Alphonse Daudet

Textes composés par les étudiants
du cours ATELIER DE LECTURE ET ECRITURE CREATIVE,
inspirés par 'Tartarin de Tarascon' d'Alphonse Daudet

EXTRAIT #1

Le Baron Donald de Queens

Ma première visite chez le Baron Donald de Queens (1) dans son domaine de Mar-a-Lago en Floride (2) était mémorable. Le Baron acquit le manoir de 126 pièces en 1985 et conserva heureusement la majeure partie de l’extérieur d’origine, mais il ajouta une grande salle de bal. L’architecture de la villa suivait un style hispano-mauresque avec un extérieur en pierre calcaire, des tuiles et des sols en marbre.

De l’entrée principale avec ses magnifiques carreaux espagnols jusqu’à la grande salle de bal, le bâtiment avait l’air héroïque, opulent et prétentieux.

Ô le jardin du Baron Donald !... On y trouvait une petite forêt avec quelques arbres ; des palmiers, des eucalyptus (3), des séquoias (4). Et aussi un verger avec un millier de pommiers en fleurs (5). Le doux parfum des fleurs de cerisier dans la partie la plus formelle du jardin avec les azalées, les roses et les hortensias offrait un arôme délicieux et un spectacle magnifique. Il y avait aussi des portraits de lui dans les buissons de topiaires. Pensez quel sentiment ma visite me donna !

Imaginez-vous un hall d’entrée spectaculaire avec des miroirs aux proportions épiques. Cette célèbre partie de la villa était inspirée de la Galerie des Glaces à Versailles ; à côté de chacun des dix-sept miroirs dorés se trouvait une photographie d’un leader mondial. Sous chaque image, il y avait un écriteau décrivant sa relation avec le Baron Donald. Parmi les dirigeants figuraient des présidents mondiaux actuels tels que Vladimir Poutine (6), Kim Jong Un (7) et Xi Jinping (8). L’écriteau pour Kim Jong Un disait :


Cher ami, sage leader

et pour Poutine,

Un de mes meilleurs supporters.

Nous rencontrâmes le baron dans son bureau, il était vêtu de son costume bleu et de sa cravate rouge habituelle, ses cheveux était d’une couleur blond rougeâtre. Son visage était bronzé et il y avait une étrange odeur non-identifiable. Il avait un grand verre de coca-cola et une assiette de biscuits devant lui sur une table ornée d’or et de marbre. Son sourire raide était froid.

Cet homme, le Baron Donald de Queens, imprésario, entrepreneur, escroc, menteur, survivant, un pur sataniste.

(1) Le baron reçut son titre de monarque obscure d’Europe centrale ayant besoin d’argent
(2) Mar à Lago, c’est un domaine avec une histoire intéressante
(3) L’eucalyptus, gumtree
(4) Le sequoia, redwood tree.
(5) Malus hupehens
(6) Le président de Russie.
(7) Le président de Corée du Nord  
(8) Le président de Chine.

PAR ANN B

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Une vie fleurie

Dans une rue paisible, dans un coin d’une banlieue nouvelle, il y avait une toute petite maison conçue par mon oncle architecte pour sa belle-mère, ma grand-mère, il y a plus de soixante ans. Une minuscule maison blanche, deux chambres, une salle de bain, une cuisine et un salon. On arrivait par le sentier à travers le jardin fleuri. La porte d’entrée se trouvait à l’arrière d’une modeste terrasse ensoleillée, de côté, orientée au nord. Il n’y avait pas d’allée, pas de garage car elle ne conduisait jamais. La porte bleue était flanquée de deux grands pots, faits d’un ancien tonneau, dans lesquels poussaient des petits arbres de kumquat, Fortunella japonica, qui donnaient des fruits pour la marmelade. Un chat dormant au bon soleil. Je me souviens de Hi Jinx, une chatte tigrée, nommée d’après le cheval qui était le vainqueur de La Coupe de Melbourne en 1960, avec une cote de 50 à 1, mais au fil des années il y eut plusieurs autres chats.

Dans le jardin de devant poussait des fleurs normales, communes dans tous les jardins locaux : des roses, des marguerites, des fleurs de lis, des violettes dans l’ombre, des coquelicots, des sauges, un rosier. Ce rosier, très florifère, était fort admiré, mais son nom était oublié ; la plante avait été achetée chez le marchand de légumes. Le jardin derrière la maison était long et étroit. Sous le soleil, près des marches, on trouvait du persil, des fraises, quelquefois des pois de senteur. Mais en regardant au bout du jardin !… un énorme arbre qui dominait tout, un arbre héroïque qui jetait de l’ombre sur tout, un grand chêne, Quercus robur, ‘an English Oak’, un arbre remarquable et rare dans la banlieue de Strathfield. Ma fière grand-mère avait subtilisé un petit gland de Vaucluse House.

