’Ile de Norfolk pour les vacances. L’île minuscule (34,6 km2) est un petit paradis dont la beauté sauvage est soigneusement préservée et la paix est jalousement gardée. Tout le monde conduit lentement, car les vaches et autres animaux ont le droit de passage sur les routes.

C’est une main divine qui a conçu la belle île exotique de Norfolk avec la petite plage aux eaux bleues entourée de pins ; là, on pourrait échapper au tohu-bohu et aux contraintes de la vie quotidienne. Assise devant un écran d’ordinateur, j’attendais impatiemment de m’envoler pour un repos et la reconstitution de mes forces.

J’ai vécu seule dans une petite cabane pour quelque temps dans Les Montagnes Bleues, respirant l’air d’eucalyptus, écoutant les conversations entre les oiseaux au crépuscule. Puis la nuit… combien était pacifique le silence dans l’obscurité ! J’ai vécu sur un bateau sur la rivière Hawkesbury, n’entendant que le doux clapotis de l’eau contre les étraves du bateau, voyant tranquillement le contour des arbres silencieux le long des berges éclairées par la lune jaune…

Mais cette île, cette belle île de Norfolk, s’est avérée être autre chose. Sa beauté couvrait un sombre secret. Le tableau présentait également les restes historiques d’une colonie pénitentiaire. Les sites du cimetière, la prison, les maisons de travail forcé étaient silencieux, mais il y avait quelque chose de menaçant dans leurs murs mêmes. Ma sœur a refusé d’entrer dans ce lieu de travail où les condamnés faisaient évaporer le sel par le feu. Elle est restée figée devant la porte, regardant fixement quelque chose dans le coin. Un son. Un grattage. Un grattement. Qui était-ce ? Elle a pleuré. Le soleil brillait dehors, indifférent à l’angoisse ressentie par ma sœur à l’intérieur. Les meurtres, les flagellations, la famine, la torture, la brutalité insupportable, les murs se souvenaient de tout.

Notre appartement donnait sur les monuments silencieux, qui au crépuscule prenaient une couleur maladive de gris-vert. Il arrivait que je ne puisse pas dormir la nuit. Quand les lumières étaient baissés, la pierre derrière le mur de verre dans la chambre prenait la même couleur. Une grande forme étrange sombre est apparue derrière ce mur. J’étais vaincue par une oppression lourde. “Qui es-tu ?” Silence. Il ne bougeait pas, mais je savais qu’il me regardait. Je voulais sortir du lit, m’approcher de lui pour vérifier si c’était juste une ombre, mais j’étais paralysée par la peur. Était-ce l’homme qui avait été assassiné et emmuré sur le pont, dont le sang avait coulé du mortier le lendemain ? Ou un autre condamné fouetté à mort ? Le mur de verre froid, indifférent à tout, l’avait emprisonné après la mort.

Les riverains n’y allaient jamais. Ils n’aimaient pas en parler.

PAR MARGARITA

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Les rideaux

On profite des congés annuels pour se remettre des efforts de l’année précédente et se préparer pour l’année suivante. Les semaines passées dans le Luberon avec des amis aimables étaient calmes, parfaites et satisfaisantes. Nous étions tous détendus et de bonne humeur.

A la fin de ce séjour, j’ai pris le train pour Aix-en-Provence. J’avais décidé de fermer les yeux et de plonger seule dans un cours de français dans cette ville ensoleillée. Je devrais voler de mes propres ailes et parler français en permanence. Cela serait à la fois une aventure et un défi.

J’ai dû passer une nuit dans un hôtel avant de m’installer le lendemain chez ma famille d’accueil.

Cependant, j’ai laissé la tranquillité sur le seuil de la porte de cet hôtel. J’ai dîné avec un peu d’appréhension dans un petit restaurant à côté en essayant d’avoir l’air d’une dame sûre d’elle. Plus décontractée après un bon repas et surtout un verre de vin excellent, j’ai tourné la clef de ma chambre, poussé un soupir profond. Je m’attendais à une nuit solitaire et sereine.

