Andrée Chédid

Textes composés par les étudiants
du cours ATELIER DE LECTURE ET ECRITURE CREATIVE,
inspirés par 'L'enfant multiple' d'Andrée Chédid.

La baie

Un matin d’août, très tôt, promener son chien à travers le quartier vers la baie. Traverser la rue tranquille, sentir le bitume mouillé ; cheminer en observant les feuilles arrachées par la pluie le soir précédent, les petites branches éparpillées, les lumières de la rue toujours allumées. Slalomer entre les vieux platanes ancrés sur les trottoirs, leurs branches presque dénudées ; passer devant des maisons toujours sombres, silencieuses, les journaux sur le seuil des portes. Faire des zigzags entre des ruelles inertes sans tomber sur personne ; les poubelles pas encore vidées. Atteindre le sommet de la colline escarpée ; descendre pour redécouvrir la baie calme, les bateaux quasiment immobiles, les voiles déployées ; distinguer les silhouettes des rameurs qui se penchent harmonieusement en avant et en arrière comme une machine bien réglée. Lever les yeux vers le pont géant qui enjambe la baie, voir les premiers rayons du soleil apparaissant au dessus des cordes en acier ; entendre le chantonnement faible des véhicules qui passent. Se planter là pour quelques instants en absorbant la sérénité, l’atmosphère calme, l’air frais.

Zoum !
Un essaim de cyclistes apparut comme par enchantement. Je sautai en arrière en tirant la laisse. Ils passèrent en trombe dans des flaques répandues, comme une unité de combat ; les couleurs criardes des maillots jurèrent avec les tons bleus de l’eau et du ciel sous la lumière faible. Les voix discordantes envahirent la quiétude. Le silence profond fut rompu par le bourdonnement, le brouhaha, le quotidien. Je devins consciente des joggeurs qui passaient par intervalles, tels des sportifs à proximité. Ma rêverie perturbée, je tournai le dos à l’eau et, avec réticence, je rentrai.

PAR KAREN BRYANT

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Maryam

Un matin d’août, se rendre à son travail en traversant Sydney à pied. Découvrir la ville à la pointe de jour ; observer son réveil graduel. S’en imbiber les yeux. S’en remplir les oreilles. Laisser filtrer les bruits croissants. Côtoyer les sans-abris au bord de la rue. Difficile d’admettre leur existence. Bénir le sort de faire partie de cette cité. Oublier parfois d’où apparaîtraient les prochains citoyens aux yeux farouches. Pardonner aux fanatiques de portables qui bousculent les promeneurs. Laisser dépasser les patineurs à roulettes. Éviter les joggers qui manquent de douceur mais qui sont maîtres du monde. Respirer l’arôme de cent tasses de café à emporter. Jouir de la richesse des activités humaines qui surgissent de partout. Ressentir ce face-à-face, chargé de tant de vies. Chanter en dedans. Savourer.

Tout cela n’arrivait pas à Maryam.
En se dirigeant vers son école, la petite fille arborait, depuis les premiers coups de fusil, un air éperdu. Un visage pâle, défait, aux joues creuses, qui coïncidait mal avec son teint lumineux et sa robe éclatante. Elle se demandait si sa salle de classe et ses camarades de classe existaient encore. Les détonations de la nuit ravissaient la vie de ses compagnes et des bâtiments. La joie de la jeunesse l’abandonnait avant d’y accéder. Elle serpentait les ruelles de Mosul sans l’espoir d’une vie riche ou longue, et assurément sans café

PAR CARMEL MAGUIRE

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Le Champ de Mars

Un matin tranquille, juste aux premières lueurs, à l’aube, avant que le soleil ne chauffe le journée, marcher avec son chien et sentir les parfums de la nuit et les fragrances fraiches de la nouvelle journée. L’arôme des baguettes fraîches, les croissants sucrés et les fleurs fraiches qui arrivent chez la fleuriste. Traverser la rue au Champ de Mars et entendre les bruits des sabots des chevaux qui marchent sur les pavés jusqu’au parc verdoyant. Etre tout seul ; les soldats et les chevaux fiers reniflant la fraicheur du matin. Pour chacun, c’est la stimulation des sens olfactifs qui peignent le tableau du matin. Lentement et avec grâce, les autres arrivent, pour courir, se promener, parler, avec ou sans chiens ; tout poursuit son rituel matinal. C’est comme un spectacle de ballet.