Après le tour du jardin, nous nous retrouvâmes dans le salon. Quelques petits meubles importés d’Angleterre se trouvaient ici… le placard d’angle sur le mur, le tabouret de laiton, même des tableaux encadrés de grandes cathédrales, un dessin de York Minster par l’arrière-tante Cleopatra, un jardin du Pays de Galles avec un sentier sur le côté. Un petit radiateur au gaz entouré par des étagères pleines de livres, des livres de poche Penguin avec leur couverture orange. Sur la cheminée, d’étonnants portraits photographiques de ma mère et ma tante, maquillées et illuminées comme des stars de cinéma des années quarante.

Le thé de cinq heures fut servi sur un plateau… la théière en porcelaine, le pot au lait avec son couvercle en filet avec une bordure perlée, le grand sucrier en argenterie, une passoire à thé, des tasses et leur soucoupe, et des assiettes en porcelaine fleurie, des cuillères à thé d’apôtre. Sa spécialité, des sandwiches au concombre, des tartelettes de fruits secs avec leur glaçage rose, et des ‘Welsh cakes’, des gâteaux gallois traditionnels cuisaient dans une poêle.

Ma grand-mère était galloise. Elle arriva en Australie après la première guerre mondiale, comme mariée de guerre. Elle était un petit bout de femme, mince, élégante, gentille, fougueuse, courageuse. Imaginez-vous, pour atteindre les placards du haut dans la cuisine, elle ouvrait les tiroirs et montait dessus comme sur une échelle. Elle devint veuve avec trois jeunes enfants, elle travaillait dans le centre-ville. Pendant la guerre, elle vécut en France avec les soldats, et travailla comme sténodactylo. Là, elle commença à fumer, et à parler français. Elle dut arrêter de fumer à l’âge de soixante-dix ans après une opération pour un cancer du poumon. Puis elle commença à apprendre le français à l’Alliance Française avec sa voisine Mme Braun. Elle mourut à l’âge de quatre-vingt-dix-huit ans, toujours lucide, toujours avec des cheveux permanentés.

PAR ANGELA LOW

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L’art pour tous

Le changement de saison arriva souvent sans préavis en Amérique du Nord. Ainsi lorsque le vent fort et la pluie froide interrompirent ma première exploration de la ville de Boston, je me souvins des mots de mon hôtesse ce matin-là : « Il fait toujours chaud et sec chez Mme Gardner ». Ainsi, après avoir abandonné le Back Bay venteux et terne, une ancienne zone marécageuse nommée Fenway, j’entrai dans l’Isabella Stewart Gardner Museum, et je me trouvai dans le jardin d’une cour d’un palais vénitien du quinzième siècle qui en effet était chaud et sec, recouvert d’une verrière. Sous mes pieds, une étendue de carreaux italiens qui imitaient la beauté du tapis persan le plus exquis, et les arbustes à fleurs et les topiaires créaient un espace magique, abrité par tous les temps. Comment, au commencement du dix-neuvième siècle, avait-on pu construire ce jardin et, au-delà,  ce palais ?

Je découvris très vite que le palais ressemblait plus à une résidence qu’à un musée. L’éclairage n’était jamais fort, les dimensions des salles souvent modestes, il n’y avait pas d’étiquettes et d’écriteaux. Mais la collection était éblouissante : peintures, sculptures, meubles, étoffes, dessins, argenterie, céramique, manuscrits enluminés, incunables. Quand les yeux strabiques d’un cardinal apparurent à ma vue, je sus que j’étais arrivée dans la salle Raphaël, où Son Éminence, Tommaso Inghirami, le bibliothécaire du pape (il Bibliotecario di Papa) probablement en 1510, m’attendait sur le mur. La provenance des objets s’étendait depuis la Rome antique, l’Europe médiévale, la Renaissance italienne, l’Asie, le monde islamique, jusqu’au dix-neuvième siècle en France et en Amérique. Mais la naissance de cette folle merveille était l’œuvre d’une seule femme, capable de subjuguer un mari riche, un architecte fameux, des artisans et des ouvriers supervisés, des artistes et musiciens, même Henry James, le lion littéraire de la ville.