J’étais sur le point de m’endormir quand j’ai pris conscience d’un bruit, un cognement continuel. Est-ce que quelque chose claquait dans le vent ? Est-ce que quelqu’un frappait à la porte ? Est-ce qu’il était possible que quelqu’un martèle si tard dans la nuit ? Je me levais, et mes oreilles maintenant habituées à ce tambour m’indiquaient les rideaux. Je regardais fixement les plis de velours rouges jusqu’à l’instant où je me suis rendu compte que quelqu’un frappait sur la vitre. J’étais frappée de paralysie, mon cœur battait la chamade, je n’étais pas capable de réagir contre cet assaut malveillant. J’étais devenue une victime. Je continuais à fixer du regard les rideaux. Le bruit s’intensifiait. Qui ou quoi était de l’autre côté de la vitre, au premier étage, dans les premières heures de la matinée ? Le cognement est devenu un claquement intense, menaçant, sinistre.

Enfin j’ai entendu une voix humaine qui criait « Au secours, au secours ! » La paralysie était rompue. J’ai trouvé le courage de jeter un coup d’œil derrière les rideaux où j’ai distingué un jeune homme nu et gêné, une serviette autour de la taille, debout sur le plafond du jardin d’hiver de l’hôtel. J’ai ouvert un peu la fenêtre pivotante. Il m’a expliqué qu’il y était parce que sa petite amie et lui s’étaient disputés et qu’il était sorti de la chambre en grimpant afin de se calmer en fumant une cigarette lorsqu’elle lui avait joué un tour et avait fermé la fenêtre. Elle avait refusé de le laisser rentrer et l’avait abandonné. A mon tour, je l’ai abandonné pour téléphoner au réceptionniste qui est arrivé en quatrième vitesse pour le libérer.

Bien que la chambre ait retrouvé son calme, j’ai passé une nuit blanche. J’étais sur le qui-vive en me demandant si cet adonis ingénu avait eu l’intention de m’effrayer ou s’il avait dit la vérité.

PAR KAREN BRYANT

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Les sons du Dreamtime

Dans les années 90, j’ai vécu au bord de la rivière George au sud-ouest de Sydney, avec mes jeunes filles et mon mari. La maison était perchée sur les rochers, donnait sur la rivière, et était située en retrait par rapport à la route et entourée d’Eucalyptus.

A priori le bush australien est sauvage et bien connu pour sa faune dangereuse. Dans le Dreamtime, toutes les créatures vivantes existaient férocement côte à côte… De nos jours, il est prudent de rester vigilants face à la nature venimeuse et pestilente. Avec deux enfants de moins de six ans, curieuses et enjouées, dans une grande maison exposée aux éléments, il était normal de vérifier sous chaque lit, au-dessus de chaque armoire, et approcher chaque coin sombre courageusement. Les serpents et les araignées, les corneilles et les guêpes n’étaient pas les bienvenus chez nous. Néanmoins ils insistaient pour s’immiscer dans nos vies tous les jours.

J’étais accoutumée aux cris perçants des oiseaux qui coupaient le silence noir, nuit après nuit, au bruissement des feuilles quand le vent soufflait à travers elles, au son des opossums qui dansaient avec des claquettes sur le toit. Les nuits chantantes d’une terre animée, bordée d’un ciel éternel et luisant qui chuchotait le calme pour que le monde se soulage et dorme.

Mais cette nuit-là, tout était sens dessus dessous. Le ciel était furieux et agité, et tout sur la terre était silencieux, transpercé et apeuré. C’était incroyable comme les enfants dormaient tranquillement ! Je me préparais à me coucher quand soudain j’ai entendu un coup de tonnerre qui m’a fait sursauter. Juste un orage ! J’ai regardé par la fenêtre. Un énorme nuage noir se formait et avançait à grande vitesse le long de la rivière. La lune et les étoiles étouffées sous sa trajectoire, et les arbres se soumettant en révérence devant sa puissance surnaturelle. Un coup de foudre si violent a fracassé le ciel. Qu’est-ce que c’est cette odeur ? Je m’approche de la fenêtre et je mets les mains autour mes yeux pour mieux voir. Le verre est devenu glacial et ma respiration s’est transformée en brouillard sur la surface. Je les vois ! La silhouette noire de trois hommes, leurs visages anonymes tournés vers le ciel. Les figures allongées et portant des lances. Je ne bouge pas, mes pieds cloués au sol, et mon cœur battant comme un tambour qui assaillit mes oreilles.

Un deuxième coup de foudre et voilà… Ils ont disparu ! Ce n’est rien… C’est sans doute mon imagination ? J’essaye de bloquer une pensée qui veut se matérialiser dans ma conscience.