Un coup de tonnerre!
Les camions de construction sont arrivés ; ils ont circulé partout dans le parc. Ils se sont arrêtés sans cérémonie dans un espace près du monument en verre pour commémorer la paix. Il y avait beaucoup de poussière. Les ouvriers, exubérants et irritables, avec leurs grandes gueules donnaient des instructions et ils se déplaçaient très lentement. Ils enlevaient les matériaux en métal ; quel bruit ! C’était pour la construction d’une scène pour un concert de rock. Les ouvriers parlaient très bruyamment à personne en particulier, et ils avaient toujours une cigarette avec une mauvaise odeur dans la bouche. Les bruits et dérangements étaient augmentés par une radio, à plein volume qui jouait de la musique rock. La tranquillité était brisée, les chevaux et les soldats couraient si vite que le bruit de leurs sabots devenaient un fracas agressif. Les chiens baissaient leurs queues et marchaient vite pour rentrer chez eux. Pour nous, les rêves du matin étaient brisés.

PAR JK

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A l’Ouest

Un matin d’août, se rendre à l’ouest. Prendre un vol, louer une voiture, conduire encore plus loin à l’ouest. Arriver au petit village de son enfance – au-delà de nulle part. Cent habitants, tout au plus. Redécouvrir cet endroit perdu après vingt ans – pour vendre la maison de la famille à un quidam. Garer sa voiture à l’entrée de la rue principale. Descendre et regarder d’un bout du village à l’autre le long de cette rue. Sentir la poussière rouge et le parfum de l’arbre Gidgee après la rosée d’un matin hivernal. Entendre le silence, rompu seulement par l’aboiement d’un chien au loin – pour protester contre les limites de son existence dans ce trou sans doute. Ressentir l’immobilité. Traverser la rue et suivre le sentier poussiéreux qui mène à la maison délabrée. S’arrêter devant la petite école, deux pièces et une véranda, entourée par un champ de pierres et d’épines, la seule ombre fournie par un acacia difforme au coin du champ.

Perdue dans ces sensations et ces souvenirs, tout à coup je suis au seuil de la maison.
C’était comme si quelqu’un m’avait lancé un seau d’eau froide au visage. Je me suis rendu compte que j’avais mal mesuré l’importance de cette visite. Le jardin, envahi par la végétation, était essentiellement le même : de chaque côté du sentier, un parterre des roses délimité par une bordure de pierres ; des hortensias plantés à côté de l’escalier qui donnait accès à la veranda ; la glycine poussait le long de la véranda, accrochée au moyen d’un fil de fer rouillé, horizontalement. Un seul pas sur la véranda et je savais que cette maison gardait depuis toujours, en isolement solitaire, tous les souvenirs d’une famille : souvenirs de désirs, de batailles, d’espérences, de colère, de gaieté, de tendresse, de révolte, de rêves… y compris mon rêve infantile d’un prince charmant qui surgirait à travers la porte et qui m’emporterait loin de cet enfer ; la réalisation aussi que je n’irais jamais au bal et que les douze coups de minuit ne sonneraient jamais pour moi. Oui, les moyens de m’échapper seraient seulement en moi.

PAR CM

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Venise

Un matin d’août. Absorber l’histoire de Venise. Regarder flamboyer l’Ange d’or du campanile de Saint-Marc. Être ébloui par les couleurs, le rouge des tulipes, le rose des vestes des adolescents qui menaient les barques sur le Canal, le violet du soleil. S’immerger dans les œuvres de Titien, les peintures de Giotto. Percer une attention qui semblait participer à la création même. Chuchoter une promesse de joie. Esquiver une nouvelle trace magique, serpentée, de la gondole, avec une main imaginaire. Sentir la chaleur du soleil. Eprouver la magie du hasard. Trouver les perles du paradis. Révéler la littérature, la vraie vie. Célébrer le jour.

