David Foenkinos

Textes composés par les étudiants
du cours ATELIER DE LECTURE ET ECRITURE CREATIVE,
inspirés par 'Charlotte' de David Foenkinos.

Une rencontre brève

En Australie un foyer sur quatre est composé d’une seule personne. En France la statistique est d’un sur trois. Dans ce contexte, ce n’est pas étonnant qu’il y ait une profusion de sites de rencontres et beaucoup de rendez-vous comme celui-ci.

Au café près de la Gare du Nord, elle hésite.
Elle regrette d’avoir écouté l’avis d’un collègue de bureau.
Toute seule, étrangère dans un pays inconnu.
En serrant fort la seule fleur que RSVP a précisée.
Dans quel coin se trouve cet homme ?
Porte-t-il la veste verte spécifiée ?
Et le voilà avec une veste assez verte pour un gagnant du golf Masters.

Il voit une femme qui porte une seule fleur, un chrysanthème.
Un peu déconcerté par la fleur de la Toussaint et des cimetières.
Il se lève et se dirige vers elle.
Ils se serrent la main et ils s’assoient.
Elle commande un vin rouge, Il commande un café.
Après un échange de sourires, un silence d’embarras s’installe.
Il essaie de lever l’impasse par une ouverture peu sage.
Mon frère m’a enregistré à RSVP sans me le dire.
Elle ne peut pas contenir l’inondation de mots dans sa bouche.
Humiliée, elle se sent enivrée.
Et lui se sent imbécile.

Il se demande si elle va enfin s’arrêter de parler.
Peut-être est-elle incapable de parler sans affectation.
Soudainement avec un geste expansif elle fait tomber le verre.
Le vin coule sur la table et sur sa jupe.
Il appelle le serveur qui n’est pas impressionné.
Étourdie d’embarras, elle s’écrie d’une voix éperdue.
Si seulement la terre pouvait s’ouvrir et m’engloutir.
Sans une seconde d’hésitation il saisit le moment.
Creuse un cratère assez profond pour moi aussi s’il te plaît.
Ils sourient et soudainement l’atmosphère se détend.
Leur rencontre avait les traits d’un accident ferroviaire.
N’importe ! ce n’est pas nécessairement une catastrophe.
Même heure la semaine prochaine, suggère-t-il.
Pourquoi pas, réplique-t-elle de bon cœur.
Avant chaque traité d’alliance, on doit faire un brouillon.

PAR CARMEL MAGUIRE

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Une réunion hors norme

Après la Révolution russe et la mort de Lénine, une sorte de guerre froide régnait entre les deux personnages principaux qui restaient. Une soirée intime a donc été organisé pour les pourparlers.

Vers minuit à Moscou, le ciel étincèle.
Au plus profond de la nuit.
La voûte céleste semée d’étoiles
Indique le Kremlin sur la place Rouge.
Le maître du lieu propose à son hôte
Un récital donné par Sviatoslav Richter.
Site d’un rendez-vous longuement voulu.
Par les deux protagonistes.
Pour célébrer le nouvel an et fêter l’anniversaire de l’autre.
Un évènement spécial.
Une soirée d’apaisement entre les deux rivaux politiques.

Staline s’installe dans son fauteuil habituel dans la salle de musique.
Une bouteille de vodka.
Bien froide.
Même glacée.
A ses côtés.
Et des zakouskis.
Un écuyer invisible frappe à la porte et fait entrer Trotsky.
L’intellectuel, aux lunettes rondes.
Tout souriant.
A-t-il compris ? N’est-il pas méfiant ?
Il apporte une boîte de bonbons spécialement importée du Caucase.
Pour son patron.
Richter s’apprête à jouer
Les airs favoris du maître du Kremlin.
Les chansons de Géorgie, sa terre natale.

Tout d’un coup
Staline ordonne que la musique s’arrête.
D’un geste de la main.
Il demande au pianiste de quitter la salle.
On veut parler en privé.
En sécurité.
Sans interruption.
En effet, sans témoins.
Trotsky observe le visage de Staline, colérique
Qui essaye de se hisser du fauteuil.
Pour taper du pied.
Staline fait une grimace en regardant son ancien collègue en face.
Sortez, sortez traître.
J’ai changé d’avis, je ne vais pas vous exécuter.
Mais il vous faut quitter le pays
Immédiatement.
Avant que je ne change d’avis encore une fois.
Le traître, c’est vous, répond Trotsky.
Je quitte de la Russie, moi qui ai des principes.
Pour continuer la lutte ailleurs.
Il claque la porte.

PAR ROSE CHENEY

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Anne

Anne est enfant unique. Son père souffre d’une démence sénile et il habite seul dans la maison de famille où il veut rester. Anne veut qu’il aille dans une maison de retraite.