La vie d’Isabella, née en 1840 à New York, de parents aisés et convaincus des droits des femmes, mariée à vingt ans avec un banquier d’un an plus âgé fut bouleversée par la mort de leur garçon de deux ans en 1865. Incapable de concevoir d’autres enfants, elle avait trouvé sa consolation et un objectif dans la vie : l’art, les artistes et une détermination fringante de partager l’expérience de l’appréciation de l’art. Ses goûts et certaines excentricités ébouriffaient quelquefois les plumes de la haute société de Boston. Ces traits semblèrent plus notables après la mort de son mari en 1898. Imaginez l’horreur des riches et célèbres en 1912 lorsque, âgée de soixante-douze ans, Isabella apparut au théâtre portant un bandeau « Oh you Red Sox », en soutien pour son équipe new-yorkaise qui avait gagné le tournoi de base-ball.

Les deux portraits de notre héroïne, « Isabella Stewart Gardner » par John Singer Sargent en 1888 et « Isabella Stewart Gardner à Venise » par Anders Zorn en 1894, offrent peu d’indices sur le caractère de cette femme remarquable. La réalité de la force de sa vision est néanmoins partout dans ses réalisations. En donnant en cadeau des bâtiments et un million de dollars dans son testament, elle accomplit son rêve de donner à tout le monde l’opportunité de voir l’art le plus beau. On dit que les structures ajoutées par Renzo Piano en 2016 sont excellentes, mais je soupçonne qu‘Isabella ne pardonnerait jamais aux criminels le vol en 1990 des six Degas, trois Rembrandt parmi treize autres objets précieux. Des œuvres perdues à tout jamais, en dépit d’offres de récompenses immenses.

PAR CARMEL MAGUIRE

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Une coiffe mythique

Bordant la cour de récréation de notre école se trouvait un petit bâtiment en bardage, gris et trapu. Cette humble structure, autrefois un garage, était le presbytère de notre vénéré curé, le père Frawley. De l’autre côté de cette même cour se trouvait l’imposante église de briques rouges avec son sanctuaire de marbre au fond duquel se trouvait la simple sacristie où dormait le bon prêtre. Ces bâtiments, comme le père Frawley lui-même, faisaient partie de mon enfance.

Derrière le soi-disant presbytère s’élevaient quelques arbres dont un abricotier (Prunus armeniaca) et un mûrier (Morus rubra), généreux géants qui donnaient une ombre bienvenue pendant l’été dans le Queensland. Et l’ombre n’était pas tout ce qu’ils donnaient !... Bien des weekends, mes amies et moi, nous nous dirigions vers ces arbres où nous cueillions goulument des mûres rouges et des abricots ronds et dorés comme le soleil d’hiver. Un tel exploit était, bien entendu, strictement interdit !... Mais si nous étions surprises en flagrant délit, nous avions toujours une excuse toute prête : nous devions cueillir des feuilles pour nos vers à soie affamés !...

Je me souviens bien de mon premier aperçu de l’intérieur de la demeure du père Frawley. C’était un samedi après-midi ensoleillé, il y a plus de 70 ans, où ma meilleure amie, Anne et moi décidâmes, sur un coup de tête et dans l’espoir d’une friandise, de rendre visite à notre curé. Lorsque nous nous présentâmes devant sa porte ouverte, le brave homme nous invita, sans hésitation, dans son presbytère (en réalité un atelier) et nous offrit un verre de sirop d’orange. Nous nous trouvions dans une pièce ombragée avec une image du Sacré-Cœur accrochée à un mur et un crucifix à un autre, un bréviaire usé sur un prie-Dieu et, dans le coin, une statue de la Vierge Marie avec une douce lumière bleue placée devant elle. Des piles de papiers étaient empilées pêle-mêle sur le bureau et là, au milieu de tout ce fatras, gisait la coiffe familière du curé. Imaginez notre surprise ! Nous étions habituées à voir le père Frawley portant ce couvre-chef, une partie de son uniforme. Qui était ce curé sans sa coiffe mythique ?

Nées pendant la Seconde Guerre mondiale et ayant grandi pendant les années qui la suivaient, nous ignorions étrangement son impact sur la vie des adultes qui nous entouraient. Plus tard, nous apprîmes que notre curé était, autrefois, un aumônier militaire, que son chapeau était un casque colonial porté sous les tropiques et que sa tenue perpétuelle (grosses bottes, veste et pantalons gris et légers), provenait des surplus de l’armée. Le curé, à la voix bourrue, qui nous saluait régulièrement dans la cour de récréation, avait un passé curieux.

