Didier Daeninckx

Textes composés par les étudiants
du cours ATELIER DE LECTURE ET ECRITURE CREATIVE,
inspirés par 'Cannibale' de Didier Daeninckx

André Breton et Albert Pontevigne

Le premier avril 1931, un mois avant l’inauguration de l’Exposition coloniale, le surréaliste André Breton aborde Albert Pontevigne, Haut-commissaire de l’Exposition coloniale, en protestant de manière vive :
-  Albert, je t’implore de m’écouter, au nom de notre amitié ancienne, quand nous étions étudiants ensemble au lycée Henri-IV ! Souviens-toi de nos cours de philosophie sur l’égalité entre les êtres humains.  Rappelle-toi l’immense Voltaire qui a lutté toute sa vie contre l’intolérance et contre le fanatisme !
-  Ça suffit, André ! J’en ai assez de tes protestations qui ne cessent jamais ! On en a déjà discuté mille fois, et c’est inutile qu’on continue ainsi. Tu es un pauvre homme qui vit dans un monde d’illusions, de grandes idées irréalistes, et de poésie. Je n’aime pas ta légèreté et ton imagination débordante, qui sont définitivement incompatibles avec la politique. Il faut que tu comprennes que tout ce que je fais est dédié à la grandeur et à la gloire de notre pays.
- N’Importe quoi ! Ce que je pense, c’est que tu te soucies surtout de ta carrière et de tes privilèges de Haut-commissaire. C’est honteux que tu n’éprouves aucune compassion humaine pour les pauvres Canaques. C’est terrible qu’on puisse vouloir les exposer comme des bêtes féroces dans un zoo. Ce que tu fais est dégoutant, en leur volant leur liberté.
- Non André, je ne vole pas leur liberté, au contraire. En les amenant ici, je leur offre l’opportunité unique de découvrir la civilisation et la grandeur de notre patrie. Je les libère de leur sauvagerie naturelle.
- Et comment ils pourraient découvrir notre grandeur alors qu’ils sont enfermés dans des cages ?
-  Bien qu’ils soient enfermés, ils peuvent profiter quand même de notre supériorité. Ils doivent rester en cage car ils sont dangereux et imprévisibles.
- Tu nies les valeurs des Lumières, et j’ai honte pour toi. L’histoire ne te donnera pas raison. Avec mes camarades, nous continuerons à nous battre contre cette Exposition.

PAR SOLVEIGH

_

L’Ascension de l’homme

Le surréaliste Jean Barbier rencontre le Haut-commissaire, M. François-Marie Prudhomme, avec son consultant scientifique, Michel Perreault, pour justifier l’exposition sur L’ascension de l’homme, dans un parc naturel. Il explique qu’il y a six tableaux vivants traditionnels, statiques et silencieux.

- Le premier tableau est celui des primates avec de longues queues, hein Michel ?
- Oui, M. le haut-commissaire, les singes de l’ancien monde, ici les macaques d’Algérie, nommés par M. Lacépède en 1799 et …
- Dans une cage, bien sûr, avec beaucoup de bananes pour les calmer. Et le deuxième ce sont les grands singes sans queues.
- Oui, les singes du Nouveau monde. Ici, nous avons emprunté ce gorille au jardin zoologique, et il…
- Et le troisième est ce groupe de sauvages, des Canaques de Nouvelle-Calédonie, presque nus, avec leurs outils et leurs armes en bois. 
- Oui, de vrais primitifs, hommes de la nature, selon M. Charles Darwin…

Jean Barbier fronce les sourcils mais il se tait.
- Le quatrième est vraiment une inspiration ! Ces nègres des Etats-Unis, avec leurs instruments de musique qui indiquent leur progrès intellectuel.
- Oui, et nous avons rasé leur crâne pour révéler une phrénologie si intéressante…
- Oh, tais-toi Perroquet ! dit Jean, tes idées scientifiques sont vraiment monstrueuses ! 

Etonné, le consultant recule. M. Prudhomme se tamponne le front avec un mouchoir, mais il continue le tour.
- Ce cinquième montre la vie pastorale des paysans français. Le sel de la terre, ils font du bon travail manuel et dur, mais ils sont un peu stupides, bêtes. Mais le sixième ! Ici, nous pouvons montrer la vie moderne : une famille bourgeoise, Papa, Maman, une jolie fille, un beau fils, tous bien habillés, tous intelligents. 

