Didier Van Cauwelaert

Textes composés par les étudiants du cours LIRE ET ECRIRE,
inspirés par 'Un aller simple' de Didier Van Cauwelaert.
Lisez les textes inspirés par d'autres auteurs sur cette page.

Texte #1 - p7-10

La parole de Vasile

Je m’appelle Vasile. Je suis un Rom, de Roumanie, un tsigane. Ancien de la communauté, chef de la famille, dans la cité j’étais connu pour ma sagesse, mais une fois j’ai pris une décision qui a transformé toute la vie de ma famille. En voici l’histoire.

Je conduisais un Volkswagen du four à pizza, pour gagner de l’argent. Un jour, à Noël, j’ai tenté un dépassement interdit et j’ai percuté une petite bagnole, une Ami 6. Le couple à l’intérieur est mort sur le coup. En m’approchant, j’ai trouvé un petit bébé dans son couffin sur la banquette arrière, parmi les achats de Noël. Je l’ai tiré de l’épave, et tout de suite la bagnole a explosé, incinérant les corps des parents. J’étais bouleversé jusqu’au plus profond de moi. J’ai juré de ne plus jamais conduire et j’ai élevé mon Volkswagen sur des cales avec une Sainte-Marie sur le four pour rendre grâce à la survie de cet incroyable bébé. C’était comme un signe de ciel. J’ai emmené le bébé dans son couffin chez nous, et malgré quelques objections, on a élevé ce bébé comme un Tsigane.

Mamita a dit que le bébé n’était pas tsigane, qu’il avait l’air d’un Français, petit, mince et pâle. Néanmoins elle s’est occupée de lui, comme de tous les autres bébés, les petits rois de la famille couverts de chaines et de médailles. Moi, je croyais que ce petit Ami 6, cet orphelin, serait son favori, à elle qui n’avait pas pu avoir d’enfants suite aux atrocités des Nazis. Bien qu’elle nourrisse Ami 6 avec soin, il restait maigre.

Ami 6 est devenu Aziz, un nom qui sonne arabe, et avec les Arabes il était à l’aise, généralement admis comme un parmi eux, en dépit de son apparence si différente. Surtout il était rapide, agile et intelligent, et plus tard quand il se débrouillait avec les autoradios, il était admiré pour ses succès. Les Arabes le laissaient en paix.

Je suis un vieillard maintenant, mon heure est presque arrivée, comme tous les êtres dans le royaume de Dieu. Aziz a dix-huit ans et j’ai décidé qu’il devrait connaitre son histoire. Je lui ai raconté la vérité de son arrivée chez nous. Il avait imaginé quelques scénarios mais finalement il était content de faire partie de la famille tsigane. On lui a caché son histoire tragique pour ne pas le perturber et lui causer du chagrin. Après mon récit j’ai dit « Engendré non pas créé, de même nature que le Père et par Lui, tout a été fait » qui peut expliquer que je suis persuadé que le bébé Aziz, arrivé à Noël comme Jésus Christ, était un doux don de Dieu. 

PAR ANGELA LOW

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L’Arrivée de l’adopté

Mamita, une femme d’un certain âge, est membre d’une communauté de Tsiganes qui habitent dans le nord de Marseille. Ce qui suit est son bref récit d’un incident qui a eu lieu le jour de Noël plus de vingt ans plus tôt.

J’ai tout entendu, les pneus crissants, la collision, l’explosion. Je n’en ai pas compris les conséquences sur le champ. C’était l’arrivée d’un autre bébé. Comme si on en avait besoin d’un autre ! Une autre bouche ! Une autre couche ! Et ma roulotte était déjà pleine à craquer, les petits serrés comme des sardines. Certes, nous n’avions pas besoin d’une autre sardine.

- Un don du bon Dieu, Vasile a-t-il proclamé. Pour Noël.

