Agnès Varda

Textes composés par les étudiants
du cours ATELIER DE LECTURE ET ECRITURE CREATIVE,
inspirés par 'Les plages d'Agnès' d'Agnès Varda.

Maison de caractère et de charme

Il y a quelques jours ma sœur, agent immobilier, m’a téléphoné pour dire : « J’ai une maison à vendre… c’est la maison de notre enfance. Je pensais que tu aimerais venir quand on va faire les photos publicitaires. » Et j’ai dit « oui » parce que ça me ferait plaisir de la revoir, et peut-être de revivre mes souvenirs de cette tranche de vie il y a plus de cinquante ans. Alors j’y suis allée, à Strathfield, rue Newton, avec ma petite caméra. Fondu à l’ouverture, ma maison d’enfance : une maison de plain-pied, située au coin de la rue et entourée de verdure luxuriante.

Nous avons commencé par l’intérieur ! De bas en haut, c’était propre et bien rangé. Pour la plupart, elle a conservé les dimensions d’un bungalow californien. Mais pas ses caractéristiques. La maison avait subi des rénovations importantes, dans un style de décoration mieux décrit comme « kitsch moderne ». Je l’ai fait raconter à Catherine Frot dans un salon imaginaire : « Il ne restait rien du style de décoration de Maman. Elle avait à la fois respecté la valeur patrimoniale de la maison et souligné ses caractéristiques. » En même temps, je retrouvais des détails qui me parlaient. Par exemple, 1967, une semaine avant Noël. Nous étions sur la véranda quand nous avons entendu à la radio la disparition de notre Premier ministre, Harold Holt, lorsqu’il nageait dans la mer à Portsea. Les théories du complot abondaient, mais Maman aimait celle qui prétendait que Holt avait été enlevé par un sous-marin chinois. Avril 1968. C’était dans le salon que nous avons appris à la télévision que Martin Luther King avait été assassiné. Puis, un soir, deux mois plus tard, lorsque Sirhan Sirhan est tiré à maintes reprises sur Robert Kennedy. Vue panoramique de ma chambre. Le propriétaire tenait à souligner les améliorations qu’il avait apportées. « Quand je l’ai achetée, la maison était tellement démodée… – Pouvez-vous nous montrer ce que vous avez fait ? – Avec plaisir. Regardez les fenêtres (Zoom) – toutes avec des cadres en aluminium. Elles étaient à vitraux avant. – Vous avez évidemment un sens pratique ? – Bien sûr ! Par exemple, cette banquette de fenêtre (gros plan), je l’ai recouverte de tissu de vinyle noir. Vous pouvez essuyer toutes les taches. Et ici, dans l’entrée, partout en fait, j’ai remplacé les corniches. – Vous avez été bien occupé ! – Ça prend du temps et de l’argent. – Serez-vous désolé de partir ? – Un peu. Nous avons rendu la maison très confortable, mais j’aime bien les défis et il y a plein d’autres vieilles maisons à refaire… »

La scène s’est terminée sur une vue de panneau « À VENDRE. Maison des années 1920. Pleine de caractère et de charme » puis sur un fondu de fermeture.

PAR MAUREEN S

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La maison imaginaire

A Canberra, ma cousine Jennifer et moi, nous avons voulu visiter la maison où je suis née. On a monté les marches sous la glycine et j’ai frappé à la porte d’entrée. « Bonjour Madame, ai-je dit, après la guerre, c’était ma maison d’enfance et je suis de passage à Canberra. Pouvons-nous voir l’intérieur ? – Volontiers, a-t-elle répondu. Suivez-moi. »

Immédiatement dans l’entrée, je me souviens de l’enfant que j’étais, tous les jours accroupie sur le tapis, devant l’étagère, pour trouver quelque chose à lire. A la radio j’entends le feuilleton pour enfants – terrifiant ! Je discerne de l’extérieur, le son de la tondeuse. A la cuisine, Maman bat des œufs pour préparer un gâteau. Elle vient de faire le repassage et la pièce est remplie de l’odeur de vêtements propres. Sur la cuisinière, un récipient plein de torchons continue à bouillir. Je trébuche sur un tas de jouets laissés par ma petite sœur et en me redressant, je vois le livreur qui passe par la fenêtre avec un grand bloc de glace – entouré de toile à sac – qu’il balance sur son épaule. J’entends les claquements de sabots qui nous signalent l’arrivée du boulanger et de sa charrette.

