Albert Camus

Textes composés par les étudiants
du cours ATELIER DE LECTURE ET ECRITURE CREATIVE,
inspirés par 'L'hôte' d'Albert Camus.

La fidélité

La réalité l’a frappée. Aujourd’hui elle va mettre fin aux jours de son chat. Elle a pris cette décision juste à cet instant-là. Ils se regardaient, le chat avec sa tumeur qui déformait son visage tout noir, elle toute droite. Dehors le soleil montait dans le ciel frais et bleu de fin d’hiver. Sa douce chaleur a fait signe au jardin de réveiller le printemps. Les abeilles bourdonnaient.

Elle a senti sa gorge se nouer. Pendant quelques minutes, elle est restée immobile.

Tout était calme.

Puis elle a commencé à arpenter le salon, en se tordant les mains. De temps en temps elle s’arrêtait et regardait autour de la pièce. Un doute remontait à la surface et elle luttait pour maintenir sa maîtrise. Son regard retournait vers le vieux chat et sans parler elle se penchait et le prenait dans ses bras doucement. Il n’avait pas l’air de souffrir, juste une résignation paisible.

C’était le moment.

Dans le jardin, les feuilles bruissaient et elle chuchotait quelques mots dans l’oreille du chat. Ils se fixaient du regard et ils se comprenaient. Un rayon du soleil est entré par la fenêtre.

Quelques minutes plus tard, elle a appelé le vétérinaire.

PAR CHRISTINE AUSTIN

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Un choix personnel

Il est difficile de faire un choix personnel. C’est encore plus difficile de faire un choix lorsque lesconséquences sont significatives pour un pays tout entier. Il était politicien australien. Il devait faire un choix peu enviable, un choix responsable et rationnel.

Le résultat de l’élection nationale en 2010 n’était pas décisif. Aucun parti n’avait gagné la majorité. En concertation avec les autres, il devait choisir. Il y avait deux alternatives –soutenir le parti conservateur ou le parti travailliste, en formant un gouvernement qui durerait trois ans.

Windsor était député pour la New England, au nord-ouest de la Nouvelle-Galles du Sud. Ce choix a testé sa moralité.

Il avait dix jours pour décider pendant que l’électorat attendait l’annonce de sa décision. Tout le monde examinait minutieusement chacun de ses mots et chacun de ses mouvements. Selon l’opinion dominante à l’époque, son devoir était clairement de choisir un gouvernement conservateur car son électorat était conformiste. En effet, il était membre conservateur dans le passé. Mais ce n’était pas une décision philosophique. Son but était clair : établir un gouvernement stable.

Il a passé de nombreuses heures à peser la situation. Il a essayé de négocier avec le chef du parti conservateur de l’opposition. Il croyait que cet homme voulait proposer une nouvelle élection tout de suite mais le député voulait en fait mettre en place un gouvernement stable, en négociant des avantages importants pour son électorat.

L’autre alternative était de soutenir le parti travailliste. Leur chef promettait des réformes significatives dans les domaines de l’éducation, du changement climatique, de l’énergie renouvelable et, surtout, de l’internet très haut débit pour la population rurale.

Avec le cœur serré, il a pris sa décision : la deuxième alternative. Il a contribué à la stabilité du pays. Le gouvernement durerait trois ans. C’était une période tumultueuse pendant laquelle il a reçu des menaces de mort sérieuses. Il a permis l’accès équitable à l’internet haut débit pour son électorat, a pris des mesures politiques sur le carbone et a donné une voix forte aux gens de la campagne au parlement.

PAR KAREN BRYANT

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Le rendez-vous

L’horloge indiquait à peine 8 heures. La jeune femme était la première patiente de la matinée. Le docteur a fermé la porte derrière elle et l’a invitée à s’asseoir. Le cabinet était propre, fonctionnel, anonyme.

« Vous avez bien réfléchi à ce que je vous avais proposé lors de votre dernière visite ? »

La jeune femme se massait les tempes, la journée commençait très mal. Cet homme devait avoir une quarantaine d’années avec une belle épouse qui n’avait sans doute pas ce maudit gêne. Et probablement de jolis enfants. Il avait sûrement l’habitude de recevoir des femmes et des hommes déstabilisés de tous âges.

« Oui. J’ai décidé de ne pas subir une telle opération. Je suis trop jeune pourêtre mutilée. Je respecte mes sœurs et leurs décisions mais ce n’est pas pour moi. Mon compagnon et moi, on va partir loin d’ici. Loin des hôpitaux, des médecins, des regards pitoyables. On va essayer de trouver la paix. »

«Il vous faut peut-être penser à envisager la voie psychologique ? »

«Ne me parlez pas des psys, des conseillers génétiques, des cancérologues. Je les connais, croyez-moi. Je n’ai aucun symptôme et je suis en bonne forme. J’ai calculé les risques. Je vais tenter ma chance.»

Avec une écharpe autour du cou, la jeune femme est sortie. L’air était froid et humide.

Il allait neiger mais elle avait choisi.