Tout était toujours un don du bon Dieu, selon mon vieil oncle Vasile. Après l’accident, il a expliqué que le bébé était sur la banquette arrière, qu’il n’y avait pas de papiers dans la boite à gants, que la voiture était sur le point d’exploser, que c’était la fête de Noël et, donc, la survie de ce bébé était un signe du ciel. Il en était absolument certain. L’arrivée de cet enfant était de bon augure comme la naissance de l’enfant Jésus sous l’étoile de Bethléem. En vérité, il pleuvait des cordes ce jour-là, la visibilité était nulle, la route était mouillée et glissante, le Combi avait quatre pneus usés, Vasile était un très mauvais conducteur qui roulait à une allure d’escargot et tout le monde avait l’habitude de le dépasser, même dans les virages.

Après l’arrivée de ce « don du bon Dieu », une grande dispute a surgi dans la famille. La majorité des femmes voulait rapporter le bébé à la police tandis que presque tous les hommes voulaient le garder. Finalement, l’affaire a été tranchée par le plus ancien de notre groupe, à savoir Vasile qui ne s’occupait jamais des enfants mais qui avait la voix la plus forte et la plus religieuse. Donc, on a entassé l’adopté, qui avait le type français, dans mon Estafette avec son couffin.

Parmi nos enfants joufflus, il crevait vraiment les yeux, ce petit maigre au teint terreux. Nous l’avons appelé Ami 6 d’après son lieu d’origine, c'est-à-dire, d’après le type de Citroën où on l’a découvert. Mais Vasile, étant assez sourd, a commencé, par erreur, à l’appeler Aziz. Et quelqu’un a rapidement ajouté le nom « Kemal » parce que tout le monde a besoin d’un nom de famille et ce nom va bien avec Aziz. Et après ça, on lui a fourni de faux papiers, au cas où…

Je n’étais pas contente de ces machinations mais que pouvais-je y faire ? Mon oncle Vasile avait parlé et voilà, il était là, ce petit Arabe, Aziz Kemal, un petit Arabe chrétien venu du Maroc !

PAR ERIN GABRIELLE WHITE

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Aziz, un copain

Grandir avec Aziz, ou Ami 6, comme nous le connaissions était étrange.Orphelin sans origine. Il était différent. Ma grand-mère disait qu’il pouvaitapporter une malédiction à notre famille car il était arrivé simystérieusement.

Je me souviens que lorsque nous étions petits et que Mamita s’occupait denous, il était toujours malade et il semblait la mettre on colère. Ellepréparait des repas merveilleux. Je me souviens encore de sa bouillie de maïschaque matin et de son ragoût de lapin pour le déjeuner. Peut-être étaient-ilstrop riches pour Aziz, ou les portions étaient-ellestrop généreuses ? Elle était souvent grincheuse avec nous tous, mais elle s’enprenait surtout à lui. Il était si maigre qu’il semblait à moitié affamé. Nousétions heureusement bien nourris et joufflus.
Parfois, nous, les autres garçons, le taquinions sans pitié quand nous avions10 ou 11 ans. Nous faisions des bruits de voiture et disions « Au revoir !Tut Tut » Il semblait ne pas réagir. A l’occasion je l’entendais gémiralors que nous étions censés dormir.
Quand nous sommes allés au collège, nous sommes devenus plus amicaux. Vasile ainsisté pour que nous restions à l’école jusqu’à l’âge légal. De nombreuxautres groupes tsiganes encourageaient les enfants à partir plus tôt mais il nevoulait pas d’ennuis avec le gouvernement.

Aziz parlait couramment le français et l’arabe, ainsi que notre languemanouche. Il avait de bons résultats au lycée. Je suis sûr qu’il aurait puobtenir son baccalauréat s’il avait eu l’occasion. L’école était peut-être unefaçon d’échapper à sa vie difficile. Il m’a confié récemment que Vasile avaitété le vote décisif qui lui avait permis de rester dans notre groupe. Il disait« Boris, qu’il n’est pas facile d’être adopté par une tribu ».

En repensant à ma vie et en la comparant à celle d’Aziz, je trouve étrangeque nous passions si peu de temps avec nos parents. Ils travaillaient toute lasemaine à l’usine ou au marché. Nous avions tous été élevés par l’ensemble dela communauté.
Donc sa vie était semblable à la nôtre. Mes parents étaient distants, les siensétaient morts.

PAR ANN B

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Texte #2 - p.14-17

Une lettre à M. Giraudy.