PAR ERIN GABRIELLE WHITE

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EXTRAIT #2

De ce qui se passa dans la maison de mon ancienne amie d’école la veille de son départ pour un exploit dans un pays lointain

Je n’oublierai jamais ce jour-là en 1975. Ma chère amie, Gabrielle et son mari, Joseph, se préparaient à partir le lendemain pour leur premier voyage à l’étranger. Ils planifiaient un projet dont ils parlaient depuis plus d’un an : après une semaine ensemble dans le sud de la France, terre mythique pour nous, Australiens, Joseph partirait en pèlerinage à pied sur des centaines de kilomètres jusqu’à Saint-Jacques de Compostelle sur la côte ouest de l’Espagne et Gabrielle resterait en pension chez une dame âgée qui ne parlait pas un mot d’anglais, dans un petit village près de Carcassonne, et suivrait des cours de français avec une jeune professeure. Entre temps, j’habiterais chez eux, à Sydney, pour m’occuper de leurs deux chiens choyés, Corey et Scoobs, pendant les six semaines de leur absence. Ce serait un défi pour chacun de nous cinq, trois humains et deux chiens !
Arrivée chez eux en fin d’après-midi, j’entrai par la porte du fond comme d’habitude. Je trouvai Gabrielle dans son bureau… occupée à épousseter ses livres !
- Gabrielle, que fais-tu ? L’avion décolle demain matin ! A 9 h ! Tu as oublié ?
Mais elle m’ignora et continua à agiter son plumeau.
- Tu devras mettre des gouttes dans l’œil gauche irrité de Scoobs chaque soir et Corey doit recevoir son traitement mensuel contre les puces ce lundi.
Peu étonnant que quelques-unes de nos amies pensaient que Gabrielle avait des toiles d’araignées dans la tête. « Mais comment pourra-t-elle survivre seule dans un autre pays ? »
Puis, entendant Joseph m’appeler d’une autre pièce, je laissai Gabrielle marmonner ses instructions et je le rejoignis. Il était en train de cocher les articles d’une longue liste : 4 chemises à manches longues à séchage rapide, 4 paires de chaussettes épaisses à séchage rapide, 4 paires de caleçons en coton à séchage rapide, bouillotte, savon, brosse à dents, dentifrice, déodorant, laxatif à action rapide, pansements, comprimés contre les brûlures d’estomac, 6 mouchoirs, un pull bleu en laine, allumettes, corde à linge et pinces… La liste continuait sur une autre page. Sur le côté gauche du lit se trouvaient tous les articles de la liste en tas bien rangés. Sur le côté droit, celui de Gabrielle, se trouvaient quelques livres et un chapeau cabossé.
Dans la cuisine, je découvris une autre liste, celle-ci écrite de la main de Gabrielle, intitulée CONTACTS ESSENTIELS. Je la parcourus des yeux : vétérinaire habituel, vétérinaire du weekend, voisins avec chiens, serrurier, plombier, électricien, voisins avec chats, expert en attrape-possums… Toutes les éventualités étaient prises en compte, mais serait-elle dans l’avion à 9 h demain ? Voulait-elle vraiment partir ?
Je fis mes adieux et m’esquivai par la porte du fond. Le crépuscule était doux et les kookaburras riaient en se souhaitant « bonne nuit » dans l’eucalyptus géant du jardin. A mon oreille, leurs cris semblaient extraordinairement exotiques dans notre propre pays lointain.

PAR ERIN GABRIELLE WHITE

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Quand la chaleur m’enveloppa comme une couverture chaude et mouillée