PAR DC

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L’autre fille

La jeune fille se tenait debout au milieu de la cours de récréation. Elle portait un uniforme à carreaux bleus, qui lui arrivait au-dessous du genoux, net et propre, bien repassé. Ses cheveux étaient cachés par un foulard blanc noué par sa mère. Ses chaussures brillaient. La famille était fière qu’elle porte des chaussures en cuir. Son père les cirait chaque matin. Elle venait de déjà manger son repas préparé par sa mère dans sa nouvelle cuisine; des galettes de viande hachée, épicées, emballées dans un pain plat avec un petit pot de fattoush. Délicieux mais il restait encore une demi-heure de l’heure du déjeuner. Quoi faire ensuite? Elle regardait autour d’elle les enfants courant, jouant, riant, les images floues qui tourbillonnaient autour d’elle comme un kaléidoscope. Un groupe de garçons passait près d’elle, les bras tendus, faisant des bruits comme des avions au combat. «Vrooom… vroooom… ack.ack.ack ». Elle tressaillit. Un lointain souvenir de son enfance s’imposa à son esprit, les bombardements de son pays natal.

Elle s’éloigna vers le grand arbre près de la barrière. Cet arbre était devenu une sorte d’asile. Elle aimait l’ombre clairsemée qu’il donnait, l’odeur des feuilles écrasées et les noix minuscules en forme de casquettes pointues éparpillées partout. Elle regarda les fourmis. Elle s’attachait à ces fourmis qui arpentaient la poussière sèche. Il lui semblait qu’elles continuaient sans relâche leur ouvrage en dépit de tous les événements humains, depuis les millénaires, comme toutes les fourmis du monde entier.

Tout à coup une autre fille s’affala à côté d’elle. Une fille mal habillée avec une jupe courte, les chaussures éraflées et les cheveux rebelles qui obscurcissaient sa vue. Elle secoua la tête pour bouger les tresses. « Boys are stupid ! » s’exclama-t-elle. Leila lui jeta un regard oblique. Leila ne connaissait qu’un garçon, son petit frère. Il était le bout de chou de la famille, qui donnait une joie sans pareil. Né dans le camp et encore bébé quand la famille est arrivée dans ce pays, il n’avait pas de mauvais souvenirs. Cloué à l’écran il adorait les bandes dessinées. Il pouvait imiter tous les personnages, toutes leurs chansons et leurs danses et faisait sourire même leur père triste. Il n’était pas stupide. Sauf quand il repoussait sa mère quand elle voulait le serrer dans les bras et le couvrir de baisers, l’empêchant de regarder la télé.

Leila retourna vite son regard vers les enfants. A ce moment-là, le vol des garçons repassa et le dernier garçon, le plus petit, trébucha et tomba sur la terre dure. Tous les garçons commencèrent à hurler, huer et rire. Le petit garçon était en larmes avec ses genoux sanglants. Les deux filles se regardèrent, se mirent à glousser et finalement succombèrent aux éclats de rire.

«D’ya wanna a sambo? S’vegemite. Mum always does bloody vegemite. » Après un an de langue intensif Leila pouvait comprendre les leçons normales… presque, mais les paroles de ses camarades de l’école restaient un défi. Avec quelques gestes vivants et comiques, l’autre fille l’encouragea à manger. Le triangle de pain était blanc et doux, sans goût et le beurre et la pâte noire à l’intérieur étaient salés. Au fond, li était impoli de refuser la nourriture offerte par un hôte. Elle le mangea. L’autre fille retira une mandarine de sa poche et l’éplucha avec soin, enlevant même les petits fils blancs qu’elle jeta aux fourmis. Elle divisa les segments et en donna un à Leila. Cela avait un goût juteux et sucré mais il y avait plein de pépins que Leila mit discrètement dans sa main. L’autre fille les cracha loin. Avec des gestes, elle invita Leila à faire un concours. Elles crachèrent les pépins de plus en plus loin, jusqu’à la pointe où le petit garçon était tombé. Le jus coula sur leurs mentons, le foulard blanc se tacha et les deux filles se sourirent l’une à l’autre. « P’raps we can be friends. » elle lui chuchota à l’oreille. Son coeur s’arrêta de battre….amies.

La cloche sonna. « Bloody maths. I hate maths. » dit l’autre fille. Leila avait les yeux écarquillés de surprise. Elle était forte en mathématiques et elle aimait bien ça. Seulement dix symboles pour décrire tous les nombres, tous les chiffres du monde. On pouvait les manipuler et ils obéissaient aux règles. Le soir, son père l’aiderait à faire ses devoirs de mathématiques et il l’aimait bien ça aussi. Les devoirs en anglais pas tellement. Les faits et les opinions, sur les fruits, les chiens, les chats. Il semblait que son père n’avait pas d’avis sur les animaux de compagnie.

« C’mon. » L’autre fille saisit la main de Leila et, courant vite, passant au-dessus des bancs en aluminium, se faufilant en tête de file, elle prit la chaise à côté de Leila, à la même table. L’enseignante commença à dire quelque chose mais se tut. Peut-être ne serait-ce pas une mauvaise idée d’avoir la bonne Leila à côté d’elle. Elle distribua les exercices de mathématiques.

La dernière cloche avait sonné. Comme tous les jours, Leila attendait sa mère près de la barrière. Elle la vit de loin, portant sa robe longue avec son foulard blanc, montant le sentier raide, avec son petit frère dans la poussette. Subitement, Leila se précipita vers elle en criant. Sa mère lui jeta un coup d’oeil, méfiante et inquiète. Mais Leila déclama « Maman, j’ai rencontré une copine, une autre fille. Une amie. »

PAR ANGELA LOW


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