La pensée d’une existence inconnue, d’un monde ancien, les habitants indigènes de la grotte que les enfants ont trouvée ce matin entre la roche et la rivière.

PAR CHRISTINE AUSTIN

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Le non invité

Il y a cinquante ans à Bangkok, je louais un appartement très confortable. Il y avait deux pièces et une chambre séparée pour ma bonne qui rentrait chez elle le weekend. Le jour, tout allait bien. Ma grande taille, mon visage repoussant, et ma voix assurée étaient suffisants de décourager les méchants. La nuit, tout se transformait.

Quand je vivais en famille, ma mère disait que je pouvais dormir sur une corde à linge. Dans l’ambiance subtropicale de Queensland, ni les cyclones de janvier, ni les examens tant redoutés de novembre, ni les voisins ivres du joyeux esprit de Noël ne me dérangeaient. Jusqu’à mon arrivée en Thaïlande, rien et personne ne s’étaient révélés capables de troubler mon sommeil.

Mais, la nuit du weekend, dans mon appartement à Bangkok, tout change. Les sons, normaux quand une autre personne partage la maison, deviennent menaçants quand j’essaie de dormir seule. Du jardin s’élèvent des cris d’oiseaux nocturnes, et de rongeurs qui courent précipitamment sur la pelouse. Mais les bruits les plus proches sont les plus inquiétants. Rien ne semble normal. L’ascenseur grogne comme un hippopotame malcontent. Avec grand difficulté, j’ignore les petits geckos qui courent au plafond en émettant des cris aigus et qui tombent sur le lit quand leurs pieds perdent l’adhérence. La chambre est très chaude. Je n’ose pas ouvrir les fenêtres. Les grillages contre les insectes ne sont pas assez forts pour empêcher l’accès d’un scarabée éléphant, encore moins d’un voleur. Je n’utilise pas le climatiseur, parce que le bruit est assourdissant. En vérité, le climatiseur reste immobile à cause d’une histoire répandue parmi les nouveaux-arrivés. On dit que, sous le bruit de la machine, les kamoi, le terme thaïlandais pour les voleurs, peuvent administrer en secret de l’anesthésique au dormeur. Le vent agite les portes et les branches frappent les fenêtres. Je me sens assiégée. Ma tête sous le drap, je n’ai pas assez d’oxygène, et puis ils commencent. Pan ! pan ! pan ! Rythmiques et réguliers. Forts et effrayants. De grands coups dans une porte, mais à quelle porte ? et qui frappe si violemment ?

Frémissante, je me lève. Les coups continuent. Qu’est-ce que c’est ? Les voleurs travaillent en silence. Des assassins doivent savoir que je suis seule. En suppliant à genoux, je sors peu à peu le long du couloir jusqu’au salon. Le parquet luit sous la lune dont la clarté arrive par la vitre du balcon. J’y entre. Les coups cessent… et les battements de mon cœur aussi.

Du coin du plafond du balcon, deux yeux bruns et perçants me regardent. Une créature pitoyable, un véritable Narcisse, qui se cogne la tête sur la vitre pour entrer et faire la connaissance de sa propre image de l’autre côté : un tokay, un lézard tropical, révéré en Thaïlande.

PAR CARMEL MAGUIRE

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Quand un hibou n’est pas un hibou

Quand la maison dormait la nuit, tout était silencieux, sain et sauf. Le monde continuait à tourner, la mer à susurrer, les animaux nocturnes à mener leur existence. La nuit était inconnue mais rassurante.

Quand j’étais petite, je n’avais pas peur dans la nuit, bien que je marchasse souvent en dormant (selon ma mère qui me guidait doucement vers mon lit à peine tiède). En tant qu’adulte, je pouvais toujours demeurer seule, sans crainte.

Mais une nuit je me suis réveillée avec la certitude que quelque chose s’était passé. Dehors ou dans ma chambre. Est-ce que quelque chose avait claqué ? Il me restait un souvenir auditif, mais élusif, pas méconnaissable. J’écoutais jusqu’à ce que mes oreilles résonnassent de silence. De temps en temps, j’entendais un hibou qui ululait mélodieusement, et un autre qui bouboulait en écho. Quand les ombres se distinguaient dans la pénombre sans lune, peu à peu je me rendais compte qu’il y avait quelqu’un dans la chambre ; je sentais sa présence, j’entendais son haleine. Dans le noir, j’avais l’impression que cette présence était toute proche et qu’elle était penchée au-dessus de moi. Le bruit sourd de mon cœur sonnait dans mes oreilles. Les fourmillements ruisselaient jusque dans mes doigts. J’ai tendu la main tremblante vers la lampe.