Malgré le départ prolongé de mes amis en Europe, ou le mariage de mes contemporaines pendant les années soixante du vingtième siècle, je restais calme. La vie n’était pas rose, mais elle était pleine d’amusement. Comme John Keats, cent cinquante ans plus tôt, l’envie d’une vie de sensations au lieu de pensées profondes m’arriva sans préavis à Canberra un après-midi d’automne. Des amis d’une classe de russe m’arrêtèrent en route vers mon appartement pour me présenter leur visiteur qui ne pouvait pas recruter de bibliothécaire pour son organisation internationale à Bangkok. Ainsi, le lendemain, j’étais nommée à Bangkok pour deux ans par le ministère des Affaires étrangères. Il fallait partir dans quatre semaines. Beaucoup de temps pour des inquiétudes majeures !
Une amie irlandaise, qui n’avait peur de rien ni de personne, s’exclama : « C’est un lapin ! » Un troglodyte au bureau annonça : « Ce n’est pas un poste pour une femme ! » Dans ma famille à Brisbane, ma mère redoublait de prières à tous ses saints favoris et mon père essayait de convaincre le voisinage que le rang de mon poste était égal à celui d’un ambassadeur. Papa acheta aussi des étiquettes en cuivre avec mon nom, tous mes prénoms et mon adresse gravés en or. Elles semblaient un peu pathétiques sur mes malles modestes.
Je devais emballer tous mes livres favoris, des océans de crème pour me protéger du soleil, une capeline, des parasols, des sandales, des robes en coton, des maillots de bain, et la petite robe noire obligatoire. Grâce à la femme d’un diplomate qui avait de l’expérience, je compris que je devais commencer mon aventure à Singapour pour acheter d’autres nécessités, une ménagère pleine, au moins vingt-quatre verres, et assez de vaisselles pour servir un dîner pour douze personnes, et beaucoup de linges de table. Singapour me donna mes premiers amis chinois et il n’y avait rien que leur entreprise, la Nanyang Trading, ne puisse me fournir.
Avec une malle de plus, je commençais la dernière étape de mon voyage. Je me sentais submergée par le spectacle, le bruit et les odeurs de mon premier goût d’Asie. A l’aéroport de Changi, parmi les achats de dernière minute, je me rendis compte que j’avais perdu ma carte d’embarquement. Affolée de penser à la nécessité de demander une autre carte, j’essayais de me cacher derrière une colonne pour préparer mon apologie pour la perte, sincère, mais pas servile. Soudain, la carte tomba de ma bouche, elle était serrée entre mes dents.
Deux heures plus tard, ayant atterri à Bangkok, je me demandais ce que j’avais fait quand soudain la chaleur m’enveloppa comme une couverture chaude et mouillée.

PAR CARMEL MAGUIRE

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Une main pour toi et une main pour le navire

En 2007, le musée offrait un voyage en Antarctique. Je désirais tant y aller, une des choses sur ma liste depuis longtemps, pour voir le grand continent blanc au bout du monde, pour voir les animaux marins, les oiseaux, les manchots, les stations de recherche, l’histoire des premiers explorateurs… mais le voyage à travers le grand océan du sud, houleux, menaçant, m’effrayait. Le débilitant mal de mer était au premier plan de mon esprit, et je me méfiais de l’intense froid sur le continent, alors que chez moi il faisait chaud et j’étais heureuse avec mes livres à lire, ma famille tout près, le café avec mes amies, même la bonne série télévisée, la fiction que j’étais en train de regarder, la wifi fiable, et surtout un sol plat qui ne bougeait pas. Mais quelle chance de faire cette aventure. Je m’inscrivis.
Une amie qui avait fait le même voyage récemment me donna des conseils pour les vêtements nécessaires : des sous-vêtements chauds, des pantalons chauds sous un pantalon imperméable, un pull en laine, une doudoune, une paire de chaussettes légère, une paire de chaussettes épaisse, des grandes bottes, un bonnet en laine, une écharpe qui pouvait couvrir le visage, une grande veste imperméable avec capuche, deux paires de gants, une paire légère, une autre imperméable, des lunettes de soleil et, en plus de tout, un gilet de sauvetage. Il fallait porter tout cet habillement pour chaque débarquement, pour rester en sécurité parce que le temps pouvait changer rapidement. Mon amie fit une compétition avec un homme pour déterminer qui portait le plus de vêtements : « J’étais la gagnante parce que sous tous les vêtements, je portais un soutien-gorge ! »
Les préparatifs étaient complexes. Des vêtements pour les premiers jours en Amérique du sud, en été, séparés des vêtements pour le navire. Mes livres sur les oiseaux de mer, sur les baleines et dauphins, mon appareil-photo et son cordon de recharge, et les vêtements, étaient emballés et etiquettés

Angela Low
Nécessaire de voyage

La pharmacienne me donna de bons conseils pour éviter le mal de mer. J’achetai deux sortes de médicaments, du gingembre, même des bandes pour mes poignets qui appliquaient de la pression sur les points d’acupuncture, et je ne crois guère en l’acupuncture. Les autres me conseillaient de regarder intensément l’horizon en plein air si je souffrais de nausée. Et surtout quand la mer serait houleuse .
- Une main pour toi et une main pour le navire ! Le mantra des matelots.
Ainsi étais-je prête pour l’aventure de toute une vie.

PAR ANGELA LOW

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Parfois les projets de voyage tournent mal !