M. Giraudy
L’école Vallon-Fleuri
Marseille-Nord
Bouches-du-Rhône

Le 5 septembre, 2025

Monsieur,

Je m’appelle Aziz Kemal. Vous vous souvenez peut-être de moi. Quand j’étais à l’école, je vivais avec un groupe de gitans à Vallon Fleuri. Malheureusement j’ai été contraint de partir en sixième, et vous m’avez donné un livre en guise d’adieu. Il s’appelait Légendes de monde.
Il a été mon guide et mon soutien, et ma bible ; sauf que je ne suis pas chrétien. Il m’a incité à découvrir et à vivre de nouvelles aventures. En tant que prof de géographie, vous m’avez encouragé, j’ai pensé que vous seriez intéressé par mes voyages. « Toujours chercher de nouvelles choses » était votre devise. Mes papiers officiels indiquaient que j’étais originaire du Maroc. Apparemment, ils étaient faux. Comme mes parents sont morts, je n’avais aucune idée d’où je venais. Donc j’étais à Marseille illégalement. J’ai dû retourner dans mon pays d’origine. Les agents des douanes m’ont demandé d’où je venais. Alors j’ai regardé la carte dans votre livre et j’ai trouvé une ville au Maroc qui semblait intéressante. C’est dans les montagnes de l’Atlas et elle s’appelle Ifrane.

Ifrane est une station de ski avec des lacs immaculés et des parcs nationaux. Les étés sont doux mais les hivers sont glacials. Pour quelqu’un qui a vécu au bord de la mer, les montagnes du Maroc sont un autre monde. Le mot “altitude” était nouveau pour moi. J’étais vraiment un poisson de Marseille hors de l’eau dans un palais de glace.

Le gouvernement a insisté pour que je voyage avec un fonctionnaire. Nous sommes arrivés à Ifrane au début de l’automne. C’est une ville jardin et le spectacle des couleurs était impressionnant. Aucun de nous n’avait jamais vu de neige auparavant. J’étais intrigué par les motifs et les cristaux différents dans les flocons. Nous avons eu beaucoup de succès à Ifrane pendant des années car nous sommes francophones et nous pouvions aider les touristes.

J’ai créé un petit hôtel avec mon ami et Marseille me semble très loin.

Je vous prie d’agréer mes meilleures salutations,

Aziz Kemal

PAR ANN B

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Les Légendes du Monde

Cher M. Giraudy,

Autour du feu, à la veillée, tous les soirs, j’entendais les origines et les traditions de ma famille. Mais ces histoires étaient fades par rapport aux légendes du monde dans l’Atlas que vous, M. Giraudy, mon professeur de géographie, m’avez offert. Je lisais ce livre constamment, en cachette (parce que les tsiganes n’aimaient pas la lecture), et j’apprenais les histoires :
- Les aventures et les périples d’Ulysse, en Grèce, et les épreuves qu’il devait franchir.
- La carrière d’Alexandre le Grand qui a créé un empire énorme, de Grèce au nord-ouest de l’Inde.
- L’histoire du roi Cnut, ancien roi d’Angleterre, roi du Danemark, roi de Norvège, qui a commandé à la marée de reculer.
- Jeanne d’Arc, qu’on appelait : « La pucelle d’Orléans », elle n’était qu’une adolescente mais elle a sauvé le roi de France.
- Robin des Bois, « outlaw » en Angleterre, qui a volé les riches pour aider les pauvres.
- Le roi Alfred, en fuyant des Vikings, s’est réfugié chez une paysanne et a laissé ses gâteaux brûler (comme si un roi savait comment cuisiner des gâteaux ? C’est le travail des femmes !)

Ces héros étaient plus réels pour moi que les ancêtres de Vallon-Fleuri ; la géographie de leurs exploits plus connus, grâce aux Légendes du Monde, que la Roumanie, la Turquie ou le nord de l’Inde. Avec les cartes et les illustrations de ce livre, ces légendes ont rempli ma tête comme une ribambelle d’oiseaux de passage.
Robin de Bois m’intriguait en particulier, avec sa bande de joyeux « lurons ». Je rêvais d’avoir une bande comme ça, et ça m’a rappelé le sentiment de fierté que j’ai eu quand je vous ai envoyé mon premier autoradio, M. Giraudy. J’ai volé tant d’autoradios, et d’autres petites choses. Bientôt je pourrai conduire et commencer à voler des autos, donc je ne serai plus une bouche inutile. Il faut que tous les habitants de Vallon-Fleuri travaillent ensemble pour que tout le monde puisse manger. « Le Bon Dieu aide ceux qui s’aident eux-mêmes. » Puisque nos roulottes sont restées sur les cales, on ne pouvait plus travailler comme rétameurs ambulants, et on a dû trouver d’autres moyens de survivre.