Conversion du regard !
Tout d’un coup, une Venise délestée, dépourvue de sa majesté. Pourquoi cette irruption ? Pourquoi l’avaient-ils prise ? Depuis son enfance, Mathieu avait toujours rêvé de visiter Venise. Sa vocation d’écrivain semblait parfaitement à sa place dans cette ville. A l’âge de trente ans, grâce à un petit héritage de sa tante, il avait finalement commencé son voyage rêvé. Il trouva un petit hôtel, un peu fatigué, mais charmant, où il s’installa. Ce séjour à Venise n’avait guère commencé lorsqu’il rencontra Valentina, une belle fille russe, aux yeux captivants de porphyre, une beauté qu’on pouvait comparer aux peintures qui l’entouraient. Une beauté qui l’avait complètement bouleversé. Mathieu se souvint du moment lorsque, après seulement trois jours de rencontre, ils prirent leur diner à l’hôtel sur le petit balcon. Assis à la table de fer forgé, incrustée au hasard de petits anges qui semblaient augurer une promesse de joie. Au moment où il admira sa façon de s’essuyer les lèvres, parfaitement arrondies, sans laisser de trace sur la serviette de Frette, trois hommes entrèrent dans leur chambre, se précipitèrent vers Valentina, l’arrachèrent sans un mot, sans explication.

Pas de réponse à la conciergerie ; Mathieu se précipita dans la rue. Il commença sa route au bord des petits canaux, cherchant en vain un moyen de trouver du secours. Quelque chose l’arrêta.Tout d’un coup, il vit sa réflection dans la pénombre du canal. Ses cheveux abondants ondulés, ses yeux pénétrants et bleus d’améthyste, son apparence séduisante, contribuant à des portes ouvertes aux aventures. Soudain, conversion du regard. D’où venait cette curieuse sensation d’une extase inexplicable ? La main magique de Venise l’avait emporté dans un ailleurs spatial, où il n’y avait pas besoin d’explication : où le monde banal était remplacé par le monde de la contemplation. Son vrai voyage littéraire avait commencé.

PAR AMANDA

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La traversée

Un matin d’août, se rendre à son travail en prenant le ferry. Descendre à grands pas la rue raide : apercevoir les magnolias géants offrant leurs calices de lumière rose. Partager une brève plaisanterie avec les costauds qui guident les ferrys. Se tenir sur le pont : admirer les maisons en grès, les piscines étincelantes, les taches de vert, tout ce paysage flottant. Savourer le sel dans les brumes matinales ; sentir contre les joues le vent qui fait voler les cheveux. Respirer la fraîcheur du large océan. Bénir le destin de faire partie de cette ville de rêve. S’ouvrir aux rythmes fluctuants de son cœur. Respecter son pouls. L‘aimer.

Tout cela n’arrivait plus à Joséphine !
Chaque matin, depuis quelques mois, la jeune femme, vêtue d’un manteau noir, les yeux fixés sur le trottoir, se dirigeait lentement vers le quai branlant. Sans regarder les autres passagers, elle s’installait, toujours à la même place, à l’intérieur de la cabine, près de la fenêtre où elle restait pendant toute la traversée, presque immobile, les yeux fermés. De temps en temps, elle levait un mouchoir mauve aux lèvres et s’essuyait le front. C’était là son seul mouvement. Le reste du temps, elle gardait ses mains délicates posées sur son ventre, une modeste bague en platine à peine visible sur l’auriculaire. A première vue, elle ressemblait à une statue mais, en la regardant de plus près, on découvrait que son pied gauche, par intervalles, tapotait nerveusement le sol et que de longues mèches de cheveux acajou commençaient à s’échapper de son chignon. De petits sourires et des froncements de sourcils traversaient son visage, et les mouvements de ses lèvres trahissaient un dialogue intérieur intense. A travers tous ces tremblements et tressaillements, ces tics presque imperceptibles, on devenait, sans aucun doute, témoin d’une pièce de théâtre complexe et subtile. Mais quel drame perturbant et fascinant se jouait-il dans le cœur de Joséphine ?

PAR ERIN GABRIELLE WHITE

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Un matin d’août

Un matin paisible d’août : se promener à Avignon en pleines vacances estivales, de la gare routière au pont célèbre. Flâner le long des rues médiévales, toutes mouillées et luisantes après l’arrosage matinal. S’émerveiller devant les édifices du dix-septième siècle. Se balader autour du palais des Papes. Déambuler dans le marché en respirant le parfum des produits frais, les poissons de la Méditerranée, les cerises de Céret, les olives du Luberon, les melons de Cavaillon. Admirer ces denrées rutilantes de la région : argentées, jaunes, orange, rouges, aubergine. Acheter un petit fromage de chèvre. Écouter les cloches, le cours d’eau de la roue hydraulique de la rue des Teintureries. Goûter une glace à la lavande chez La Princière avant de s’installer à l’ombre d’un platane colossal sur la place des Corps-Saints.