L’exercice financier était terminé. Judy réalisa qu’elle n’était pas partie en vacances depuis plus d’un an. Lorsqu’elle rencontra sa collègue et amie Anna ce soir-là pour prendre un verre, elle admit ce fait plutôt stupide.
— Je suis épuisée ! J’ai besoin de vacances. 
— A mon avis, tu devrais faire un voyage ou une croisière dans une destination exotique… comme l’Antarctique.
 Anna se souvint qu’elle avait envisagé une telle croisière l’année précédente, mais Covid avait interrompu le projet. Elle avait encore les brochures qu’elle donna à Judy.
 Elle lui fit remarquer : « Un voyage en Antarctique serait incroyable, et certainement exotique ! »
 - Tout à fait, regarde, il est connu comme le continent blanc.
 Au cours des jours suivants, en étudiant les brochures et en cherchant plus d’informations sur Internet, Judy devint plus enthousiaste. Elle imagina toute la faune qu’elle pourrait voir : les pingouins en smoking (1) marchant en formation, les léopards de mer, gros et paresseux se dorant au soleil sur les rochers en attendant un dîner de poissons, les phoques plus agiles se préparant à plonger dans l’eau glacée pour attraper leur repas. La région était célèbre pour ses groupes d’orques et de dauphins. La beauté des glaciers, des montagnes vertigineuses et des magnifiques icebergs restait captivante. Après avoir réfléchi à l’équipement qu’elle emporterait, Judy remarqua que la brochure énumérait les vêtements recommandés. En tête de liste, un anorak (2), puis un pantalon imperméable, des pulls d’hiver, des chaussettes et sous-vêtements en laine, des gants, un pyjama en laine, des pantoufles, un bonnet, une écharpe et des bottes imperméables. Elle détestait le froid et préférait les vacances d’été. Elle détestait aussi devoir transporter tous ses comprimés et produits cosmétiques dans un petit sac car ils pourraient couler sur ses vêtements. La compagnie de croisière insistait que chaque invité porte une trousse de premiers secours contre les morsures de phoques : les anti-venins et les défibrillateurs. Judy était surprise et plutôt alarmée...
Elle se souvint qu’une autre amie avait fait un vol d’excursion au-dessus du continent blanc. Le voyage avait duré toute une journée mais en quatre heures, elle avait vu les paysages de l’Antarctique à moitié prix !

(1) Leurs plumes ressemblent à une veste de soirée. (2) une parka.

PAR ANN B

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EXTRAIT #3

Le retour de Tartarin

Tartarin marchait vers la maison du baobab, entouré par les Tarasconnais, suivi par le chameau. Bravida à sa droite, Costecalde à sa gauche, et puis la foule qui avalait goulûment chaque mot. Tartarin commença le récit de ses grandes chasses :
- Figurez-vous, disait-il, qu’un certain soir, en plein Sahara….
Tartarin décrivit la scène en grands détails : le désert sablonneux parsemé de plantes étranges, sa marche à longues enjambées, l’imminent coucher de soleil, la température qui baissait, la lumière faible qui rendait le paysage flou, le fidèle chameau à ses côtés qui plantait silencieusement ses énormes pattes dans le sable. Tartarin embellit l’histoire :
- Soudain le chameau, cette noble bête, s’arrêta, immobile et frémissante, elle renifla, et j’entendis un rugissement, assez proche. Des lions de l’Atlas!
Ils aperçurent une troupe de lions, une fierté de lions, des mâles, des femelles, des lionceaux, un bouquet de lions…
- A peine ai-je tiré mon fusil que la troupe surgit, recula, et disparut parmi les plantes. Sauf un grand mâle, le roi lion. Il s’approcha de moi avec sa crinière remuant dans la brise, ses yeux fixés dans les miens. Atteignant mon pistolet de ma hanche « Pan, Pan ! », deux balles dans la tête. Cette créature majestueuse s’arrêta, boita et tomba à terre. Il était mort. Le chameau cria bruyamment comme pour me féliciter et tous les deux allâmes voir le cadavre.

Tartarin expliquait les difficultés d’emporter le lion sur la selle du chameau, de trouver un chasseur pour préparer la dépouille et l’envoyer à Tarascon. ll fallait payer avec les armes, les dernières choses restantes de son équipement : les malles, la pharmacie, les confitures… tout avait été volé par l’escroquerie des maudits Algériens.
- Mais cela valait la peine, cette fourrure, ce trophée est la preuve de ma chasse, le point culminant de ma vie !
Et Tartarin mit sa grande main sur sa tête, sur sa chéchia rouge avec sa longue pampille noire, déchiquetée et sale, la seule chose qui restait, après le désert.
Les Tarasconnais avaient écouté cette histoire avec étonnement, fierté et une grande joie. Leur héros avait réussi. Ce mensonge, cette tromperie, cette mystification leur avait fait plaisir à tous : « Vive Tartarin !  Quel héros ! »
Et Tartarin, lui-même, était presque convaincu de la véracité de son récit.
Mais le chameau, mon cher lecteur, ce sage dromadaire, poussiéreux et en sueur, leva la tête avec un regard impérieux, les yeux aux longs cils noirs à moitié ouverts. La bonne bête savait toute la vérité de l’histoire de la chasse, mais elle se tut.