Je cherchais les nouvelles de mes héros dans les journaux de Marseille, Le Provençal ou Le Marseillais. Les feuilles ont été utilisées de temps en temps comme emballage. Peut-être, si j’avais pu suivre vos conseils, M. Giraudy, et si j’étais resté à l’école à la fin de la sixième, et si j’avais obtenu une place dans un collège normal, et si j’avais bien étudié, j’aurais pu apprendre les vraies histoires de mes héros… mais peut-être pas !

Amitiés de votre étudiant, Aziz Kemal

PAR ANGELA LOW

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Sœur Mary Singer 1915-2014

En février 1953, je vois Sœur Mary pour la première fois. J’ai onze ans, je suis une nouvelle pensionnaire et Sœur Mary est maîtresse d’internat, responsable de notre dortoir. Elle est redoutable. Elle a un œil sain et un œil de verre et, au réfectoire, elle sait faire taire cent filles turbulentes, d’un seul regard. « On ne plaisante pas avec moi » est le conseil tacite de cet œil, et je lui obéis. Je suis intimidée. Je garde mes distances. Et je ne suis pas la seule.

Pendant trois ans, je suis sur mes gardes, j’ai Sœur Mary à l’œil mais, en 1956, je passe au lycée où elle est directrice, et aussi ma prof. de français. Je tremble dans mes bottes. Peu d’étudiantes choisissent le cours de français ; il est impossible de se cacher, d’éviter le regard vitreux.

Chaque soir, en devoirs, nous devions apprendre dix mots français : la dame- the lady, l’homme- the man, l’oiseau-the bird, le chat- the cat etc., et, le lendemain, Sœur Mary, religieusement, vérifiait le vocabulaire prescrit. Lorsque mon amie, Anne, m’a chuchoté qu’une « dame oiseau » s’était posée sur le voile de Sœur Mary, aucune de nous n’a osé le lui dire. Ce jour-là, la coccinelle, « the ladybird », a été épargnée.

Parfois, je n’arrivais pas à faire mes devoirs de mathématiques, ou de géographie, ou d’histoire, mais, d’une manière ou d’une autre, je réussissais toujours à terminer mes devoirs de français, une diligence qui ne m’a pas valu les faveurs de ma prof. de mathématiques, Sœur Saint-Jude, qui disait « cette partialité flagrante n’est pas appropriée ». Mais elle, elle n’avait pas d’œil de verre…

En 1957, et pendant les deux années suivantes, Sœur Mary était ma prof. d’anglais et j’ai commencé à la voir sous un jour différent, à reconnaître l’étincelle dans ses yeux. Chaque matin, ce tourbillon humain entrait dans notre salle de classe en déclamant des vers de Wordsworth ou de Shakespeare, un discours de The Tempest, par exemple : « and deeper than did ever plummet sound, I’ll drown my books », et, immédiatement, nous étions assiégées d’un flot de questions : « A plummet, c’est quoi ? Qui parle ? Drown his books, pourquoi ? Expliquez cette métaphore. » Nous étions captivées, et terrifiées en même temps.

Je vois Sœur Mary vieillir : la lueur faiblit peu à peu, le tourbillon s’apaise. Elle ne voit plus, elle n’entend plus, elle bouge peu, elle parle à peine. Quand je lui donne une gorgée d’eau, ses lèvres prennent la forme des mots « Merci, Erin », mots sans son. Elle meurt en 2014. Elle a 99 ans. Merci, Mary, ma chère amie.