Anne arrive chez son père, elle ne le trouve pas là.
La porte d’entrée est grande ouverte.
Où est-il ?
Le garage est vide.
Son cœur bondit.
S’est-elle trompée de jour ? Quel jour sommes-nous ?
Quelle heure ? Peut-être perd-elle la boule.
Elle fixe l’horloge dans le salon.
Le balancier ne bouge pas.
Pas de tic-tac.
Son cœur bat la chamade.
Elle erre dans la maison, la maison de son enfance.
Ici et là, des bouts de papier.
Comme des confettis colossaux.
Pense-bêtes pour un myope, pour son père.
ENTRETIEN MERCREDI MAISON DE RETRAITE.
C’est bien aujourd’hui, mercredi, elle a raison.
Elle se sent désespérée.
Le jour du rendez-vous.
INFIRMIERE MARDI MIDI.
POUBELLE JAUNE JEUDI.
DENTIER DE RESERVE, ANNE.
En cas de problèmes, appelle Anne.
Mon numéro de téléphone, partout.
Comme un SOS.

Soudain, un son, le son des pas de son Papa.
Elle s’arrête, se raidit et s’apprête.
Portant son chapeau de travers, il entre, son beau Papa.
Il a l’air dissolu, désorienté, fragile.
Epuisé, il s’écroule dans le fauteuil.
Son cœur s’adoucit.
Mais c’est l’heure de partir pour la maison de retraite.
Pour l’entretien.
Où est la voiture ?
Il la regarde, les yeux vides.
Quelle voiture ? Quel entretien? Quelle maison de retraite ?
Son cher Papa, exaspérant, il la taquine ?
Il n’aurait pas pu l’oublier, sa Renault rouge, la fierté de sa vie.
Il n’aurait pas pu égarer sa voiture ? Exprès ou par hasard ?
Elle se sent exaspérée.
Il la regarde, les yeux écarquillés.
Rappelle-moi, Anne, qui sont tes parents ?
Elle, dépourvue de mots, ne trouve pas de réponse.

PAR ERIN GABRIELLE WHITE

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Les amies

Hélena et Marie sont de vieilles amies d’école. Quand elles étaient jeunes, elles étaient très proches et, au cours de leur vie, elles sont restées de bonnes amies. Maintenant elles ont dans la soixantaine. Helena est actuellement rentrée de France et Marie a organisé un rendez-vous.

Elle l’attend à l’hôtel dans leur bar favori
Un endroit qu’elle fréquentaient quand elles étaient jeunes
Parfois stupides, et souvent naïves.
Helena est en retard.
Il n’y a pas de texto.
En s’asseyant sur son tabouret, Marie peut voir
Tout le monde aller et venir.
Elle retourne à son écran mobile.
Puis, tout à coup sa copine est là.
Elle apporte deux coupes de champagne.
Elle rit en les plaçant sur la table.
Elle embrasse Marie toujours en riant.
Marie se sent plutôt dépassée.
Helena est accueillante mais un peu exubérante.
Elle est habillée à la mode, sa coiffure est chic.
Elle est l’image même du style de Paris.

Marie se sent comme la cousine de la campagne.
Elle se souvient du livre de contes
Sur le rat des villes et le rat des champs.
Sa petite-fille aime toujours cette fable.
Helena veut savoir toutes les nouvelles !
Marie tente de discuter de leurs amis.
Cependant Helena ne semble pas prêter attention.
Elle se met à parler d’elle et de sa vie en France.
C’est très bizarre.
Peut-être souffre-t-elle du décalage horaire ?
Est-elle malade, vu son comportement étrange ?
Marie offre un autre verre à sa copine.
Quand elle revient avec le champagne
Elle voit que Helena utilise un téléphone portable.
Elle se rend compte que c’est le sien !
Pourquoi ? Marie demande très calmement si le téléphone
De Helena ne fonctionne pas ?

Au début il n’y a pas de réponse.
Soudain Helena se lève et commence à crier des insultes.
Elle dit à Marie qu’elle a toujours été méchante et égoïste
Et qu’elle n’est pas une vraie amie.
Elle commence alors à sangloter.
Pauvre Marie ! Elle ne sait pas comment l’aider.
Le bar se tait. Tout le monde regarde.
Un serveur propose d’appeler un taxi.
Helena refuse de bouger. Elle continue à pleurer.
Elle répète désolée, désolée.
Enfin Marie peut contacter son mari.
Il arrive finalement.
Ils réussissent à la calmer.
C’est une situation lamentable.
Le rendez-vous tant attendu s’est transformé en cauchemar !