Avec l’illumination, tout était normal – rien d’extraordinaire dans la chambre, personne qui ne se penchait. Encore une fois, le hibou hululait dans l’obscurité dehors.

Peut-être un rêve m’a-t-il réveillé, un rêve inspiré par les sons de dehors et projeté par le hibou à la quête d’une proie. Mon subconscient avait projeté l’ombre du hibou à mes trousses. Ai-je éprouvé le destin d’une proie ? J’en transpire encore. Mais j’ai survécu.

PAR GLENDA BUTLER

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Les Machoires au lac Macquarie

Chaque été pendant les vacances scolaires, la famille Foster allait faire du ski nautique. Généralement elle allait à la rivière Hawkesbury, un fleuve avec de l’eau fraîche.
En cette occasion, elle a décidé de partir au lac Macquarie, là, l’eau était salée et le lac coulait vers le port de Newcastle.

Un certain nombre d’écologistes estiment que les créatures marines ont un droit sur leur domaine et ne devraient pas envahies pas les humains.
Mais nos enfants attendaient ce voyage avec impatience puisqu’ils étaient devenus de meilleurs nageurs et skieurs. Nous avions passé une semaine idyllique dans la
maison de vacances avec deux autres familles. Heureusement les enfants s’entendaient
très bien. Nous étions aussi chanceux d’avoir le temps typique de janvier : journées chaudes et ensoleillées et les nuits plus fraiches en sécurité sous nos moustiquaires. Malheureusement ce dimanche était notre dernier jour de vacances. Après un petit déjeuner matinal, nous avons conduit jusqu’à notre plage préférée au bord du lac. L’eau était aussi calme qu’un étang et il y avait à peine une ondulation sur la surface. La couleur vert-bleu semblait plus intense grâce au soleil étincelant à travers l’eau. La surface du lac était claire et transparente, on pouvait voir le fond clairement. Le sable était pâle et propre et je me sentais en sécurité en quittant la plage sur mon ski. L’eau était assez agitée et Lenny, notre pilote du bateau à moteur, a suggéré que nous passions de l’autre côté du lac où l’eau était plus calme. Mais là-bas, les algues semblaient plus épaisses. Elles semblaient s’enrouler autour de me jambes. Dans mon esprit elles ressemblaient à des tentacules de poulpe. Le soleil avait disparu et les nuages gris recouvraient le lac.
Je pouvais voir des ombres sous moi. Je ne pouvais pas me noyer car j’avais un gilet de sauvetage. Mais l’eau était salée et il y avait peut-être des requins.
Je me suis accrochée à mon ski et j’ai essayé de rester bien au-dessus de l’eau. J’étais sûre qu’un requin nagerait si loin de la mer. Lenny a essayé de me rassurer en disant qu’il n’y avait jamais eu de fatalité de requin sur le lac. Peut-être serais-je la première ! J’ai commencé à frissonner. J’ai commencé à transpirer. Alors que le soleil se couchait et que le ciel s’assombrissait, j’ai vu une grande forme grise venir vers moi. J’ai crié et j’ai grimpé dans le bateau. J’ai essayé de calmer mes cris hystériques car j’étais gênée. Peut-être que ce n’était pas un requin après tout mais c’était en tout cas quelque chose d’incompréhensible, d’inconnu et de très effrayant.

PAR ANN B

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Le Fantôme Imprévu

Blanche Le Blanc vient passer une année à Vahine Island, petit îlot privé en Polynésie française. C’est l’ambiance parfaite pour que son mari Ernest puisse terminer la rédaction de sa thèse.

Il est courant de s’endormir la nuit, d’être bercé par la houle ; se laisser transporter dans le monde des rêves, en imbibant les odeurs des fleurs, en suivant le sentier imaginatif, illuminé par la lune.