Avant que Jean ne puisse dire un mot, un brouhaha commence, qui devient un grand vacarme.
- Cet imbécile de fils bourgeois a taquiné les singes ! Il n’est pas sage, cet enfant !
Les macaques commencent à bondir, à pousser des hurlements. Êtres intelligents et habiles, ils crochètent la serrure et ils fuient de la cage, jetant des bananes au gorille qui grogne avec férocité et se bat la poitrine. Les sauvages sans vêtements se plaignent à haute voix (en français) d’avoir froid, quand, à ce moment-là, les Américains noirs commencent à jouer du jazz, fort et chaud. Les Canaques dansent et chantent, pas aux rythmes de la Nouvelle-Calédonie, mais dans le style de Joséphine Baker.

Ils veulent se réchauffer, songe Jean.
- Mais c’est dingue !! Même la petite fille est tombée amoureuse du trompettiste noir ! Ils veulent se marier.
Son père est furieux et lance des cris ! Sa mère s’affaisse en sanglots.
- Il faut que quelqu’un arrête cette comédie, Prudhomme. Ca tourne à la farce. Quelle absurdité !

Seuls les paysans restent muets, stupéfiés… et le gorille boudeur qui tourne le dos au public. 

PAR ANGELA LOW

-

Dali et Pontevigne

À 20h, le premier mai 1931, à la veille de l’inauguration de l’Exposition coloniale, le Haut-commissaire Albert Pontevigne s’assied dans sa voiture, une Renault Vivastella, sur l’avenue Daumesnil.  Souffrant de dyspepsie, il envoie son chauffeur lui acheter du sel aux fruits.  Le soir est chaud et la voiture mal ventilée.  Soudainement, un visage passe par la vitre.

- Hors d’ici ! Va-t’en ! De quel droit viens-tu me déranger ? Tu veux que j’appelle la gendarmerie ? Enlève tes mains de ma propriété !

Le nouvel arrivé rigole et tend la main au Haut-commissaire.
- Comment allez-vous, Monsieur ? Je m’appelle Salvador Dali. Je suis vraiment enchanté de vous rencontrer, particulièrement maintenant avant la grande ouverture de la grande fête internationale demain. Vous représentez tout que la France a fait pour les peuples du monde entier, Monsieur le Commissaire.  Je représente seulement quelques artistes, peu importants, qui m’ont envoyé parce que mes amis sont mécontents que vous soyez arrivés à vos fins.

Le Haut-commissaire recule et commence à écumer de rage.
- Dali, Dali ! Bolchevique ! Communiste ! Retourne immédiatement en Espagne…Des gens de ton acabit devraient être mis en prison à la frontière… Regarde-toi, avec tes cheveux longs et sales et ta moustache ridicule…Tu fais honte à l’humanité !
- Soyez calme, papa ! Je suis étonné par votre regard envers l’humanité. Où vous trouviez-vous quand les autochtones sont arrivés à Paris, presque morts de froid ? Où vous trouviez-vous quand les crocodiles et les autres animaux exotiques mouraient de faim ? Je pourrais peindre les toiles de ces souffrances pour stimuler votre manque d’imagination. Vous, Monsieur, et votre exposition portez grande atteinte à l’honneur de la France, depuis des siècles et des siècles.

Pontevigne essaie de saisir la poignée de la portière : la main de Dali intervient et laisse tomber un document.
- Oh, Monsieur, écoutez ma proposition ! Je lâcherai votre main si vous acceptez d'héberger tous les êtres de l’exposition, humains et animaux, Kanaks et crocodiles, dans des logements confortables. Sinon, mes amis, les cheminots du train de Francfort en route vers la gare de l’Est, libèreront tous les animaux des cages. Signe ici ! Voici une plume.

L’angoisse et la dyspepsie atteignant leur apogée, le Haut commissaire signe d’une plume, faite d’un pied de poulet.
Le document, la plume et le surréaliste avaient disparu avant le retour du chauffeur.

PAR CARMEL MAGUIRE

-

Didier Aragon et Albert Pontevigne

Les surréalistes se sont opposés à l’entreprise coloniale française de 1931. En mai 1931, ils ont distribué un tract « Ne visitez pas l’Exposition Coloniale ». Le Haut-commissaire, Albert Pontevigne demande à voir Didier Aragon, l’un de plus forts adversaires.

- Bonjour, Monsieur le Haut-commissaire… Merci de me rencontrer pour discuter du bien-être des Canaques et des autres participants.
- Monsieur Aragon, je ne comprends pas le surréalisme, cependant je dois condamner votre tract, il est proche de la sédition.