Je l’ai fait raconter à Anna Volska dans une maison imaginaire : « Je vois le livreur qui passe par la fenêtre avec un grand bloc de glace – entouré de toile à sac – qu’il balance sur son épaule. J’entends les claquements de sabots qui nous signalent l’arrivée du boulanger et de sa charrette. »

Jennifer a aperçu l’amandier en fleurs par la porte du salon.
« Voudriez-vous voir le jardin », a demandé la propriétaire, qui a suivi nos regards. « On a gardé le potager et c’est la saison des fèves.
– Papa nous a donné quelques sous en échange d’un bocal rempli d’insectes qui dévoraient les tomates. Tu te souviens, Jennifer ?
– Oui et cela me fait penser aux vidéos de Papy… Moteur ! Action ! Hi hi hi. »

La propriétaire a descendu l’escalier et elle nous a amenées vers l’abricotier au fond du jardin.
« Voudriez-vous un panier d’abricots ? Cela vous rappellera sans doute le goût et l’arôme des fruits du jardin. Prévenez-moi avant votre prochaine visite à Canberra et vous viendrez prendre l’apéro ».

PAR ROSE CHENEY

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Rue March numéro 20

Il y a quelque temps, j’ai reçu un courriel d’un docteur qui disait : « J’habite la maison de votre enfance ; la semaine dernière j’ai trouvé votre vieux journal intime dans le grenier. Un ami commun m’a donné vos coordonnées. » J’étais très surprise, plutôt intriguée et peut-être un peu inquiète. Je passais parfois devant la maison. Maintenant la brique rouge foncé était peinte en crème.

Alors je suis allée à Bellevue Hill, rue March avec ma petite caméra. Direction ma maison d’enfance. Je vois qu’il y a encore des camélias et azalées dans le jardin de devant. Toujours belle. Les maisons voisines ont changé ; les deux petits bâtiments sont devenus des édifices massifs. La salle à manger et le salon sont en même endroit mais le mobilier est beaucoup plus élaboré. Je revois ce grand canapé sur lequel mon père somnolait souvent après le dîner. À l’époque, il était démodé ! La guerre et la dépression avait rendu mes parents très frugaux. La salle de couture de ma mère faisait maintenant partie de la cuisine. Comment j’enviais mes amis qui achetaient leurs vêtements à l’époque. Je me rends compte qu’ils ont ouvert le rez-de-chaussée en démolissant des murs, il semble plus spacieux. Les couleurs et le style seraient un décor idéal pour l’émission de Nicole Kidman, je devrais lui envoyer un texto. Je me souviens d’une salle de bain avec deux toilettes, à présent la famille a trois salles de bains. Quel luxe !!

Dans la maison, de bas en haut je retrouvais les détails que je décris. Ma chambre, maintenant son bureau, était méconnaissable ! Oh, j’ai filmé la plupart des pièces à l ‘intérieur, le grenier était la dernière salle à visiter. Alors que nous montions l’escalier au troisième étage, le médecin m’a dit : « Voici votre journal. » En tournant les pages, je me promenais dans le grenier et des images familières et des souvenirs me remplissaient l’esprit. J’ai ressenti le besoin d’arrêter de filmer. C’était là, la vue magnifique sur le port, le pont, la ville toujours la même après si longtemps. Il tenait à me montrer sa collection de jumelles et de télescopes, il y avait vingt ou trente modèles : « Ils m’aident à apprécier la vue de cette pièce. – C’est une collection très impressionnante. – Oui, je les acquis de partout dans le monde. – J’avais oublié que c’est une vue à 360 degrés. – Cette pièce me manquera. – Merci, Monsieur de me rendre mon enfance.

PAR ANN B

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Retour au 21

Il y a plus de dix ans, ma sœur ainée est revenue en vacances de Londres et nous avons décidé de conduire à Brisbane, notre ville de naissance. Nous avons choisi la route qui longe l’océan. Le temps était beau et nous étions de bonne humeur. Aux approches de Murwillumbah, la ville de naissance de notre mère, ma sœur a dit : « Allons visiter la maison de notre grand-mère. – Comme Mamie, la maison n’existera plus, répondis-je. – Allons voir ! »

Eh la voici, au numéro 21, le cottage modeste de bois situé sur la pente raide de la colline qui tombe vers la plaine inondable et vers le fleuve. Alors que nous descendons et trébuchons vers la barrière, une femme apparaît à la porte de devant : « Puis-je vous aider, mesdames ? » Trop tard, ma sœur essaie de cacher sa petite caméra. « Notre grand-mère a vécu ici pendant de nombreuses années, dis-je. – Vous voudriez voir l’intérieur ? Entrez, entrez, et apportez la caméra. »