PAR ANGELA LOW

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Du retour triomphal du héros, Tartarin, dans le village de Tarascon, après bien des mésaventures

Tartarin, suivi de son chameau, entouré des chasseurs de casquettes et acclamé par tous les Tarasconnais, se dirigea à la hâte vers la place publique où l’attendait une foule encore plus nombreuse. En marchant, le triomphal héros commença à raconter ses grands exploits :
- Figurez-vous, disait-il, qu’un certain soir, en plein Sahara, au moment où le soleil glissait sous l’horizon de l’ouest et la lune commençait à apparaître à l’horizon opposé, je me retrouvai seul dans le milieu de ce vaste amphithéâtre de sable, entouré par la cacophonie croissante de la nuit. Un chœur de cris envahit mes oreilles : quels beuglements, rugissements, grognements, gémissements, hennissements, sifflements… Quels bruissements, grattements, vrombissements, le désert reprenait vie après la chaleur du jour. Je fis carrément face à cette menace diabolique, un revolver dans chaque main, un arc et des flèches en bandoulière dans le dos. Tout seul, au cœur des ténèbres, j’affrontais les légions de démons du désert…
A ces mots, le chameau s’arrêta, tapa du pied et laissa échapper un braiment si puissant que ceux à proximité se bouchèrent les oreilles. Notre héros, apparemment inconscient de cet ébrouement perçant, continua à s’avancer sans se rendre compte qu’il avait perdu la plupart de son public, que la foule s’était arrêtée avec le quadrupède. Finalement, un jeune garçon rattrapa l’insoucieux raconteur et le tira par le pompon de sa chéchia. Etonné par cette interruption, Tartarin hésita, regarda en arrière, revint sur ses pas et caressa la bosse du dromadaire en l’encourageant à continuer. Mais non, son chameau baissa les yeux, bâilla largement et refusa de bouger : la bête resta là, plantée comme une souche.

Franchement, mon cher lecteur, Tartarin était un honnête héros qui savait, en son for intérieur, qu’il omettait des éléments essentiels de son conte, qu’il ne mentionnait pas, par exemple, la troupe de chameaux, cette grande bosse de bêtes, qui l’avait protégé dans le désert et que la faute la plus grave, c’était qu’il avait omis de rendre hommage à son propre chameau, le sage Sancho, son fidèle compagnon qui avait refusé de l’abandonner. A peine avait-il eu le temps de reconnaitre cette pensée désagréable, que ledit chameau émit un second braiment sauvage. Tout de suite, Tartarin s’éclaircit la gorge et s’adressa à la foule immense :
- Mes chers Tarasconnais, je voudrais vous présenter mon cher chameau, Sancho. En son nom et en mon nom propre, je vous remercie pour votre accueil chaleureux après tous nos exploits.
Un grand cri éclata : « Vive Tartarin ! vive notre héros ! Bravo, Sancho, bravo ! »
Une joyeuse fanfare remplit l’air et, Tartarin, monté sur son fier dromadaire, ouvrit la voie vers la place publique.

PAR ERIN GABRIELLE WHITE

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Le triomphe de Tartarin

Tartarin se tenait devant le porche de la maison du baobab. Les cris « Vive Tartarin » s’étaient arrêtés. Tartarin commença le récit de ses grandes chasses : 
- Figurez-vous, disait-il, qu’un certain soir, en plein Sahara, quand nous étions en Algérie… nous fîmes notre meilleure chasse. Une chasse inoubliable au lion, une bête héroïque et féroce ! Avec notre troupe de frères dont le brave commandant Bravida… Nous y étions !


Tartarin se rendit compte qu’il avait suscité l’intérêt de la foule, cependant il devait faire attention au cas où quelqu’un poserait une question embarrassante ! Il se souvenait de l’attitude des habitants avant le départ du groupe. Quelques heures plus tôt, il s’était senti seul, terrifié à l’idée d’être ridiculisé ou maltraité par ses compatriotes. Mais non, maintenant il semblait être un héros à leurs yeux. Il devait maintenir leur respect ! Il pouvait raconter l’histoire en évitant les faits plus désagréables. Exagérer les meilleurs moments et rendre la rencontre avec les Algériens exotique et fascinante. Il savait qu’aucun des Tarasconnais n’avait voyagé à l’étranger… Avignon et Beaucaire étaient leurs villes les plus proches. 