Aragon secoue la tête.
- Non, Monsieur, nous ne sommes pas contre toute l’exposition… Notre problème est que des humains sont gardés dans des enclos, ils sont exposés comme des animaux dans un zoo.

Albert Pontevigne fronce les sourcils.
- C’était essentiellement pour les garder en sécurité, je vous assure.
- Monsieur Pontevigne, puis-je vous demander quels sont vos objectifs pour l’exposition ?
- Nous voulons montrer les bienfaits de la colonisation, particulièrement ici en France .
- Avez-vous pensé aux désavantages de colonisation ?
- Vous devez vous rappeler que notre Président Doumergue a vécu en Indochine…. Le Maréchal Lyautey a vécu et a travaillé au Maroc. Ces hommes comprennent les colo-nies… Il parait que ces natifs ne parlent pas très bien français !
- Je vous assure que la plupart de la troupe parle la langue parfaitement. En Nouvelle-Calédonie, ils ont des emplois responsables… un homme est douanier.
- Ces indigènes sont ici sous de faux prétextes, confinés sans aucun confort. Le pire de tout est que les femmes sont obligées de danser à moitié nues. C’est humiliant ! Leur dignité doit être reconnue !
- Mais vous êtes un idéaliste. Le gouvernement planifie cette exposition depuis plus de vingt-cinq ans. On ne peut pas laisser des sauvages errer sans but dans les rues ! On doit présenter un front uni au monde.

L’officiel tape du poing sur la table pour souligner chaque point.
- Monsieur le Haut-commissaire, je suis un Français très fier, cependant je ne peux pas accepter que vous exploitiez et rabaissiez ces personnes de cette manière. Notre devise est liberté, égalité et fraternité ; elle ne semble pas exister pour les Canaques.
- Monsieur Aragon, rappelez-vous qu’ils ne sont pas français !

PAR ANN B

-

Léon Blum et le Maréchal Lyautey

À la veille de l'exposition coloniale du 1 mai 1931, Léon Blum a redigé un tract pour contrevenir à l'exposition coloniale. S'ensuit un dialogue avec le Haut-commissaire de l'exposition, le Maréchal Lyautey.

- Hypocrites ! Hypocrites ! Vous devez vous rendre compte de l'exploitation humaine ! C'est une honte. On ne peut pas l'accepter ! Ce traitement inhumain au nom de la civilisation de la France ! Vous devez en avoir honte… c'est un zoo humain.
Trente Kanaks échangés contre des crocodiles qui, par ailleurs, ont été empoisonnés. Vous les avez enfermés dans des enclos, les gardiens leur ordonnent de faire des bruits d'animaux, de manger n'importe quoi… C'est l'hypocrisie à son paroxysme ! Monsieur le Maréchal, cette exposition devrait être boycottée.

La réponse du Maréchal est arrivée comme des balles tirées d'une arme à feu. Son expression vide révélant son manque de sympathie.
- Votre tract n'a nulle chance d’être suivi… L'empire colonial est à son apogée. Il y aura 8 millions de visiteurs qui viendront à cette exposition où ils verrront des villages indigènes, des échoppes coloniales et des temples asiatiques reconstitués. Cette exposition leur permettra de voir les richesses et les grandeurs de la 'Grande France'.

Léon Blum lève les bras de désespoir, ses yeux se plissant de colère.
- Ils vont être exhibés face aux gens comme des animaux ! C'est un échange monstrueux et impardonnable. Vous devez réfléchir et reconsidérer…

Le Maréchal tape du pied au sol .
- Ils se sont lassés de cette attraction au cirque à Francfort. C'est le moment parfait pour cet échange de crocodiles. C'est le bon moment pour leur remplacement. Notre but est déjà établi …de donner aux Français conscience de leur empire.

Léon Blum gonfle sa poitrine dans un effort pour justifier son argument.
- Les Kanaks seront présentés comme des cannibales, ils seront privés de toute liberté, dépossédés de leur humanité. Ce n'est pas un acte criminel ?

Le Maréchal hausse les épaules pour montrer sa supériorité, faisant semblant d'écouter, mais son regard est ailleurs…
- Je maintiens mon argument, comme je l'ai déjà expliqué. Voilà qui nous permet d'inaugurer l'exposition coloniale et d’éliminer tous les zélateurs de cette entreprise. 

PAR AMANDA

-





Using Format