Alors que nous descendons l’escalier vers la porte où la propriétaire attend, ma sœur marmonne : « La rampe a disparu ! » C’était l’estrade où nous dansions. Mais la porte s’ouvre immédiatement sur la petite véranda où les tantes nous permettaient de les regarder par la fenêtre dans leur chambre, si nous nous étions bien comportées. Oh, les concours. Les trois tantes étaient fiancées aux soldats dont les photos étaient exposées sur leur table de chevet. Il y avait un concours pour la taille et la beauté du diamant de chaque bague de fiançailles.

La propriétaire nous amène par un court couloir, avec une chambre à gauche et une autre à droite, chacune a une salle de bains. Et puis nous entrons dans un espace ouvert, où se trouvent le salon, la salle à manger et la cuisine, un espace sans murs. Je ne vois que l’ancienne scène où un oncle frappe fort à la porte de la seule salle de bains où une de ses sœurs s’est installée. « Dépêche-toi ! » crie-t-il. Et je peux imaginer la scène où Mamie se tient debout dans la vieille cuisine aux fourneaux en préparant le repas de midi, parmi les insistances de quatre de ses dix enfants. Le dialogue arrive facilement : « Maman, as-tu repassé ma jupe noire ? – Maman, pas de pommes de terre, je les déteste. – Ma, as-tu vu mes bottes à l’écuyère ? » Et Jackie Weaver sera parfaite pour le rôle de Grand-maman. Pour les tantes…

La propriétaire pose une question. Nous descendons l’escalier raide et long jusqu’au rez-de- chaussée.

« Que pensez-vous des améliorations que nous avons faites ? Nous ne lésinons pas sur les dépenses. Quand je pense aux termites. Mon mari insiste que tous les éléments soient les meilleures. Les ouvriers aussi doivent être excellents et pas avides.
Est-ce difficile de trouver de bons ouvriers ?
Seulement si vous employez des syndicalistes. »

Le visage de ma sœur, dont le défunt mari aurait donné sa vie à son syndicat, est devenu pourpre. « Oh Madame, nos excuses. Regardez l’heure ! Il nous faut partir immédiatement pour rencontrer nos cousins à Surfers. »

Sans plus de cérémonie, nous revenons à la voiture.
« Pas de syndicalistes et très peu de goût, remarque ma sœur.
– Veux-tu qu’on aille visiter la maison de notre enfance à Brisbane ? je demande.
– Sûrement pas. »

PAR CARMEL MAGUIRE

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Fragment d’enfance

La semaine dernière, j’ai reçu une lettre qui disait : « Si vous désirez revoir cet appartement, je serai chez moi samedi 30 mai à 11h 30. J’ai une demi-heure de libre. » Pas exactement une invitation accueillante mais j’ai décidé de l’accepter. J’avais écrit aux occupants parce que j’y avais habité de l’âge de 5 à 11 ans et maintenant je voulais filmer l’intérieur. Alors, avec ma petite caméra, je suis partie. Direction, 30a Mount Street, Coogee.

Une femme âgée a ouvert la porte et derrière elle se trouvait une petite fille. Après les présentations, j’ai dit : « Commençons par la cuisine. – Ah non, ce n’est pas possible, dit la vieille d’un ton sec boitillant dans la direction opposée, vers le salon, j’ai commencé à préparer le déjeuner. Vous pouvez inspecter le salon. C’est tout. » A contrecœur, je les ai suivies en passant devant les portes fermées de ma chambre et celle de mes parents. Dommage, si près du but ! Tant pis !