Alors que le public se rapprochait, il tira un papier de sa veste d’un geste dramatique ! 
- Regardez le lion de Barbarie ! dit-il.
Certains spectateurs semblaient surpris. C’était une image d’une bête massive avec une très longue crinière.
- La fourrure les garde au chaud pendant les nuits froides du désert ! 

Tartarin rit, tout comme son public !
Il montra une peinture à la foule : - C’est un wadi (1), les lions descendent à l’aube et c’est le meilleur moment pour les chasser…
Il leur raconta comment son groupe audacieux avait attendu l’arrivée de la troupe. Ils les traquèrent en silence. Personne ne bougeait. Mais ils s’étaient à peine installés qu’ils entendirent le rugissement du lion… 
Soudain il y eut des coups de feu : - Le lion était mort avec deux balles de mon fusil !!
 La peau de lion était la preuve de la tuerie.
 Il omit le fait qu’il avait tué un âne et des lapins par erreur. il savait qu’il pouvait compter sur la discrétion de Bravida, Costecalde, Besuquet et de son fidèle chameau.

(1) Wadi : un lac


PAR ANN B

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Les selles de chameau

Pendant ma brève expérience dans les services étrangers de ma patrie, j’avais reçu un communiqué amusant de mes patrons : « L’envoi de selles de chameau dans la valise diplomatique est formellement interdit. » J’étais profondément choquée. La valise diplomatique était protégée, presque sacrée. Dans mon imagination j’avais l’image d’une mallette, menottée à un homme chevronné, prêt à mourir plutôt que d’abandonner à l’ennemi les lettres de mes parents. Quand je demandai à un collègue : « Qu’est-ce que c’est que cette absurdité ? », il m’assura que la situation était normale : Canberra lançait régulièrement un avertissement pour éviter l’abus de l’utilisation de la valise diplomatique. Bonjour l’illusion… La valise diplomatique était largement un mirage, une marmelade d’objets inattendus, inutiles, et jamais utilisés, des selles de chameau, des peaux de lion, des poissons fixés sur une planche, des instruments de musique exotiques.

Quelques semaines plus tard, une invitation convia tous les Australiens en service d’outre-mer à une réception avec le ministre des Affaires étrangères, l’honorable Paul Hasluck. Sur la pelouse de l’ambassade d’Australie, une foule bigarrée s’était rassemblée. La journée était chaude, comme d’habitude à Bangkok. Les poitrines des hôtes du rang militaire brillaient sous le soleil. Les robes de soie thaïe portées par les femmes ajoutaient les couleurs vibrantes qui manquaient aux uniformes de leurs maris. Dans l’air parfumé par les fleurs odoriférantes et les applications généreuses de Chanel et Patou des femmes, la musique d’un combo de jazz flottaient de la résidence. A peine avais-je eu le temps de boire une gorgée de gin noyé dans du tonic que le ministre nous salua. Nous nous rassemblâmes autour de M. Hasluck, un homme raffiné et humain. Il nous demanda comment se passait notre séjour en Thaïlande, et les réactions fusèrent de toutes directions : « Formidable…Très bien…Magnifique… » J’interrompis vite cette mascarade en disant :
- Monsieur, s’il vous plaît, j’aimerais recevoir le climatiseur que l’ambassade m’a promis. *
Le ministre se tourna vers son secrétaire, lui ordonna de noter ma requête et il se tourna vers d’autres conversations. Dans mes oreilles sifflait la voix d’un collègue d’ASIO :
- Vous ne devriez parler au ministre que de la pluie et du beau temps.

La musique du groupe de jazz continuait dans l’après-midi ; mes amis au club de tennis m’attendaient. J’étais fière que, dans une vie sans reproche, j’avais mérité une réprimande d’une organisation de sécurité. J’étais absolument sûre que je n’enverrais jamais de selle de chameau dans une valise diplomatique.

*Une semaine plus tard, je reçus le climatiseur. Il fonctionnait mal et il était très bruyant. Tous les cambrioleurs de Bangkok, c’est-à-dire, les kamoi en Thai, auraient pu cambrioler ma maison sous couvert du bruit.

PAR CARMEL MAGUIRE

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