L’arrivée d’une troupe de jeunes comédiens brisa le calme et la sérénité de cette scène tranquille.
Les comédiens s’installèrent près de nous pour une petite scène d’improvisation : c’était un groupe débonnaire qui s’en donnait à cœur joie. Fagotés de vêtements de velours, style moyen âgeux – bariolés, panachés, bigarrés – ils étaient sur le qui-vive et très attentifs à nos désirs. Ils nous invitaient à leur donner un mot pour ensuite nous le présenter en performance. On proposa « fête ». L’ambiance devint électrique. Soudain, on était entourés de comédiens qui gambadaient, qui caracolaient comme des agneaux, qui riaient. Ils faisaient mine de nous offrir un verre et de trinquer. Les garçons ôtaient leurs chapeaux au fur et à mesure que les filles nous faisaient une révérence. Ils avaient l’air de bien s’amuser et il faut dire qu’ils réussirent à nous enjôler en quelques secondes. Donc, en un clin d’œil le spectacle se termina sous les applaudissements. On fit nos adieux aux comédiens pour leur permettre de poursuivre et de se rassembler au prochain square. Ah, l’été à Avignon !

PAR ROSE CHENEY

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Le long de la côte Est

Un matin d’août, tard dans le mois, quand les vents soufflants s’arrêtent et le soleil se montre à travers les nuages froncés, se promener le long de la côte Est de Sydney, finissant sur la pointe de Dover Heights ; se tenir sur la falaise et regarder vers le bas dans les eaux moussantes et tourbillonnantes de l’océan ; rester quelque temps assis sur un rocher ; respirer l’air frais et salé ; entendre l’appel d’un oiseau, le voir survoler ; sentir qu’on fait partie de cette petite poche de désert. Méditer.

Une nuit d août, un personnage solitaire apparut près de la clôture au bord de la falaise.
Il regarda fixement l’océan et commença à faire les cent pas le long du bord, comme une âme perdue. Tout était silencieux, sauf le grondement de l’océan, sombre, sauf les lumières à l’intérieur des maisons dans la rue. Allait-il prendre une décision ? Un autre personnage apparut, debout toujours, regardant pendant un certain temps. Puis il avança graduellement plus près et parla avec l’énergie donnée à ceux qui comprenaient la turbulence de l’âme. L’autre s’arrêta et écouta. Les heures passèrent. Le jour se leva et les affaires de la vie reprirent.

PAR MARGARITA

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Sous un froid soleil

Un matin d’août, aux premières lueurs du jour, se retrouver en compagnie des autres lève-tôt, chaudement vêtus, dans le parc. Avoir une certaine complicité avec eux sans vraiment se parler. Gigoter en attendant quelques trainards. Marcher à vive allure à travers le parc jusqu’à l’Opéra, en passant par le Jardin botanique. Remarquer un sans-abri qui invective le monde à tue-tête, en titubant vers son banc. Fouler les feuilles aux pieds. Ralentir au monument aux morts : réfléchir à la perte insensée de nos jeunes soldats : discerner la lumière rasante qui se transforme en une pluie d’étincelles sur le plan d’eau. Humer l’air frais et plus tard flairer la terre humide dans le Jardin. S’émerveiller devant les grands arbres avec leurs énormes troncs : des ellipses bleutées scintillent sous le froid soleil, incrustées dans la verdure. Stimuler tous les sens – que la nature est magnifique ! Le ciel commence à s’assombrir, le clair-obscur changeant les couleurs vertes. Tant de beauté !

Soudain, il plut à torrents.
Le groupe se dispersa précipitamment dans tous les sens, hurlant leurs « à demain, s’il ne pleut pas. Bonne journée ! ». Le visage balafré de pluie, elle entra dans le café le plus proche de l’Opéra. Les arômes du café et des pâtisseries si fortes et attirantes. Plongée dans ses réflexions, elle fut contente d’être seule maintenant et de réfléchir sur les quelques semaines passées où ces étrangers absolument inconnus l’avaient incluse dans leur petit groupe de marche matinal. Leur gentillesse et leur compréhension quand elle était déstabilisée et s’effondrait en larmes : sensibles au moment où il fallait se taire. Leur simple humanité. Accablée de grosses responsabilités pendant si longtemps, elle entrevoyait maintenant un avenir prometteur malgré la mort de son mari chéri. Son cœur fut soulagé.

PAR DC

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