Brigitte Giraud

Textes composés par les étudiants
du cours ATELIER DE LECTURE ET ECRITURE CREATIVE,
inspirés par 'Vivre Vite' de Brigitte Giraud

À la mémoire de Claude

Je dois avouer que j’ai été très honorée et peut-être très chanceuse de recevoir le prix Goncourt l’année dernière. Ici à Lyon, toute ma vie et mon entourage ont changé. Ma mère est décédée récemment, mon fils a déménagé aux États-Unis pour étudier et maintenant mon frère vit en Espagne avec sa compagne. Il faut que je déménage dans une autre ville pour plusieurs raisons : Hélène m’a demandé de demeurer chez elle à Paris, et c’est plus proche de mes rédacteurs, la famille a quitté Lyon, notre maison a disparu, peut-être qu’une séparation avec la ville et tous ses souvenirs et secrets serait sage ? Je pensais que j’avais tellement raison de cacher des secrets. Cependant lorsque je réfléchis à tout ce que j’ai révélé à mes lecteurs partout, j’ai réalisé que mon cerveau avait arrêté de galoper ! La devise de mon entourage était “ Les choses familiales sont privées et doivent rester privées. “ Ces sentiments ont régi ma vie jusqu’à ce que j’écrive “ Vivre Vite”. Accepter tout ce que j’avais perdu, mon cher Claude, me séparer de notre maison, enfin être honnête avec moi-même a été une énorme épreuve, un énorme défi. La mort de Claude était un accident, il n’y avait aucun blâme ni culpabilité ! J’ai toujours été plutôt négative et obsessionnelle à propos de tout, maman a simplement dit que c’était de l’entêtement. Ces dernières années mes sentiments pour Claude étaient confus, parfois je le détestais de nous avoir quittés. J’emmènerai ses CDs à Paris, Lou Reid et les Rolling Stones étaient ses favoris. J’ai aussi emballé certains de ses livres, dont “ Les hommes et les femmes” de B. H. Lévy et “Particules Élémentaires “ de Michel Houllebecq. Ils sont très démodés maintenant mais c’est un autre souvenir de lui.
Si je n’avais pas été obsédée par l’accident pendant vingt ans.
Si seulement j’avais eu le courage d’affronter la vérité.
Si j’avais réussi à oublier plus tôt.
Et si je recommençais à vivre maintenant, mais pas vite.
Lentement et pleinement.

PAR ANN B

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Destinée

Ce qui suit est un extrait du journal personnel de Bérénice Carmine, une œuvre publiée récemment sous le titre, Destinée. Dans son premier roman, L’effet domino, Carmine avait exploré les circonstances autour de la disparition de son premier mari dans un accident de moto. Après un long silence, elle a accepté de publier quelques extraits de son journal où elle écrit toujours à propos du rôle de l’ironie du sort dans sa vie, mais ici le ton est différent. Il faut que l’on transforme son destin en sa destinée. Comme dit Carmine, « le temps guérit tout ».

22 juin : Aujourd’hui, c’est l’anniversaire de la disparition d’Albert. C’est difficile de croire que cela fait 33 ans depuis ce terrible accident. C’est difficile de croire que 20 ans après ce jour-là, je m’entêtais toujours à comprendre tous les détails de cet accident. Mais le fruit de mon obsession était L’effet domino et je ne regrette pas d’avoir écrit ce roman, cette autofiction, même si la réponse a été un peu tiède. Cela faisait partie de ma guérison. Et beaucoup de mes lecteurs m’ont dit que ce roman les avait aussi aidés. Le temps guérit tout. Ou presque tout, plus exactement. Ce matin, j’ai écouté Dirge de Death in Vegas, la chanson qu’Albert avait choisi d’écouter avant de quitter son bureau il y a 33 ans, et j’ai pleuré. Je n’oublierai jamais Albert : il fait partie de ma vie quotidienne, de ma vie ici à Sydney de l‘autre côté du monde. Incroyable ! C’est un comble que j’habite ici dans cette belle maison avec ce cher Joseph et Jinx, notre précieux chat qui dort en boule sur mes genoux. C’est un comble que, aujourd’hui, en plein hiver, à l’occasion de ce 33e anniversaire, le soleil brille et les eaux du port dansent et scintillent sous mes yeux. Je suis arrivée ici grâce au sort ? Ou au destin ? Je ne sais pas. Combien d’événements fortuits se jouent bon gré mal gré dans chaque moment de nos vies, combien de « et si » s’étendent derrière nous, depuis le début des temps ? A quoi sert de les poursuivre ? Mais je suis curieuse. Pour m’amuser ou me tourmenter, j’explore ces « et si » qui m’invitent à imaginer un passé différent.
Si Joseph n’était pas venu à Paris ou s’il n’avait pas assisté à une représentation de Bérénice.
Si mon fils ne m’avait pas donné un billet de théâtre pour mon anniversaire.
Si Joseph et moi n’avions pas été assis sur des sièges adjacents.
Si je n’avais pas laissé tomber mon portable.
Si Joseph ne m’avait pas retrouvée jusqu'à mon appartement pour me le rendre.
Si une publicité incitant les gens à visiter l’Australie n’avait pas été diffusée à la télévision française.
Si Joseph n’avait pas été veuf ou si j’avais été allergique aux chats.
Si Racine n’avait pas écrit une tragédie intitulée Bérénice ou si mes parents avaient choisi de m’appeler Brigitte.

PAR ERIN GABRIELLE WHITE

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Déménagement ou déplacement ?