PAR ANN B

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Le rendez-vous sur la plage

Elle s’installe sur la plage, sous l’ombrelle à rayures.
Attendant son amie, elle se bronze les jambes.
Allongée, ses yeux regardent les surfers.
Dominic est là.
Est-ce qu’il m’a vue ?
Suis-je visible de si loin ?
Julie, son amie, est en retard.
Elles sont amies depuis l’enfance, depuis l’école.
Léa veut entendre ses nouvelles d’hier soir.
Elle aperçoit son amie arpentant le long de la plage.
Julie marche lentement.
Est-ce qu’elle a minci ?
Elle porte un nouveau maillot de bain, jolie.
Elle feint de ne pas voir les regards admiratifs.
Elle s’allonge tranquillement sur le sable à côté de l’ombrelle.
Brave le soleil chaud.
Secouant ses cheveux longs.
Elle scrute la plage, de long en large.
Les bronzeurs, les surfeurs.
Sous son chapeau.
Sans dire un mot.
Peut-être ne veut-elle pas partager les nouvelles de la soirée ?

Enfin Julie dit qu’elle peut voir Dominic.
Soupirant elle susurre comme il est superbe.
Et tendre, son homme idéal.
Trop exubérante, elle commence à parler d’un trait.
Ils sont tombés amoureux.
Un coup de foudre, hier soir.
Elle n’a pas réalisé avant qu’il était si spécial.
Si attiré par elle.
On peut dire que c’est le vrai amour cette fois.
Pour toujours.
L’esquisse du reste de sa vie.

Léa se sent dévastée.
Son Dominic, son surfer.
Elle se tait.
Julie parle, de plus en plus animée.
Sans remarquer que son amie reste silencieuse.
Soudainement elle se lève d’un bond.
Elle doit retrouver Dominic après le surf.
Elle part en coup de vent.
Léa reste sur le sable.
C’est fini, leur longue amitié d’enfance.
Leurs secrets communs.
Fini pour toujours.
Seule, Léa regarde les vagues bercer les amants.

PAR ANGELA LOW

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Le rocher

Portrait d’une femme extraordinaire.

A l’âge de soixante-quinze ans, Margaret avait surmonté tant d’obstacles.
Sans jamais se plaindre, toujours optimiste.
Elle était diabétique.
Cela avait provoqué la perte de la vision d’un œil.
« Ca va, je vois bien de l’autre. »
En cinquante ans, son mariage avec Phil avait été un mariage idéal.
Phil était son rocher, sa forteresse.
Un jour d’hiver, tout a changé.
A peine réveillée de l’opération d’une hanche,
elle s’est retrouvée submergée sous les visages des médecins.
Une voix résonna comme un coup de tonnerre.
« Votre mari Phil a eu un accident vasculaire cérébral. »
Ils lui ont expliqué qu’il n’était pas handicapé physiquement.
Mais que, à part quelques mots, il avait perdu l’usage de la parole.

Le jour dit, Magaret attendait dans son lit.
On avait permis à Phil de venir la voir à l’hôpital.
Lui avait-on tout dit ?
Ce n’était pas possible qu’il ne la reconnaisse pas.
Est-ce qu’il serait le même ?
Pour elle, la joyeuse ritournelle de son mari sonnait comme un déchirement.
Son Phil, toujours extraverti, renommé pour ses anecdotes.
Pour la première fois, elle se sentait impuissante, désespérée.
L’image de son mari, ses yeux bleus, perçants.
La lueur dans son œil lui revenait.
Elle frissonna.
Elle lança un coup d’oeil dans le miroir.
Sur la table de chevet.
Magnifiant cruellement son visage.
Pâle et amaigri.
Elle se peigna, elle mit du rouge à lèvres.
Elle se regarda furtivement.
À quoi bon, se dit-elle.
Elle regarda l’horloge qui tictaquait de son rythme implacable.
Il était en retard…
Serait-il possible qu’ il ne vienne pas ?
L’infirmière apporta ses medicaments.
Une belle pause qui rompait le silence.
Finalement elle entendit les pas.
Pas les pas de ses souliers Rossetti.
Le pas trainant des pantoufles.
Comme une sonnette d’alarme.
Il arriva.
Une vision qu’elle n’avait pas prévue.
Devant elle, une apparition fragile.
Son regard désorienté.
Elle essayait de garder son sang-froid.
Il établit le contact avec ses yeux
Encore bleus et perçants mais sans leur vitalité habituelle.
Il leva les bras.
Il ouvrit la bouche.
Mais les mots ne vinrent pas.
Elle essaya de l’encourager.
Il balbutia
Oh, mince !
Elle se rappela l’expression identique de son beau-père.
Elle tenta d’entamer une conversation avec lui.
Toujours les mêmes mots.
Oh, mince ! répéta-t-il.
Peut-être avait-elle perdu son Phil d’autrefois.
Mais elle allait se débrouiller.
Maintenant elle serait son rocher.

PAR AMANDA

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