  • « Oh, le salon ! Y a-t-il toujours les fenêtres à guillotine dans le salon ?
  • Oui, oui. Je les déteste. Elles sont dangereuses.
  • Comment ? Dangereuses ?
  • Vous pensez que j’exagère ?
  • Pas du tout ! Je suis d’accord avec vous.
  • Les cordes s’effilochent, vous voyez et la fenêtre descend violemment. La plupart du temps, je les laisse fermées à clef. A cause de Chloé, mon arrière-petite-fille. Deux précautions valent mieux qu’une !
  • Bonne idée. Je me rappelle ce qui est arrivé à ma grand-mère
  • A votre grand-mère ? Elle a eu un accident ici, avec ces fenêtres ?
  • Oui, elle habitait avec nous à cette époque-là… dans les années quarante.
  • Vraiment ? Racontez-moi l’histoire.
  • Mais c’est presque l’heure de votre déjeuner.
  • Ça ne fait rien. Je veux entendre l’histoire de votre grand-mère.
  • Eh bien, un jour quand j’avais 7 ans – environ le même âge que Chloé – ma mère et moi sommes sorties pour prendre le bus. Tandis que nous descendions la pente, ma grand-mère a passé la tête par cette fenêtre pour nous regarder. Mais la corde s’est cassée et, à l’insu de ma mère et moi, la lourde fenêtre est tombée sur le cou de ma grand-mère. Non, elle n’a pas été guillotinée ! Mais elle était coincée. Heureusement, à ce moment-là, un jeune homme est passé sur le trottoir et il a levé la fenêtre et a sauvé ma grand-mère.
  • C’est romantique ! Sir Walter Ralegh et la Reine Elizabeth ! Qu’en penses-tu, Chloé ?
  • Les princes sauvent toujours les princesses. »

Ma grand-mère, une princesse ? Pourquoi pas ! C’est l’histoire favorite de mon enfance et c’est Magda Szubanski qui l’a racontée dans mon film, « Coup Double ». Et ce conte a tellement plu à la vieille qu’elle m’a invitée à manger avec elles dans la cuisine où j’ai filmé comme une brute et à la fin j’ai pu filmer chaque coin et recoin de cet appartement familier. Tout est bien qui finit bien, n’est-ce pas ?

PAR ERIN GABRIELLE WHITE

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Les jardins d’Amanda

Il y a quelques mois, j’ai reçu un email du nouveau propriétaire de la maison où j’ai grandi : « J’ai découvert quelques trucs qui vous appartiennent dans le grenier, notamment un certificat encadré, votre diplôme en psychologie. Est-ce que cela vous intéresse de revisiter votre maison d’enfance ? » Sans hésiter, j’y suis allée, à Black Rock, rue Champion, avec mon compagnon fidèle, l’appareil photo Nikon.

Dès que je suis arrivée, le propriétaire m’a emmenée à travers la maison, m’indiquant mon certificat à l’entrée. Je l’ai suivi au salon, situé à l’arrière de la maison et donnant sur le jardin. Surnommé le musée par mon père, à juste titre. Le figurant dominant : le fauteuil de cuir blanc, soigneusement placé juste comme autrefois, devant le foyer et toujours sans signe d’un occupant.

Coupe, on va au jardin. Le figurant dominant : le saule pleureur, debout dans toute sa majesté.
Pas du tout victime du temps. Sous ses branchages, retombant en larmes de plaisir, il suffit de s’asseoir pour faire passer les maux de tête.

Je sais des choses. Je vois mon père, habillé en jardinier. Je l’entends dire : « Faire du jardinage, c’est l’essence de la vie. » Le tuyau d’arrosage était couché adjacent au lit du jardin, jamais touché.
Il disait : « Faire du jardinage, c’est le secret du bonheur. »

Je l’ai fait raconter à Michelle Pfeiffer dans un jardin imaginaire : « À l’âge de treize ans, mon père m’a fait un cadeau : un tuyau d’arrosage réparé, signe de sa passion pour les économies… peut-être le résultat de ses années d’enfance pendant la grande crise… avec l’intention de me motiver à faire du jardinage. Cela a marqué le début de mon refus de toucher la terre de mes mains. »

Coupe, direction le petit abri situé au fond du jardin.
Les figurants dominants, un étalage de poupées, rangées soigneusement en cercle. Les poupées de porcelaine, de celluloïde et en peau m’observaient.
Il saisit l’occasion pour me présenter sa passion : il est collectionneur de poupées.
– Pouvez-vous expliquer pourquoi vous avez choisi de collectionner les poupées ?
– C’est un petit jardin qui n’est pas secret, mais je n’en parle pas à n’importe qui.
– Évidemment, si j’avais choisi les timbres ou les livres de la Pléiade, j’aurais eu droit à toute votre admiration. C’est certain. Mais voyez-vous, je collectionne les poupées et j’en suis fier. Ma collection de poupées provoque quelquefois des réactions négatives, mais les poupées de ma collection me fascinent. Certaines pièces ont plus de 150 ans mais elles n’ont pas une ride.
– Est-ce qu’elles valent beaucoup d’argent ?
– Quelques-unes peuvent en effet atteindre des prix exorbitants.
– Hi, Vous êtes phalangophile alors ? Excusez-moi ! Plangonophile !

PAR AMANDA

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