PAR ERIN GABRIELLE WHITE

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Texte #3 - p.39-46

Ma seule maman

Bébé, Aziz Kemal a été adopté par un groupe de Tsiganes qui l’ont élevé comme un des leurs dans une banlieue de Marseille. Mais, à l’âge de 25 ans, contre sa volonté, Aziz a été déporté par les autorités françaises au Maroc, son pays d’origine selon ses faux papiers d’identité. Maintenant, 15 ans plus tard, Aziz habite avec sa femme, Fatima et leurs deux enfants à Marrakech où il est professeur de géographie au lycée Victor-Hugo. Un jour, Aziz reçoit un courriel inattendu de son ami d’enfance, Pignol, qui vit toujours à Marseille. Aziz lui répond immédiatement.

Salam Pignol. Tu es toujours dans le pays des vivants ! Et toujours policier ! Mais aujourd’hui, c’est toi, le patron ! C’est incroyable ! Je ne sais pas quoi dire, ni en arabe, ni en français. Et il est rare qu’un Tsigane, même un Tsigane adoptif, soit à court de mots ! Bravo, mon ami ! C’est un grand pas en avant pour un gars de Vallon-Fleuri, surtout pour un gusse qui suit l’OM, l’équipe la plus basse de l’échelle, et qui n’a pas remporté de trophée depuis 15 ans, depuis mon départ de France ! Désolé de te rappeler cette triste vérité… Quant à moi, je suis Les Lions de l’Atlas, l’équipe championne du Maroc, mais pour mes deux garçons, ils soutiennent l’OM. C’est le sang gaulois qui coule dans leurs veines !

J’ai été vraiment choqué d’apprendre que Mamita n’a plus que quelques semaines à vivre et qu’elle demande à voir Ami 6. C’était mon nom avant de commencer l’école. Mais je n’ai jamais été le favori de Mamita, trop pâle et calme à son goût, et trop maigre, sans médailles en or ; elle avait l’habitude de m’oublier, sauf quand je ne finissais pas mon assiette. C’est bizarre que, 40 ans plus tard, elle se souvienne d’Ami 6. Mais qu’est-ce que c’est que ce truc ! Elle est ma seule mère, mieux vaut tard que jamais. Ne dit-on pas que la main qui berce le berceau gouverne le monde ? Bon, alors, pour moi, dans mon monde, c’est la main de Mamita. Sauf que j’avais un couffin et non un berceau et qu’elle ne l’a jamais bercé.

J’ai demandé à ma femme de choisir un châle rouge et vert en laine chaude pour Mamita, une petite compensation pour toutes les nuits froides où elle s’est levée pour nettoyer mon vomi quand j’avais mangé trop vite. Je te l’envoie aujourd’hui. Donne-le-lui de la part d’Ami 6, s’il te plaît, mais ne lui dis pas que ce sont les couleurs des Lions de l’Atlas. Allez les Lions !

Shukran, mon ami, tu me manques.

A une prochaine,

Aziz

PAR ERIN GABRIELLE WHITE

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Le voyage au Maroc

Quand Schneider m’a tendu la main, je l’ai serrée et je l’ai regardé droit dans les yeux. Sa poignée de main était flasque. Vasile m’a toujours mis en garde. C’était un signe de caractère.
- Aziz Kemal.
Schneider a souri.
- Bon, on part pour le Maroc ? Chez vous, c’est ça ?
- Apparemment.
- On est prêts ?
- Je dois récupérer mes affaires au bureau.
- Bien, je dois finir les papiers pour votre libération. On a un avion à prendre, c’est ça ?
Cette cordialité semblait si forcée, surtout si tôt le matin. J’ai récupéré mon sac, j’ai fait mes derniers adieux à Pignol et à ma cellule.
- On n’a pas besoin de menottes ? Vous n’allez pas essayer de vous échapper quand même ?
Si seulement je le pouvais, j’ai pensé.

Un bus nous attendait pour nous emmener à l’aéroport. Je n’étais pas le seul clandestin. J’avais envie d’une douche, ou au moins d’un peu d’eau chaude. J’espérais que cela serait disponible avant le vol, même s’il était supervisé ! Le trajet jusqu’à l’aéroport de Marseille-Provence a été rapide. Les autres passagers semblaient sombres et silencieux, les conversations étaient rares. Peut-être étaient-ils également confrontés à la sombre réalité d’un avenir inconnu ! Pendant le trajet, j’ai retrouvé mon atlas dans mon sac. Quel soulagement ! Aussi des vêtements propres. Mais mon téléphone n’était pas là. Pignol avait promis de le rendre. Devrais-je demander à Schneider ? Peut-être pas.