J’ai défié ces idées préconçues. J’ai vécu pendant six mois dans une petite chambre dans un hôtel charmant ; l’hôtel Saint André des Arts à Paris, situé dans une ruelle pavée. J’avais développé l’art de transformer le son de la fanfare des camions d’ordures, ces camions chargés de la collecte de verre. Le son des bouteilles qui se heurtaient résonnaient comme une musique tzigane.

Pour moi, la nuit noire m’avait toujours invité à un voyage magique.

C’était la même chose dans une banlieue Est de Sydney où j’ai vécu pendant deux ans. J’ai pu transformer le bruit grinçant des moteurs des bus, intrus indésirables. J’ai établi un lien avec la musique des violons. Ce voyage mystique au royaume des songes. J’y plongeais dans mon rythme de sommeil. Combien j’ai apprécié ces heures de la nuit !

Paradoxalement, cette fois-ci, sur cette île idyllique utopique, toutes les idées préconçues se sont envolées par la fenêtre à un rythme effrayant. C’était un bruit anonyme et subtil, un chuchotement qui m’a donné l’angoisse nocturne. D’où venait cette nouvelle sensation ? Je me sentais observée. J’ai entendu ensuite le pot de fleurs, figé sur le rebord de la fenêtre, tomber sans explication rationnelle ; égratignures inexpliquées, l’impression d’être frôlée. Les tiroirs se sont ouverts, tout seuls. Je ne crois pas au paranormal […] Mais comment expliquer ce phénomène ? Je me méfie de la Magie noire […]

Mais qu’est-ce-que-c’est ?

Je frissonne […] la transpiration intense envahit chaque partie de mon corps, quelque chose d’incompréhensible, d’anonyme.

Tout d’un coup je comprends. C’est le mystère qui domine. On ne peut pas définir la normalité.

PAR AMANDA

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Au col

Ce qui suit est un extrait du livre autobiographique, Les Restes, par la journaliste australienne, Martha Wilkinson.

Au commencement, quand le cosmos s’organisait, les continents et les eaux se sont séparés les uns des autres. Tout d’abord, la nature a décrété que les êtres humains vivraient, pour la plupart du temps, sur les continents, sur le sol sec et que les eaux, ramassées dans les mers, entoureraient les continents et que ces mêmes eaux, ramassées dans les fleuves, les ruisseaux et les pluies, les arroseraient. La nature a aussi décrété que le sol, ainsi arrosé, verdirait de verdure portant des herbes, des arbustes, des arbres, des fruits et des fleurs. Toujours et partout, les êtres humains cherchent de la nourriture et du bonheur dans le jardin de la Terre. C’est la végétation qui rafraîchit la surface du sol, qui nourrit et abrite les animaux terrestres et qui rajeunit l’esprit humain.

Maintes fois, la végétation que revêt notre planète m’a ravie. J’ai visité Windorah, par exemple, un petit village à l’ouest du Queensland où les arbustes desséchés poussent d’un air de défi dans les dunes, le gris-vert de leurs feuilles gravé contre le rouge vif des sables. Et environ tous les cinq ans, les pluies arrivent et le Cooper Creek déborde de son lit et le sol rouge, ayant absorbé rapidement le déluge, est recouvert d’un tapis de verdure semée de millions d’arbrisseaux couverts de fleurs sauvages. C’est un pays de merveilles. Et j’ai visité les forêts de Sud-ouest de l’Australie où les eucalyptus géants, les Jarrahs et les Karris, peuvent atteindre 90 mètres et on peut construire une maison avec un seul arbre ! Le monde est plein d’une telle grandeur, d’une telle délicatesse. Même à Sydney en ce moment, les fleurs des jacarandas sont suspendues en l’air, leurs petites sonnettes, la couleur liquide des larmes.

Mais j’ai connu un endroit, grouillant de vie, qui a sapé mon courage. Quand j’avais 12 ans, j’ai visité le Col de Cunningham qui traverse la Cordillère australienne au sud-est du Queensland, un col situé dans une forêt tropicale humide que mon amie et moi avions décidé d’explorer. Là, la végétation était luxuriante : fougères, vignes, palmiers, lianes, lichens, tous poussaient en abondance, tous menaçaient de nous avaler. Au-dessus de nous, les lianes oscillaient légèrement dans l’air calme. Lianes ? Ou étaient-ce des serpents ? Nous nous faufilions à travers la jungle sombre, accompagnées toujours par le chœur de perroquets, abeilles, grenouilles, grillons, moustiques et nuées d’insectes inconnues bourdonnant et vibrant dans notre tête. Combien était effrayante cette vie débordante, envahissante. C’était un bombardement.