Finalement, c’est fini. Je suis installée dans ma nouvelle ‘maison’ ? Ou devrais-je dire ‘ma demeure’ ? Est-ce un déménagement ou un déplacement ? Peu importe, ici, le sens de refuge a disparu. Quelle ironie ! Vingt ans après la mort de mon mari dans un accident de moto, je suis obligée de quitter notre maison pour qu’une route soit construite à la place de la maison. La même route qui a causé sa mort. Et, maintenant, je suis ici dans une maison de ville, très près de notre maison de rêve, et avec les quelques seuls objets qui la font vivre encore. Ses gants en cuir avec les tâches des poignées de moto et les presse-livres en forme de moto qui tiennent sa collection de disques. C’est tout ce qui me reste. Le reste, je l’ai donné à la famille de Paul.
Maintenant que vingt ans sont passés, il faudrait que je réfléchisse.
Et si je commençais une nouvelle vie.
Si je commençais à vivre au jour le jour.

Si j’oubliais tout ce que nous avons vécu ensemble.


Si, si, si. Il n’y a pas de consolation.

Ou si je vivais avec les souvenirs chéris.

Lamartine a écrit : « Un seul être vous manque et tout est dépeuplé. » Mais si je peux garder en mon cœur ce qui est inoubliable, même si un seul être me manque, la vie peut continuer.

PAR MERILYN B

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Désastre d’anniversaire

J’ai invité toute la famille pour fêter l'anniversaire de mon petit-fils ainé. Il va avoir douze ans. Il ne me faudrait que deux jours pour tout préparer. La pièce de résistance allait être le gâteau au chocolat sur le thème du Seigneur des anneaux par Tolkien, son livre favori. Je le ferais moi-même si j’avais le temps. La veille, il faisait beau et je passais toute la journée à nettoyer la terrasse, à tondre la pelouse. Tout était propre comme pour un tour du propriétaire, prêt pour une fête sous le soleil. Mais j’étais trop fatiguée pour faire la cuisine. Je me suis entêtée à faire tout moi-même !
Le lendemain matin, je commençais à faire le gâteau. Si j’avais su les problèmes que cela causerait. Si mon auto n’était pas restée chez le mécanicien au moment où je devais faire les courses. Si j’avais fait les courses et acheter le sucre fin et du bon beurre pour une pâte plus légère. Si mon four, toujours fiable, n’avait pas souffert une panne d’électricité quand le gâteau montait. Si j’avais eu plus de temps pour décorer le gâteau, pas seulement avec la figurine de Gandalf avec sa cape posée dans le glaçage épais qui remplissait le trou au centre.
Si le garçon n’avait pas lu un livre au-delà de son âge.
Si j’avais eu plus de onze bougies et si le petit-fils benjamin n’avait pas su compter jusqu’à douze (il avait appris à compter avec Playschool !).
Si les bougies n’étaient pas tombées de travers dans le glaçage mettant le feu à la cape de Gandalf.
S’il n’avait pas plu nous obligeant à déplacer la fête de la terrasse à la salle à manger, sous le détecteur de fumée.
Et le comble, c’est quand l’alarme a sonné et les pompiers sont arrivés.
L’ironie du sort c’est que, pour les deux garçons, c’était le meilleur, le plus mémorable, anniversaire de tous les temps. Au moins le gâteau au chocolat était délicieux et tout le monde en a mangé. Chapeau au chef !

PAR ANGELA LOW

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Une Sagesse rétrospective

Il m’a paru important de penser que le passé est un autre pays où les règles d’aujourd’hui ne s’appliquent pas nécessairement. Après tout, le passé est passé, n’est-ce pas ? Pourquoi alors, après quatre-vingts ans, ne puis-je pas oublier le visage d’un enfant heureux et pourquoi ne puis-je pas renvoyer de mon imagination l’image du corps noyé d’un jeune homme, l’image d’un cadavre que je n’ai jamais vu ? Je vous invite à cette exhumation de cette petite tranche de mon passé pour chercher pourquoi ces souvenirs restent si persistants. J’avais rencontré, Jacques, le sujet de notre enquête, à l’école maternelle, où il me semblait fascinant, parce qu’il faisait des choses ou drôles, ou méchantes, qui souvent méritaient une punition de sœur Bérénice, mais l’insouciance de sa victime ne flanchait pas. En général, à la maternelle et après ça à l’école primaire, Jacques demeurait un des favoris des religieuses, dont la préférence pour les garçons était évidente. Mais Jacques était différent, à l’heure de mamans, une bonne ou le chauffeur de son père arrivait, mais sa mère n’arrivait jamais. Au fil du temps, Jacques a abandonné son rôle de clown de la classe, et il a cessé de tirer les rubans de nos tresses ou voler nos cordes à sauter, et il était apprécié comme élève, amusé et amusant. 

Pendant ce temps, le monde au dehors devenait de plus en plus troublant.
À douze ans, l’épiphanie du lycée arriva pour tous, les filles sont parties chez les nouvelles religieuses et les fils chez les frères ou, pour les familles plus riches, chez les prêtres. Nous nous sommes bientôt faits de nouveaux amis et avons perdu la plupart de ceux qui sont partis pour des écoles différentes. Quelques années plus tard, je venais de finir ma licence, et j’ai vu un petit paragraphe dans le journal qui rapportait la mort d’un jeune homme qui avait disparu en mer d’un paquebot en route vers l’Europe : c’était Jacques. Sans raison. Sans explication !
Et si Jacques n’avait pas été issu d’une famille riche.
Si notre éducation avait été plus inclusive.
Si la société acceptait les préférences sexuelles de chacun.
Si mes compatriotes étaient capables de vivre en harmonie.

Et si notre pays respectait ses premiers habitants. Notre Voix se ferait finalement entendre !

PAR CARMEL MAGUIRE

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