J’ai réussi à me laver et à me changer les vêtements aux toilettes-hommes dès notre arrivée. Il a attendu dehors. Je me sentais comme un petit garçon qui passait la douane, car l’attaché humanitaire était le seul responsable.
Alors que nous nous dirigions vers le scanner, il m’a tendu mon téléphone.
- C’est votre portable, je crois, Kemal ?
J’ai hésité, je l’ai pris et j’ai eu du mal à retenir mes larmes. Nous sommes montés à bord de l’avion. On m’a offert une bière. J’ai jeté un coup d’œil à Schneider.
- Ben oui, deux bières, s’il vous plaît.
Nous avons décollé, le rugissement du moteur correspondait à celui de mon cerveau. Ma vie était un véritable cauchemar. Mon avenir était dans un pays étranger. Et Schneider était un sale hypocrite chiant.

PAR ANN B

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Lettre du Maroc

Cher Pignol,

Je ne sais pas qui a inscrit le nom Ifrane comme ma ville de naissance dans mes faux papiers, mais il m’a donné de nouvelles possibilités pour un nouveau début. C’était la chance de ma vie.

Jean-Pierre Schneider, mon « attaché humanitaire », croyait que je venais d’un tribu d’hommes gris, cachés dans les montagnes Atlas depuis les temps préhistoriques. Un village appelé Irguiz. Mais il n’existait pas. Peut-être a-t-il choisi Ifrane, un nom assez similaire, dans le Moyen-Atlas.

Le nom Atlas vient de la mythologie grecque. Le géant Atlas fut condamné par Zeus à soutenir la voûte céleste. Plus tard, le héros Persée utilisa la tête de Méduse, capable de pétrifier par le regard, pour transformer Atlas en pierre, donnant ainsi naissance à la chaîne de montagnes. J’ai lu ce mythe dans mon livre, Légendes du Monde, mais je ne crois pas que ce soit la vérité.

Jean-Pierre Schneider et moi avons fait le long voyage de Marseille à Ifrane ensemble, plus de 2 000 kms. Nous avons pris un bus de Marseille à Tarifa (en Espagne), près de Gibraltar, il faut 26 heures. De Tarifa à Tanger, une heure en ferry, puis 6 heures en train et taxi vers Ifrane. Jean-Pierre est français, de Lorraine. Il ne parle que français. Donc quand il a foutu le bordel, perdu les billets, cherché le bon ferry ou mal lu l’horaire du train, pfff, c’était moi qui ai dû l’aider. Chez les Tsiganes j’ai appris un peu d’arabe, un peu d’espagnol. Mais comme tu le sais, je suis né à Marseille et je ne savais rien des pays ou territoires au-delà.

Nous sommes arrivés enfin à Ifrane. J’étais stupéfait de ce que j’ai vu. Quel joli village, net et propre. Le Maroc était une colonie française jusqu’aux années cinquante et Ifrane était construite comme une station de ski au style européen avec beaucoup de jolis chalets et une belle église. Et tous étaient enneigés. Marseille, comme tu le sais, est sur la côte et très chaude en été. Ici, en hiver, à 1 665 m d’altitude, il fait très froid. Je n’ai jamais ressenti autant le froid, et je n’avais jamais vu de neige auparavant.

J'ai trouvé un emploi ici, plongeur dans un grand hôtel, les repas sans fin pour les skieurs et les touristes. Un gusse dans la cuisine a promis de m’apprendre à skier. C'est beaucoup mieux que voler les autos. Ifrane ne pouvait pas être plus loin de Vallon-Fleuri. Il n’y a pas de Tsiganes ici, pas de « clandestins ». La nourriture marocaine, les tagines, les couscous, est bonne et même je commence à aimer le thé à la menthe. Dommage il n’y a pas d’équipe de foot ici.

Tu me manques.

Ton ami, Aziz

PAR ANGELA LOW

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