L’air était lourd. Le liquide tombait, goutte à goutte. Tout était trempé. Nous étions dans un sauna, pataugeant dans les flaques, glissant sur les feuilles mortes. Mais qu’est-ce que je voyais, là-bas, sur les jambes de mon amie… et sur mes jambes ? Ces bandes noires, molles, grosses, boursouflées ? Nous essayions de les enlever à la main, à l’aide d’un petit bâton pointu. Impossible ! Ces créatures charnues s’étaient cramponnées à notre chair. Quelle horreur ! Ensuite, soudainement, elles sont tombées… et nos jambes étaient couvertes de sang. Nous étions hystériques… nous allions saigner à mort !

Eh bien, nous avons survécu et ce jour-là, j’ai appris le mot « sangsue » un mot qui a réduit, un tout petit peu, mon horreur de ces limaces innocentes. Il est bon de savoir au juste, dit Elsa Triolet, ce que l’on craint. Et si on peut nommer la menace, on apprivoise, peut-être, la peur.

PAR ERIN GABRIELLE WHITE

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St Yves

Combien était paisible St Ives, parfaite banlieue de Sydney pour un court séjour.

La maison de mes amies serait vide pour trois mois pendant leur absence en vacances. Ils m’ont offert d’y rester pendant leur absence. Cette vaste maison avec des murs en vitres par lesquels on pouvait voir dehors assez facilement. Cette maison isolée au bout d’une vallée.

D’habitude rien ne dérange mon sommeil. Je dors toujours bien la nuit quoi qu’il arrive ! C’est tout !

Après une journée très pressée, j’ai décidé de diner et d’aller au lit tôt pour reconstituer mes forces en préparation pour le lendemain. J’ai plongé tout de suite dans un sommeil serein, sans souci et sans rêves. Mais ce qui a suivi était une nuit du diable, avec des sons incompréhensibles et effrayants.

Je me suis réveillée brusquement, vers quatre heures du matin… j’ai entendu un coup à la porte d’entrée. Il n’y avait personne dans la maison, sauf moi. La nuit était noire, il n’y avait ni clair de lune, ni étoiles permettant de voir l’extérieur de la maison. Le silence a résonné. Je n’avais pas de cœur au ventre.

Lentement et silencieusement, je me suis levée et j’ai commencé à chercher quelque chose pour me défendre. Je suis sortie de la chambre en tremblant. Je me suis arrêtée au centre de la salle de séjour. « Qui est là ? », j’ai dit. Qui pouvait me voir dans cette vaste maison avec les murs en vitres par lesquels on pouvait voir l’intérieur de la maison assez facilement ?

Ce bruit. C’était qui ? C’était quoi ? Le bruit de la respiration lourde et le son de quelqu’un avec une seule jambe qui marchait sur le balcon. Bah ! « C’est ridicule », j’ai dit. J’ai trouvé une torche électrique. J’ai repris mon courage et avec un pas léger, j’ai allumé la lampe dehors. Mon cœur a sauté à nouveau quand j’ai vu les yeux grands ouverts et fixés. Quelle horreur. Un assassin ? Les yeux ont clignoté, il a levé sa queue et s’est enfui. Quel soulagement ! Un opossum, juste un opossum !

PAR PH

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Mort de peur

Les enfants ont quitté le chemin de terre battue de la forêt. Cette vaste étendue de terrain couverte d’arbres protecteurs, cet ange gardien des bêtes, des insectes et des enfants. C’était leur rêve. Leur père, le bûcheron dans sa chaumière tranquille et chaleureuse, avait préparé le repas pour les enfants – un piquenique spécial – pour qu’ils puissent savourer chaque moment de cette journée d’exploration.

Les feuilles des chênes scintillaient sous la lumière du soleil. Les rossignols chantaient, les abeilles bourdonnaient, les écureuils jouaient à cache-cache avec la petite fille et son frère. Et même, à l’heure du repos, un cerf et une biche ont pointé le bout de leur nez à travers des arbres. Le garçon leur a offert quelques miettes de pain et des raisins secs. C’était une ambiance de contentement et de béatitude.

Mais vers midi le ciel s’est assombri et il a commencé à faire nuit. Un coup de tonnerre a brisé le calme de la forêt et les cris d’oiseaux étaient réduits au silence. Sous une pluie battante, les enfants ont couru vers une toute petite maison qui apparaissait dans une clairière, à une distance de cinq cent mètres.

Brusquement, une drôle de dame a ouvert la porte : très âgée, flétrie, mais avec les yeux bleu azur, très accueillants. Les enfants sont entrés, souriants et confiants, pour s’installer près du feu. Ils ont chacun accepté un chocolat chaud…

Ils se sont réveillés par terre, enfermés dans une cave sans lumière. Le froid était absolu, le silence aussi – sauf pour le jacassement des rats qui traversaient précipitamment l’espace et le bruit de l’eau qui tombait goutte à goutte sur le sol dallé. Et le claquement des dents des enfants, perdus, terrifiés.

Enfin, la porte a basculé avec un grincement de serrure. Devant eux, la vieille dame, ses yeux brillants de délectation, a annoncé qu’elle allait les manger tout crus ! Pendant une fraction de seconde les enfants étaient glacés de peur, cloués au sol. Soudain, une grande bousculade à l’extérieur de la cave : la vieille ratatinée s’est retrouvée par terre, dans l’impossibilité de se redresser. Derrière elle, se trouvaient à la queue leu leu le cerf, la biche, les écureuils et les oiseaux. Même un blaireau. Les animaux de la forêt étaient arrivés pour sauver les enfants. (Merci aux Frères Grimm)

PAR ROSE CHENEY

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Au sein de l’Afrique

Christophe va changer sa vie. Il quitte sa maison, son travail, son continent pour une autre vie, une autre façon de vivre.

Une personne grandit, s’habitue à son domicile et son environnement. Elle vit. Elle apprécie la vie, son pays, son milieu. Mais, ils arrivent, un moment ou l’autre, l’inconnu et ses craintes. La peur nous transfixe, néanmoins, comme disait le sage, carpe diem !

Pendant des années, j’ai vécu dans une petite ville du ‘bush’ australien. La propriété se trouvait sur une des collines qui s’étendaient à perte de vue. Les chants des oiseaux assis sur la haie me réveillaient chaque matin. Les abeilles murmuraient alors que j’arrosais les légumes dans le potager. Chaque après-midi, après mon boulot, je me reposais sous la véranda en écoutant les appels lointains des moutons dans les champs. La nuit, les moustiquaires placées aux fenêtres de la chambre me protégeaient contre les insectes qui bourdonnaient doucement jusqu’au moment où le vent rafraîchissant les emportait.

Mais, un jour, sur un autre continent, j’ai revécu.

Au milieu d’une averse tropicale, nous conduisions à grande vitesse le long d’une piste interminable, si typique des routes à l’intérieur de l’Afrique. L’inquiétude me pénétrait, goutte à goutte. La savane de chaque côté de cette route précaire était inondée, l’eau était sombre et immobile, l’âme des arbres me semblait accablée par cet excès d’eau.

Le frère Paul me parlait avec une voix d’expérience et de sagesse, j’essayais de me sentir rassuré, tandis que je priais que la voiture reste stable. Et puis, la piste s’est élargie, une éclaircie s’est produite dans la tempête, nous étions arrivés sains et saufs à l’Ecole Saint Charles Lwanga. Frère Paul est allé chercher le recteur.

J’ai contemplé la cour de l’école, la pelouse avait été envahie d’une jungle d’herbe. Une guêpe bourdonnait près de mon oreille, je suis resté cloué sur place. Une sauvage haie de bougainvillier poussait partout, l’atmosphère était lourde.

En tant que premier professeur diplômé de mathématiques à cette école, j’ai inspecté les salles de classe. Elles étaient vides, silencieuses, usées, quelques vitres étaient brisées.

Un bouc est apparu de la jungle d’herbe, il s’est approché de moi, il était grand, il m’a regardé sans aucun respect, puis il s’est mis à mordiller les fleurs d’un bougainvillier.

La pluie était au rendez-vous encore une fois, mon angoisse aussi. Cependant, ce n’était ni le moment ni le lieu d’être englouti par mes craintes. Il y avait des étudiants à éduquer. J’ai décidé de saisir le courage et vivre une nouvelle vie au sein de l’Afrique.

PAR JOHN

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